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Cette écriture symbolique, premier fruit de l’Astronomie, fut employée à instruire le peuple de toutes les vérités, de tous les avis, & de tous les travaux nécessaires. On eut donc soin dans les commencemens de n’employer que les figures, dont l’analogie étoit le plus à portée de tout le monde ; mais cette méthode fit donner dans le rafinement, à mesure que les Philosophes s’appliquerent aux matieres de spéculation. Aussi-tôt qu’ils crurent avoir découvert dans les choses des qualités plus abstruses, quelques-uns, soit par singularité, soit pour cacher leurs connoissances au vulgaire, se plurent à choisir pour caracteres des figures dont le rapport aux choses qu’ils vouloient exprimer, n’étoit point connu. Pendant quelque tems ils se bornerent aux figures dont la nature offre des modeles ; mais dans la suite, elles ne leur parurent ni suffisantes, ni assez commodes pour le grand nombre d’idées que leur imagination leur fournissoit. Ils formerent donc leurs hiéroglyphes de l’assemblage mystérieux de choses différentes, ou de parties de divers animaux ; ce qui rendit ces figures tout-à-fait énigmatiques.

Enfin l’usage d’exprimer les pensées par des figures analogues, & le dessein d’en faire quelquefois un secret & un mystere, engagea à représenter les modes mêmes des substances par des images sensibles. On exprima la franchise par un lievre, l’impureté par un bouc sauvage, l’impudence par une mouche, la science par une fourmi ; en un mot, on imagina des marques symboliques pour toutes les choses qui n’ont point de forme. On se contenta dans ces occasions d’un rapport quelconque : c’est la maniere dont on s’étoit déjà conduit, quand on donna des noms aux idées qui s’éloignent des sens.

Jusque-là l’animal ou la chose qui servoit à représenter, avoit été dessinée au naturel ; mais lorsque l’étude de la Philosophie, qui avoit occasionné l’écriture symbolique, eut porté les savans d’Egypte à écrire sur beaucoup de sujets, ce dessein ayant trop multiplié les volumes, parut ennuyeux. On se servit donc par degré d’un autre caractere, que nous pouvons appeller l’écriture courante des hiéroglyphes ; il ressembloit aux caracteres chinois ; & après avoir été formé du seul contour de la figure, il devint à la longue une sorte de marque.

L’effet naturel que produisit cette écriture courante, fut de diminuer beaucoup de l’attention qu’on donnoit au symbole, & de la fixer à la chose signifiée ; par ce moyen l’étude de l’écriture symbolique se trouva fort abregée, puisqu’il n’y avoit alors presque aurre chose à faire qu’à se rappeller le pouvoir de la marque symbolique : au lieu qu’auparavant il falloit être instruit des propriétés de la chose ou de l’animal qui étoit employé comme symbole ; en un mot, cela réduisit cette sorte d’écriture à l’état où est présentement celle des Chinois. Voy. plus bas Ecriture Chinoise.

Ce caractere courant est proprement celui que les anciens ont appellé hiérographique, & que l’on a employé par succession de tems dans les ouvrages qui traitoient des mêmes sujets que les anciens hiéroglyphes. On trouve des exemples de ces caracteres hiérographiques dans quelques anciens monumens ; on en voit presque à tous les compartimens de la table isiaque, dans les intervalles qui se rencontrent entre les plus grandes figures humaines.

L’écriture étoit dans cet état, & n’avoit pas le moindre rapport avec l’écriture actuelle. Les caracteres dont on s’étoit servi, représentoient des objets ; celle dont nous nous servons, représente des sons : c’est un art nouveau. Un génie heureux, on prétend que ce fut le secrétaire d’un des premiers rois de l’Egypte, appellé Thoït, Thoot, ou Thot, sentit que le discours, quelque varié & quelque étendu qu’il

puisse être pour les idées, n’est pourtant composé que d’un assez petit nombre de sons, & qu’il ne s’agissoit que de leur assigner à chacun un caractere représentatif. Il abandonna donc l’écriture représentative des êtres, qui ne pouvoit s’étendre à l’infini, pour s’en tenir à une combinaison, qui quoique très bornée (celle des sons), produit cependant le même effet.

Si on y refléchit (dit M. Duclos, le premier qui ait fait ces observations qui ne sont pas moins justes que délicates), on verra que cet art ayant été une fois conçu, dut être formé presqu’en même tems ; & c’est ce qui releve la gloire de l’inventeur. En effet, après avoir eu le génie d’appercevoir que les sons d’une langue pouvoient se décomposer & se distinguer, l’énumération dut en être bien-tôt faite ; il étoit bien plus facile de compter tous les sons d’une langue, que de découvrir qu’ils pouvoient se compter. L’un est un coup de génie ; l’autre un simple effet de l’attention. Peut-être n’y a-t-il jamais eu d’alphabet complet, que celui de l’inventeur de l’écriture. Il est bien vraissemblable que s’il n’y eut pas alors autant de caracteres qu’il nous en faudroit aujourd’hui, c’est que la langue de l’inventeur n’en exigeoit pas davantage. L’orthographe n’a été parfaite qu’à la naissance de l’écriture.

Quoi qu’il en soit, toutes les especes d’écritures hiéroglyphiques, quand il falloit s’en servir dans les affaires publiques, pour envoyer les ordres du roi aux généraux d’armée & aux gouverneurs des provinces éloignées, étoient sujettes à l’inconvénient inévitable d’être imparfaitement & obscurément entendues. Thoot, en faisant servir les lettres à exprimer des mots, & non des choses, evita tous les inconvéniens si préjudiciables dans ces occasions, & l’écrivain rendit ses instructions avec la plus grande clarté & la plus grande précision. Cette méthode eut encore cet avantage, que comme le gouvernement chercha sans doute à tenir l’invention secrete, les lettres d’état furent pendant du tems portées avec toute la sûreté de nos chiffres modernes. C’est ainsi que l’écriture en lettres, appropriée d’abord à un pareil usage, prit le nom d’épistolique : du moins je n’imagine pas, avec M. Warburthon, qu’on puisse donner une meilleure raison de cette dénomination.

Le lecteur apperçoit à présent que l’opinion commune, qui veut que ce soit la premiere écriture hiéroglyphique, & non pas la premiere écriture en lettres, qui ait été inventée pour le secret, est précisément opposée à la vérité ; ce qui n’empêche pas que dans la suite elles n’ayent changé naturellement leur usage. Les lettres sont devenues l’écriture commune, & les hiéroglyphiques devinrent une écriture secrete & mystérieuse.

En effet, une écriture qui en représentant les sons de la voix peut exprimer toutes les pensées & les objets que nous avons coûtume de désigner par ces sons, parut si simple & si féconde qu’elle fit une fortune rapide. Elle se répandit par-tout ; elle devint l’écriture courante, & fit négliger la symbolique, dont on perdit peu-à-peu l’usage dans la société, de maniere qu’on en oublia la signification.

Cependant, malgré tous les avantages des lettres, les Egyptiens long-tems après qu’elles eurent été trouvées, conserverent encore l’usage des hiéroglyphes : c’est que toute la science de ce peuple se trouvoit confiée à cette sorte d’écriture. La vénération qu’on avoit pour les hommes, passa aux caracteres dont les savans perpétuerent l’usage ; mais ceux qui ignoroient les Sciences, ne furent pas tentés de se servir de cette écriture. Tout ce que put sur eux l’autorité des savans, fut de leur faire regarder ces caracteres avec respect, & comme des choses propres à embellir les monumens publics, où l’on con-