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l’objet, mais par le nombre plus ou moins grand des propriétés qu’on y considere à la fois ; ainsi quoique l’espace & le tems soient composés de parties, & par conséquent ne soient pas des êtres simples, cependant l’idée que nous en avons est une idée simple, parce que toutes les parties du tems & de l’espace sont absolument semblables, que l’idée que nous en avons est absolument la même, & qu’enfin cette idée ne peut être décomposée, puisqu’on ne pourroit simplifier l’idée de l’étendue & celle du tems sans les anéantir : aulieu qu’en retranchant de l’idée de corps, par exemple, l’idée d’impénétrabilité, de figure, & de couleur, il reste encore l’idée de l’étendue.

Les idées simples dans le sens où nous l’entendons, peuvent se réduire à deux especes : les unes sont des idées abstraites ; l’abstraction en effet n’est autre chose que l’opération, par laquelle nous considérons dans un objet une propriété particuliere, sans faire attention à celles qui se joignent à celle-là pour constituer l’essence de l’objet. La seconde espece d’idées simples est renfermée dans les idées primitives que nous acquérons par nos sensations, comme celles des couleurs particulieres, du froid, du chaud, & plusieurs autres semblables ; aussi n’y a-t-il point de circonlocution plus propre à faire entendre ces choses, que le terme unique qui les exprime.

Quand on a trouvé toutes les idées simples qu’un mot renferme, on le définira en présentant ces idées d’une maniere aussi claire, aussi courte, & aussi précise qu’il sera possible. Il suit de ces principes, que tout mot vulgaire qui ne renfermera qu’une idée simple, ne peut & ne doit pas être défini dans quelque science que ce puisse être, puisqu’une définition ne pourroit en mieux faire connoître le sens. A l’égard des termes vulgaires qui renferment plusieurs idées simples, fussent-ils d’un usage très-commun, il est bon de les définir, pour développer parfaitement les idées simples qu’ils renferment.

Ainsi dans la Méchanique ou science du mouvement des corps, on ne doit définir ni l’espace ni le tems, parce que ces mots ne renferment qu’une idée simple ; mais on peut & on doit même définir le mouvement, quoique la notion en soit assez familiere à tout le monde, parce que l’idée de mouvement est une idée complexe qui en renferme deux simples, celle de l’espace parcouru, & celle du tems employé à le parcourir. Il suit encore des mêmes principes, que les idées simples qui entrent dans une définition doivent être tellement distinctes l’une de l’autre, qu’on ne puisse en retrancher aucune. Ainsi dans la définition ordinaire du triangle rectiligne, on fait entrer mal-à-propos les trois côtés & les trois angles ; il suffit d’y faire entrer les trois côtés, parce qu’une figure renfermée par trois lignes droites a nécessairement trois angles. C’est à quoi on ne sauroit faire trop d’attention, pour ne pas multiplier sans nécessité les mots non plus que les êtres, & pour ne pas faire regarder comme deux idées distinctes, ce qui n’est individuellement que la même.

On peut donc dire non-seulement qu’une définition doit être courte, mais que plus elle sera courte, plus elle sera claire ; car la briéveté consiste à n’employer que les idées nécessaires, & à les disposer dans l’ordre le plus naturel. On n’est souvent obscur, que parce qu’on est trop long : l’obscurité vient principalement de ce que les idées ne sont pas bien distinguées les unes des autres, & ne sont pas mises à leur place. Enfin la briéveté étant nécessaire dans les définitions, on peut & on doit même y employer des termes qui renferment des idées complexes, pourvû que ces termes ayent été définis auparavant, & qu’on ait par conséquent développé les idées simples qu’ils contiennent. Ainsi on peut dire qu’un triangle rectiligne est une figure terminée par trois lignes droi-

tes, pourvû qu’on ait défini auparavant ce qu’on entend

par figure, c’est-à-dire un espace terminé entierement par des lignes : ce qui renferme trois idées, celle d’étendue, celle de bornes, & celle de bornes en tout sens.

Telles sont les regles générales d’une définition ; telle est l’idée qu’on doit s’en faire, & suivant laquelle une définition n’est autre chose que le développement des idées simples qu’un mot renferme. Il est fort inutile après cela d’examiner si les définitions sont de nom ou de chose, c’est-à-dire si elles sont simplement l’explication de ce qu’on entend par un mot, ou si elles expliquent la nature de l’objet indiqué par ce mot. En effet, qu’est-ce que la nature d’une chose ? En quoi consiste-t-elle proprement, & la connoissons-nous ? Si on veut répondre clairement à ces questions, on verra combien la distinction dont il s’agit est futile & absurde : car étant ignorans comme nous le sommes sur ce que les êtres sont en eux-mêmes, la connoissance de la nature d’une chose (du moins par rapport à nous) ne peut consister que dans la notion claire & décomposée, non des principes réels & absolus de cette chose, mais de ceux qu’elle nous paroît renfermer. Toute définition ne peut être envisagée que sous ce dernier point de vûe : dans ce cas elle sera plus qu’une simple définition de nom, puisqu’elle ne se bornera pas à expliquer le sens d’un mot, mais qu’elle en décomposera l’objet ; & elle sera moins aussi qu’une définition de chose, puisque la vraie nature de l’objet, quoiqu’ainsi décomposé, pourra toûjours rester inconnue.

Voilà ce qui concerne la définition des termes vulgaires. Mais une science ne se borne pas à ces termes, elle est forcée d’en avoir de particuliers ; soit pour abréger le discours & contribuer ainsi à la clarté, en exprimant par un seul mot ce qui auroit besoin d’être exprimé par une phrase entiere ; soit pour désigner des objets peu connus sur lesquels elle s’exerce, & que souvent elle se produit à elle-même par des combinaisons singulieres & nouvelles. Ces mots ont besoin d’être définis, c’est-à-dire simplement expliqués par d’autres termes plus vulgaires & plus simples ; & la seule regle de ces définitions, c’est de n’y employer aucun terme qui ait besoin lui-même d’être expliqué, c’est-à-dire qui ne soit ou clair de lui-même, ou déjà expliqué auparavant.

Les termes scientifiques n’étant inventés que pour la nécessité, il est clair que l’on ne doit pas au hasard charger une science de termes particuliers. Il seroit donc à souhaiter qu’on abolît ces termes scientifiques & pour ainsi dire barbares, qui ne servent qu’à en imposer ; qu’en Géométrie, par exemple, on dît simplement proposition au lieu de théorème, conséquence au lieu de corollaire, remarque au lieu de scholie, & ainsi des autres. La plûpart des mots de nos Sciences sont tirés des langues savantes, où ils étoient intelligibles au peuple même, parce qu’ils n’étoient souvent que des termes vulgaires, ou dérivés de ces termes : pourquoi ne pas leur conserver cet avantage ?

Les mots nouveaux, inutiles, bisarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matiere de science, qu’en matiere de goût. On ne sauroit, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple, & pour ainsi dire trop populaire ; non-seulement c’est un moyen d’en faciliter l’étude, c’est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s’imagine ou qui voudroit se persuader que la langue particuliere d’une science en fait tout le mérite, que c’est une espece de rempart inventé pour en défendre les approches : les ignorans ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles, qui ne pouvant forcer une place se vengent en insultant les dehors.