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caractere, sait tout ce qui lui arrivera. Les lois n’ôtent la liberté qu’à ceux qui en abuseroient. On n’est point sous le malheur, tant qu’on est loin de l’injustice : le méchant qui ignore la dissolution finale, & qui a la conscience de sa méchanceté, vit en crainte, meurt en transe, & ne peut s’empêcher d’attendre d’une justice ultérieure qui n’est pas, ce qu’il a mérité de celle qui est & à laquelle il n’ignore pas qu’il échappe en mourant. La bonne santé est dans la main de l’homme. L’intempérance donne de courtes joies & de longs déplaisirs, &c.

Démocrite prit pour disciple Protagoras, un de ses concitoyens ; il le tira de la condition de portefaix, pour l’élever à celle de philosophe. Démocrite ayant considéré avec des yeux méchaniciens l’artifice singulier que Protagoras avoit imaginé pour porter commodément un grand fardeau, l’interrogea, conçut sur ses réponses bonne opinion de son esprit ; & se l’attacha. Protagoras professa l’éloquence & la philosophie. Il fit payer cherement ses leçons : il écrivit un livre de la nature des dieux, qui lui mérita le nom d’impie, & qui l’exposa à des persécutions. Son ouvrage commençoit par ces mots : Je ne sais s’il y a des dieux ; la profondeur de cette recherche, jointe à la briéveté de la vie, m’ont condamné à l’ignorer toûjours. Protagoras fut banni, & ses livres recherchés, brûlés, & lûs. Punitis ingeniis gliscit autoritas.

Ce qu’on nous a transmis de sa philosophie, n’a rien de particulier ; c’est la métaphysique de Xénophane, & la physique de Démocrite.

L’éleatique Diagoras de l’isle de Melos, fut un autre impie. Il naquit dans la 38e olympiade. Les désordres qu’il remarqua dans l’ordre physique & moral, le déterminerent à nier l’existence des dieux. Il ne renferma point sa façon de penser, malgré les dangers auxquels il s’exposoit en la laissant transpirer. Le gouvernement mit sa tête à prix. On éleva une colonne d’airain, par laquelle on promettoit un talent à celui qui le tueroit, & deux talens à celui qui le prendroit vif. Une de ses imprudences fut d’avoir pris, au défaut d’autre bois, une statue d’Hercule pour faire cuire des navets. Le vaisseau qui le portoit loin de sa patrie, ayant été accueilli par une violente tempête ; les matelots, gens superstitieux dans le danger, commencerent à se reprocher de l’avoir pris sur leur bord ; mais le philosophe leur montrant d’autres bâtimens, qui ne couroient pas moins de danger que le leur, leur demanda avec un grand sang froid, si chacun de ces vaisseaux portoit aussi un Diagoras. Il disoit dans une autre conjoncture à un Samothrace de ses amis, qui lui faisoit remarquer dans un temple de Neptune, un grand nombre d’ex voto offerts au dieu par des voyageurs qu’il avoit sauvés du naufrage, que les prêtres ne seroient pas si fiers, si l’on avoit pû tenir registre des prieres de tous les honnêtes gens que Neptune avoit laissé périr. Notre athée donna de bonnes lois aux Mantinéens, & mourut tranquillement à Corinthe.

Anaxarque d’Abdere fut plus fameux par la licence de ses mœurs, que par ses ouvrages. Il joüit de toute la faveur d’Alexandre : il s’occupa à corrompre ce jeune prince par la flaterie. Il parvint à le rendre inaccessible à la vérité. Il eut la bassesse de le consoler du meurtre de Clitus. An ignoras, lui disoit-il, jus & fas Jovi assidere, ut quidquid rex agat, id fas justumque putetur. Il avoit long-tems sollicité auprès d’Alexandre la perte de Nicocreon tyran de l’isle de Chypre. Une tempête le jetta entre les mains de ce dangereux ennemi. Alexandre n’étoit plus. Nicocreon fit piler Anaxarque dans un mortier. Ce malheureux mourut avec une fermeté digne d’un plus honnête homme. Il s’écrioit sous les coups de pilon : Anaxarchi culeum, non Anaxarchum tundis. On dit aussi de lui, qu’il se coupa la langue avec les dents, & qu’il la cracha au visage du tyran.

