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bes. On leur donne le nom de bras, parce que leur conformation est différente de celle des jambes, & que l’animal ne s’en sert que pour marcher. La premiere jambe de chaque côté est composée de cinq parties distinguées par des articulations : la derniere partie a une serre composée de deux pinces ; elle est fort grosse en comparaison des autres parties, qui sont d’autant plus minces, qu’elles se trouvent placées plus près du corps : on voit souvent que la grosseur de l’une des serres est bien différente de celle de l’autre. Les autres jambes sont plus courtes & plus minces ; la seconde & la troisieme de chaque côté sont fourchues à l’extrémité, les autres sont terminées par une seule pointe. La queue est large, allongée, convexe par-dessus, & creusée en gouttiere par-dessous ; elle est recouverte par cinq écailles en forme de tables transversales.

Les grosses jambes des écrevisses étant beaucoup plus minces près du corps qu’à l’extrémité, c’est peut-être ce qui les fait casser, même lorsque l’animal ne se donne que des mouvemens à l’ordinaire. La jambe se casse entierement dans la quatrieme partie près de la quatrieme jointure. Cette séparation ne se fait pas à l’endroit de l’articulation, quoiqu’il ne soit recouvert que par une membrane plus mince que du parchemin, mais dans l’écaille qui forme la quatrieme partie de la jambe. Cette écaille est composée de plusieurs pieces réunies par deux & quelquefois trois sutures ; c’est dans ces sutures, surtout dans celles du milieu, que la jambe se casse : l’adhérence de ces sutures est si foible, qu’il ne faut pas un grand effort pour les ouvrir ; aussi lorsqu’on tient une écrevisse par la pince, elle se casse la jambe en tâchant de la dégager.

Il n’y a rien de surprenant dans cette fracture, mais le phénomene qui la suit est très-merveilleux : la portion de la jambe qui a été séparée du reste se reproduit de nouveau, & devient avec le tems parfaitement semblable à l’ancienne ; soit que la fracture ait été faite par un mouvement de l’animal, soit qu’on lui ait coupé ou cassé la jambe de dessein prémédité, à l’endroit où elle se casse ordinairement ou dans un autre endroit, il renaît toûjours une portion semblable à celle qui a été enlevée. Mais lorsqu’on ne la casse qu’à la premiere, à la seconde, ou même à la troisieme articulation, la reproduction se fait beaucoup plus lentement que dans le cas où la jambe a été cassée dans la quatrieme partie près de la quatrieme articulation ; & il arrive pour l’ordinaire, que la jambe se casse une seconde fois dans cet endroit avant que la reproduction se fasse.

Les jours les plus chauds sont les plus propres à cette reproduction, par conséquent les progrès sont proportionnés à la température de la saison. Lorsqu’on casse la jambe d’une écrevisse dans les mois de Juin ou de Juillet, deux jours après on voit une espece de membrane plane & rougeâtre sur les chairs qui sont à l’endroit de la fracture ; au septieme jour la membrane est convexe, & ensuite elle s’allonge dans le milieu. Cette membrane enveloppe, pour ainsi dire, le germe de la nouvelle portion de jambe, qui ne paroît au-dehors que comme une excroissance conique, dont la longueur est quelquefois de trois lignes à dix jours ; alors la membrane devient blanche : au bout de douze ou quinze jours l’excroissance se recourbe vers la tête de l’animal, ensuite sa courbure augmente, & elle commence à prendre la figure d’une jambe d’écrevisse. A un mois ou cinq semaines, si c’est en été, ou après huit ou neuf mois si c’est dans une autre saison, sa longueur est de six ou sept lignes : on y distingue quelques jointures, sur-tout la premiere, & on voit une ligne qui marque la séparation des deux pinces. Alors la membrane se déchire, & la jambe paroît à découvert ;

