vers ; d’un autre côté l’une de ces substances est figurée, & ne peut, selon ce philosophe, se concevoir distinguée & séparée de l’autre que par abstraction. Leur nature n’est pas essentiellement différente ; d’ailleurs cette ame de l’univers que Xénophane paroît avoir imaginée, & que tous les Philosophes qui l’ont suivi ont admise, n’étoit rien de ce que nous entendons par un esprit.
Physique de Xénophane. Il n’y a qu’un univers ; mais il y a une infinité de mondes. Comme il n’y a point de mouvement vrai, il n’y a en effet ni génération, ni dépérissement, ni altération. Il n’y a ni commencement, ni fin de rien, que des apparences. Les apparences sont les seules processions réelles de l’état de possibilité à l’état d’existence, & de l’état d’existence à celui d’annihilation. Les sens ne peuvent nous élever à la connoissance de la raison premiere de l’univers. Ils nous trompent nécessairement sur ses lois. Il ne nous vient de science solide que de la raison ; tout ce qui n’est fondé que sur le témoignage des sens est opinion. La Métaphysique est la science des choses ; la Physique est l’étude des apparences. Ce que nous appercevons en nous, est ; ce que nous appercevons hors de nous, nous paroît. Mais la seule vraie philosophie est des choses qui sont, & non de celles qui paroissent.
Malgré ce mépris que les Eléatiques faisoient de la science des faits & de la connoissance de la nature, ils s’en occupoient sérieusement ; ils en jugeoient seulement moins favorablement que les philosophes de leur tems. Ils auroient été d’accord avec les Pyrrhoniens sur l’incertitude du rapport des sens ; mais ils auroient défendu contre eux l’infaillibilité de la raison.
Il y a, disoient les Eléatiques, quatre élémens ; ils se combinent pour former la terre. La terre est la matiere de tous les êtres. Les astres sont des nuages enflammés : ces gros charbons s’éteignent le jour & s’allument la nuit. Le Soleil est un amas de particules ignées, qui se détruit & se reforme en 24 heures ; il se leve le matin comme un grand brasier allumé de vapeurs récentes : ces vapeurs se consument à mesure que son cours s’avance ; le soir il tombe épuisé sur la terre ; son mouvement se fait en ligne droite : c’est la distance qui donne à l’espace qu’il parcourt, une courbure apparente. Il y a plusieurs Soleils ; chaque climat, chaque zone a le sien. La Lune est un nuage condensé ; elle est habitée ; il y a des régions, des villes. Les nuées ne sont que des exhalaisons, que le Soleil attire de la surface de la terre ; est-ce l’affluence des mixtes qui se précipitent dans les mers qui les sale ? Les mers ont couvert toute la terre ; ce phénomene est démontré par la présence des corps marins sur sa surface & dans ses entrailles. Le genre humain finira lorsque la terre étant entraînée au fond des mers, cet amas d’eau se répandra également par-tout, détrempera le globe, & n’en formera qu’un bourbier ; les siecles s’écouleront, l’immense bourbier se séchera, & les hommes renaîtront. Voilà la grande révolution de tous les êtres.
Ne perdons point de vûe au milieu de ces puérilités, plusieurs idées qui ne sont point au-dessous de la philosophie de nos tems ; la distinction des élémens, leur combinaison, d’où résulte la terre ; la terre, principe général des corps ; l’apparence circulaire, effet de la grande distance ; la pluralité des mondes & des Soleils ; la Lune habitée ; les nuages formés des exhalaisons terrestres ; le séjour de la mer sur tous les points de la surface de la terre. Il étoit difficile qu’une science qui en étoit à son alphabet, rencontrât un plus grand nombre de vérités ou d’idées heureuses.