ELECTEURS, s. m. pl. (Hist. & droit public d’Allemagne.) On donne ce nom en Allemagne à des princes qui sont en possession du droit d’élire l’empereur. Les auteurs ne s’accordent pas sur l’origine de la dignité électorale dans l’Empire. Pasquier dans ses recherches, croit qu’après l’extinction de la race des Carlovingiens, l’élection des empereurs fut commise à six des princes les plus considérables de l’Allemagne auxquels on ajoûtoit un septieme en cas que les voix fussent partagées également. Quelques-uns prétendent que l’institution des électeurs doit être rapportée au tems d’Othon III. d’autres au tems d’Othon IV. d’autres à celui de Frederic II. Il s’est aussi trouvé des écrivains qui ont crû que c’étoit le pape de qui les électeurs dérivoient leur droit ; mais c’est une erreur, attendu que le souverain pontife n’ayant jamais eu aucun droit sur le temporel de l’Empire, n’a jamais pû conférer le privilege d’élire un empereur. Le sentiment le plus vraissemblable, est que le collége électoral prit naissance sous le regne de Frédéric II. & qu’il s’établit du consentement tacite des autres princes & états de l’Empire, qui avoient lieu d’être fatigués des troubles, de la confusion & de l’anarchie qui depuis long-tems agitoient l’Allemagne ; ces malheurs étoient des suites nécessaires des longs interregnes qui arrivoient lorsque l’élection de l’empereur se faisoit par tous les états de l’Empire. Cependant il y a des auteurs qui prétendent que les électeurs se sont arrogés pour toûjours un droit qui ne leur avoit été originairement déféré que par la nécessité des circonstances & seulement pour un tems, & que toutes choses étant rentrées dans l’ordre, les autres états de l’Empire devroient aussi rentrer dans le droit de concourir à donner un chef à l’Empire. Ce qu’il y a de certain, c’est que la bulle d’or est la premiere loi de l’Empire qui fixe le nombre des électeurs, & assigne à chacun d’eux ses fonctions : par cette loi leur nombre est fixé à sept, dont trois ecclésiastiques, & quatre laïcs. Mais en 1648, par le traité de Westphalie on créa un cinquieme électorat séculier en faveur du duc de Baviere ; enfin en 1692, on en créa un sixieme en faveur du duc de Brunswick-Lunebourg, sous le nom d’électorat de Hannovre ; mais ce prince ne fut admis sans contradiction dans le collége électoral qu’en 1708 ; de sorte qu’il y a présentement neuf électeurs, trois ecclésiastiques, savoir ceux de Mayence, de Treves & de Cologne, & six séculiers qui sont, le roi de Boheme, le duc de Baviere, le duc de Saxe, le Marggrave de Brandebourg, le comte Palatin du Rhin, & le duc de Brunswick-Hannovre. Ces électeurs sont en possession des grands offices de l’Empire qu’on appelle archi-officia Imperii.

L’électeur de Mayence est archi-chancelier de l’Empire en Germanie. L’électeur de Treves a le titre d’archi-chancelier de l’Empire pour les Gaules & le royaume d’Arles ; l’électeur de Cologne est archi-chancelier de l’Empire pour l’Italie. Ces trois électeurs sont archevêques.

Le roi de Boheme est archi-pincerna, c’est-à-dire, grand échanson de l’Empire. L’électeur de Baviere est archi-dapifer, grand-maître d’hôtel. L’électeur de Saxe est archi-marescallus, grand-maréchal. L’électeur de Brandebourg est archi-camerarius, grand-chambellan. L’électeur Palatin est archi-thesaurarius, grand-thrésorier de l’Empire. Quant à l’électeur de Hannovre, on ne lui a point encore assigné d’office. Il y a tout lieu de croire que la dignité électorale ou le droit d’élire l’empereur n’a été attaché aux grands offices de la couronne, que parce que dans les commencemens c’étoit les grands officiers qui annonçoient l’élection qui avoit été faite par tous les états de l’Empire. Le jour du couronnement, les électeurs sont tenus d’exercer leurs fonctions auprès de l’em-