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de Tibulle & de Properce. Mais le genre élégiaque a mille attraits, parce qu’il émeut nos passions, parce qu’il est l’imitation des objets qui nous intéressent, parce qu’il nous fait entendre des hommes touchés, & qui nous rendent très-sensibles à leurs peines comme à leurs plaisirs, en nous en entretenant eux-mêmes.

Nous aimons beaucoup à être émus (Voyez Emotion) ; nous ne pouvons entendre les hommes déplorer leurs infortunes sans en être affligés, sans chercher ensuite à en parler aux autres, sans profiter de la premiere occasion qui s’offre de décharger notre cœur, si je puis parler ainsi, d’un poids qui l’accable.

Voilà pourquoi de tous les poëmes, comme l’a dit avant moi M. l’Abbé Souchay, il n’en est point après le dramatique qui soit plus attrayant que l’élégie. Aussi a-t-on vû dans tous les tems des génies du premier ordre faire leurs délices de ce genre de poésie. Indépendamment de ceux que nous avons cités, élégiographes de profession, les Euripide & les Sophocle ne crurent point, en s’y appliquant, deshonorer les lauriers qu’ils avoient cueillis sur la scene.

Plusieurs poëtes modernes se sont aussi consacrés à l’élégie ; heureux, s’ils n’avoient pas substitué d’ordinaire, le faux au vrai, le pompeux au simple, & le langage de l’esprit à celui de la nature ! Quoi qu’il en soit, ce genre de poésie a des beautés sans nombre ; & c’est ce qui m’a fait espérer d’obtenir quelque indulgence, quand j’ai crû pouvoir les détailler ici d’après les grands maîtres de l’art. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

* ELEGIR, v. act. il se dit dans les arts méchaniques, de toutes pieces en bois ou en fer qu’on rend plus legeres, en les affoiblissant dans les endroits où il n’est point nécessaire qu’elles soient si fortes. Il est particulierement d’usage dans la Menuiserie & la Charpenterie.

* ELÉLÉEN, adj. (Mythol.) surnom de Bacchus & de ses prêtresses, qu’on appella aussi Eléléides. Eléléen signifie bruyant, ce qui est relatif à la maniere tumultueuse & bruyante dont les fêtes & les mysteres de Bacchus se célébroient. Voyez Bacchantes.

ELEMENS DES SCIENCES. (Philosophie.) On appelle en général élémens d’un tout, les parties primitives & originaires dont on peut supposer que ce tout est formé. Pour transporter cette notion aux Sciences en général, & pour connoître quelle idée nous devons nous former des élémens d’une science quelconque, supposons que cette science soit entierement traitée dans un ouvrage, ensorte que l’on ait de suite & sous les yeux les propositions, tant générales que particulieres, qui forment l’ensemble de la science, & que ces propositions soient disposées dans l’ordre le plus naturel & le plus rigoureux qu’il soit possible : supposons ensuite que ces propositions forment une suite absolument continue, ensorte que chaque proposition dépende uniquement & immédiatement des précédentes, & qu’elle ne suppose point d’autres principes que ceux que les précédentes propositions renferment ; en ce cas chaque proposition, comme nous l’avons remarqué dans le discours préliminaire, ne sera que la traduction de la premiere, présentée sous différentes faces ; tout se réduiroit par conséquent à cette premiere proposition, qu’on pourroit regarder comme l’élément de la science dont il s’agit, puisque cette science y seroit entierement renfermée. Si chacune des sciences qui nous occupent étoit dans le cas dont nous parlons, les élémens en seroient aussi faciles à faire qu’à apprendre ; & même si nous pouvions appercevoir sans interruption la chaîne invisible qui lie tous les objets de nos connoissances, les élémens de toutes les Sciences se réduiroient à un principe unique,

dont les conséquences principales seroient les élémens de chaque science particuliere. L’esprit humain, participant alors de l’intelligence suprème, verroit toutes ses connoissances comme réünies sous un point de vûe indivisible ; il y auroit cependant cette différence entre Dieu & l’homme, que Dieu placé à ce point de vûe, appercevroit d’un coup-d’œil tous les objets, & que l’homme auroit besoin de les parcourir l’un après l’autre, pour en acquérir une connoissance détaillée. Mais il s’en faut beaucoup que nous puissions nous placer à un tel point de vûe. Bien loin d’appercevoir la chaîne qui unit toutes les Sciences, nous ne voyons pas même dans leur totalité les parties de cette chaîne qui constituent chaque science en particulier. Quelqu’ordre que nous puissions mettre entre les propositions, quelqu’exactitude que nous cherchions à observer dans la déduction, il s’y trouvera toûjours nécessairement des vuides ; toutes les propositions ne se tiendront pas immédiatement, & formeront pour ainsi dire des groupes différens & desunis.

Néanmoins quoique dans cette espece de tableau il y ait bien des objets qui nous échappent, il est facile de distinguer les propositions ou vérités générales qui servent de base aux autres, & dans lesquelles celles-ci sont implicitement renfermées. Ces propositions réunies en un corps, formeront, à proprement parler, les élémens de la science, puisque ces élémens seront comme un germe qu’il suffiroit de développer pour connoître les objets de la science fort en détail. Mais on peut encore considérer les élémens d’une science sous un autre point de vûe : en effet, dans la suite des propositions on peut distinguer celles qui, soit dans elles-mêmes, soit dans leurs conséquences, considerent cet objet de la maniere la plus simple ; & ces propositions étant détachées du tout, en y joignant même les conséquences détaillées qui en dérivent immédiatement, on aura des élémens pris dans un second sens plus vulgaire & plus en usage, mais moins philosophique que le premier. Les élémens pris dans le premier sens, considerent pour ainsi dire en gros toutes les parties principales de l’objet : les élémens pris dans le second sens, considerent en détail les parties de l’objet les plus grossieres. Ainsi des élémens de Géométrie qui contiendroient non-seulement les principes de la mesure & des propriétés des figures planes, mais ceux de l’application de l’Algebre à la Géométrie, & du calcul différentiel & intégral appliqués aux courbes, seroient des élémens de Géométrie dans le premier sens, parce qu’ils renfermeroient les principes de la Géométrie prise dans toute son étendue ; mais ce qu’on appelle des élémens de Géométrie ordinaire, qui ne roulent que sur les propriétés générales des figures planes & du cercle, ne sont que des élémens pris dans le second sens, parce qu’ils n’embrassent que la partie la plus simple de leur objet, soit qu’ils l’embrassent avec plus ou moins de détail. Nous nous attacherons ici aux élémens pris dans le premier sens ; ce que nous en dirons pourra facilement s’appliquer ensuite aux élémens pris dans le second.

La plûpart des Sciences n’ont été inventées que peu-à-peu : quelques hommes de génie, à différens intervalles de tems, ont découvert les uns après les autres un certain nombre de vérités ; celles-ci en ont fait découvrir de nouvelles, jusqu’à ce qu’enfin le nombre des vérités connues est devenu assez considérable. Cette abondance, du moins apparente, a produit deux effets. En premier lieu, on a senti la difficulté d’y ajoûter, non-seulement parce que les génies créateurs sont rares, mais encore parce que les premiers pas faits par une suite de bons esprits, rendent les suivans plus difficiles à faire ; car les