Tel étoit l’état de la philosophie éléatique, lorsque Parménide naquit. Il étoit d’Elée. Il eut Zénon pour disciple. Il s’entretint avec Socrate. Il écrivit sa phi-
si décousus, qu’on n’en peut former aucun ensemble systématique. Il y a de l’apparence qu’il donna aussi la préférence à la raison sur les sens ; qu’il regarda la Physique comme la science des opinions, & la Métaphysique comme la science des choses, & qu’il laissa l’Eléatisme spéculatif où il en étoit ; à moins qu’on ne veuille s’en rapporter à Platon, & attribuer à Parménide tout ce que le Platonisme a débité depuis sur les idées. Parménide se fit un système de physique particulier. Il regarda le froid & le chaud, ou la terre & le feu, comme les principes des êtres ; il découvrit que le Soleil & la Lune brilloient de la même lumiere, mais que l’éclat de la Lune étoit emprunté ; il plaça la terre au centre du monde ; il attribua son immobilité à sa distance égale en tout sens, de chacun des autres points de l’univers. Pour expliquer la génération des substances qui nous environnent, il disoit : le feu a été appliqué à la terre, le limon s’est échauffé, l’homme & tout ce qui a vie a été engendré ; le monde finira ; la portion principale de l’ame humaine est placée dans le cœur.
Parménide naquit dans la soixante-neuvieme olympiade. On ignore le tems de sa mort. Les Eléens l’appellerent au gouvernement ; mais des troubles populaires le dégoûterent bien-tôt des affaires publiques, & il se retira pour se livrer tout entier à la Philosophie.
Mélisse de Samos fleurit dans la 84e olympiade. Il fut homme d’état, avant que d’être philosophe. Il eût peut-être été plus avantageux pour les peuples qu’il eût commencé par être philosophe, avant que d’être homme d’état. Il écrivit dans sa retraite de l’être & de la nature. Il ne changea rien à la philosophie de ses prédécesseurs : il croyoit seulement que la nature des dieux étant incompréhensible, il falloit s’en taire, & que ce qui n’est pas est impossible ; deux principes, dont le premier marque beaucoup de retenue, & le second beaucoup de hardiesse. On croit que ce fut notre philosophe qui commandoit les Samiens, lorsque leur flote battit celle des Athéniens.
Zénon l’éléatique fut un beau garçon, que Parménide ne reçut pas dans son école sans qu’on en médît. Il se mêla aussi des affaires publiques, avant que de s’appliquer à l’étude de la philosophie. On dit qu’il se trouva dans Agrigente, lorsque cette ville gémissoit sous la tyrannie de Phalaris ; qu’ayant employé sans succès toutes les ressources de la philosophie pour adoucir cette bête féroce, il inspira à la jeunesse l’honnête & dangereux dessein de s’en délivrer ; que Phalaris instruit de cette conspiration, fit saisir Zénon & l’exposa aux plus cruels tourmens, dans l’espérance que la violence de la douleur lui arracheroit les noms de ses complices ; que le philosophe ne nomma que le favori du tyran ; qu’au milieu des supplices, son éloquence réveilla les lâches Agrigentins ; qu’ils rougirent de s’abandonner eux-mêmes, tandis qu’un étranger expiroit à leurs yeux, pour avoir entrepris de les tirer de l’esclavage ; qu’ils se soûleverent brusquement, & que le tyran fut assommé à coups de pierre. Les uns ajoûtent qu’ayant invité Phalaris à s’approcher, sous prétexte de lui révéler tout ce qu’il desiroit savoir, il le mordit par l’oreille, & ne lâcha prise qu’en mourant sous les coups que les boureaux lui donnerent. D’autres que, pour ôter à Phalaris toute espérance de connoître le fond de la conjuration, il se coupa la langue avec les dents, & la cracha au visage du tyran. Mais quelque honneur que la Philosophie puisse recueillir de ces faits, nous ne pouvons nous en dissimuler l’incertitude. Zénon ne vécut ni sous Phalaris, ni sous Denis ; & l’on raconte les mêmes choses d’Anaxarque.
Zénon étoit grand dialecticien. Il avoit divisé sa