elle est encore molle, mais en peu de jours elle se recouvre d’une écaille aussi dure que celle de la jambe de l’autre côté, & elle n’en differe que par la longueur & la grosseur. Cette portion de jambe nouvellement reproduite, n’a qu’environ la moitié de la longueur de celle qui a été enlevée ; elle est fort déliée : cependant elle est capable de toutes ses fonctions, & il y a lieu de croire qu’elle grossit dans la suite & dans le tems où l’autre jambe ne prend plus d’accroissement. De cette façon elles peuvent se trouver aussi grosses & aussi longues l’une que l’autre, & on peut expliquer la différence de grosseur qui se trouve entre les jambes de plusieurs écrevisses. Les cornes, les bras, les petites jambes, & plusieurs autres parties de l’écrevisse se reproduisent à-peu-près comme les grosses jambes ; mais on a tenté inutilement de faire reparoître une nouvelle queue, & on ne sait pas combien de fois de suite la reproduction d’une même partie peut se faire sur le même animal.

La mue des écrevisses n’est pas moins digne de l’attention des Naturalistes, que la reproduction de ses membres. Par cette mue, ces animaux se dépouillent chaque année, non-seulement de leur écaille, mais aussi de toutes leurs parties cartilagineuses & osseuses : ils sortent de leur écaille, & la laissent entierement vuide. La mue ne se fait jamais avant le mois de Mai, ni après le mois de Septembre. Les écrevisses cessent de prendre de la nourriture solide quelques jours avant leur dépouillement ; alors si on appuie le doigt sur l’écaille, elle plie, ce qui prouve qu’elle n’est plus soûtenue par les chairs. Quelque tems avant l’instant de la mue, l’écrevisse frotte ses jambes les unes contre les autres, se renverse sur le dos, replie & étend sa queue à différentes fois, agite ses cornes, & fait d’autres mouvemens sans doute afin de se détacher de l’écaille qu’elle va quitter. Pour en sortir, elle gonfle son corps ; & il se fait entre la premiere des tables de la queue & la grande écaille qui s’étend depuis la queue jusqu’à la tête, une ouverture qui met à découvert le corps de l’écrevisse ; il est d’un brun foncé, tandis que la vieille écaille est d’un brun verdâtre. Après cette rupture l’animal reste quelque tems en repos ; ensuite il fait différens mouvemens, & gonfle les parties qui sont sous la grande écaille ; la partie postérieure de cette écaille est bien-tôt soûlevée, & l’antérieure ne reste attachée qu’à l’endroit de la bouche ; alors il ne faut plus qu’un demi-quart-d’heure ou un quart-d’heure pour que l’écrevisse soit entierement dépouillée. Elle tire sa tête en-arriere, dégage ses yeux, ses cornes, ses bras, & successivement toutes ses jambes. Les deux premieres paroissent les plus difficiles à dégainer, parce que la derniere des cinq parties dont elles sont composées, est beaucoup plus grosse que l’avant-derniere ; mais on conçoit aisément cette opération, quand on sait que chacun des tuyaux écailleux qui forment chaque partie, est de deux pieces longitudinales, qui s’écartent l’une de l’autre dans le tems de la mue. Enfin, l’écrevisse se retire de dessous la grande écaille, & aussi-tôt elle se donne brusquement un mouvement en-avant, étend la queue, & la dépouille de ses écailles. C’est ainsi que finit l’opération de la mue, qui est si violente, que plusieurs écrevisses en meurent, sur-tout les plus jeunes ; celles qui y résistent sont très-foibles. Après la mue leurs jambes sont molles, & l’animal n’est recouvert que d’une membrane ; mais en deux ou trois jours, & quelquefois en 24 heures, cette membrane devient une nouvelle écaille aussi dure que l’ancienne. Cet accroissement est très-prompt : les observations suivantes ont donné lieu de croire que la matiere, qui est nécessaire pour consolider la nouvelle écaille, vient des pierres que l’on appelle communément yeux d’écrevisse à cause de leur figure ron-