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Mais je ne dois pas taire qu’en parcourant les fastes anatomiques, j’ai trouvé deux exemples de doigts surnuméraires sans difformité ni incommodité. Ces deux exemples curieux termineront mon article.

En 1743, MM. de l’académie des Sciences virent dans une de leurs assemblées un petit garçon âgé de seize mois, qui avoit six doigts à chaque main & à chaque pié ; le sixieme doigt de la main droite étoit à côté du petit doigt, & articulé avec le même os du métacarpe, qui vers son extrémité étoit plus large qu’à l’ordinaire, & s’y terminoit par deux petites éminences, dont l’une soûtenoit le petit doigt ordinaire, & l’autre le doigt surnuméraire. A la main gauche le doigt surnuméraire étoit aussi à côté du petit doigt ordinaire, mais articulé sur un os particulier ou surnuméraire du métacarpe ; le sixieme doigt de chaque pié étoit comme aux mains à côté du petit doigt, & ils avoient chacun leur os propre de métatarse ; de sorte qu’au lieu de cinq os à l’ordinaire, chaque métatarse en avoit six. Cette augmentation de doigts faisoit seulement paroître un peu plus de largeur aux mains & aux piés de l’enfant, mais sans difformité, & même il remuoit tous les doigts surnuméraires avec la même facilité que les autres. Hist. de l’acad. année 1743.

Thomas Bartholin dans les actes de Copenhague, rapporte un exemple tout semblable à celui-ci, d’un negre qui n’étoit point incommodé de cette multiplication de doigts, & qui paroissoit au contraire, dit Bartholin, l’avoir reçu de la nature pour un plus grand avantage. Acta Hafniensia, vol. II. n. 32.

Cependant il ne faut pas abuser des deux cas singuliers que nous venons de citer, pour laisser les doigts surnuméraires aux enfans qui viennent au monde, car il est certain qu’ils causent presque toûjours une difformité & une incommodité qui demande leur extirpation ; l’Anatomie souffre cette extirpation, & la Chirurgie l’exécute avec succès. Voyez l’article suiv. Article de M. le Chev. de Jaucourt.

Doigt. (Chirurg.) Les doigts sont sujets à quelques difformités de naissance, & pendant le cours de la vie à mille fâcheux accidens.

Les deux principaux défauts de conformation des doigts sont d’être doubles ou unis ensemble.

Les doigts surnuméraires ne sont presque jamais aussi-bien formés que les autres. Ils sont presque toûjours inutiles ou incommodes ; ils sont communément placés en-dehors de la main ou du pié, proche le petit doigt ; ils n’ont pour l’ordinaire point d’os, & quelquefois point d’ongles. Enfin ils sont comme des appendices charnues qui pendent à la main, & qui par conséquent demandent d’être extirpées ; comme l’opération s’en fait avec succès, tout concourt à la mettre en pratique. Alors, s’il se trouve quelque phalange osseuse ou cartilagineuse qui attache ces sortes de doigts fortement, on peut se servir d’une petite tenaille incisive pour couper le tout à la fois. Le pansement étant le même que celui des plaies simples, il est inutile de nous y arrêter. Passons à l’union des doigts contre nature.

Personne n’ignore qu’il arrive quelquefois que les orteils & les doigts des enfans nouveau-nés, ne sont point séparés, mais tiennent ensemble : ce qui se fait en deux manieres, ou par union, ou par agglutination. On appelle union, quand l’enfant venant au monde, a les doigts adhérens & comme collés les uns avec les autres, ou attachés ensemble par une membrane intermédiate en forme de patte d’oie. On appelle agglutination, lorsqu’après des ulceres ou quelque grande brûlure qui a dépouillé la main de sa peau, on laisse par négligence les doigts se coller & se joindre.

Comme une pareille cohésion défigure la main & cause plusieurs autres inconvéniens, le chirurgien

doit la séparer avec le plus de dextérité qu’il lui est possible : il a deux moyens d’y réussir ; ou en coupant la tunique intermédiate, soit avec des ciseaux, soit avec le scalpel ; ou si les doigts tiennent ensemble, sans qu’il y ait de membrane, en les séparant les uns des autres avec un petit bistouri. Pour empêcher qu’ils ne se recollent durant la cure, il faut les envelopper séparément d’un doigtier, ou d’une petite bande de linge d’environ un travers de doigt de large, après l’avoir empregnée d’eau de chaux, d’esprit-de-vin, ou de quelque eau vulnéraire, jusqu’à ce que le malade soit parfaitement guéri.

Mais les vices de conformation sont peu de chose, si on les compare à la multitude des maux auxquels nos doigts sont exposés depuis la naissance. En effet ils peuvent être déjettés, luxés, courbés, coupés, fracturés, écrasés, gangrenés, gelés, cancérés, &c. Disons un mot de chacun de ces cas.

Le déjettement des doigts n’est pas communément dangereux ; les enfans se les défigurent ainsi assez souvent, en se les tiraillant pour les faire claquer. Cet amusement disloque les doigts, & les fait déjetter tantôt à droite, tantôt à gauche. Pour y remédier, il faut leur appliquer des lames de fer blanc enveloppées d’un linge, & les fixer par un bandage qui les tienne assujettis pendant quelque tems dans leur état naturel.

Les doigts de la main peuvent se luxer à chaque phalange, & en tout sens ; cependant cette luxation est aussi facile à découvrir qu’à réduire ; car comme les ligamens sont foibles, la graisse & les muscles peu épais, & les cavités des articulations superficielles, tout l’office du chirurgien se réduit à faire l’extension d’une main, & la réduction de l’autre, en y employant les bandages convenables.

Une main est très-défigurée par des doigts courbes & crochus ; outre que cela est fort incommode pour celui qui les porte, parce que ne pouvant pas les étendre, ni trop bien les employer, il se trouve dans l’impuissance de s’en servir dans beaucoup d’occasions : & là où il le peut, c’est toûjours de mauvaise grace. Cette difformité est presque ordinairement sans remede. On tâchera cependant, quand elle procede d’une anchilose dans les jointures, de l’amollir & de la traiter suivant les regles de l’art. Si la difformité vient d’une cicatrice mal faite qui empêche le doigt de se redresser, il faut le débrider, mettre ensuite deux petites éclisses droites, l’une dessus, l’autre dessous le doigt, qu’on maintiendra par un bandage, & qu’on serrera tous les jours un peu plus, jusqu’à ce que le doigt ait repris sa figure naturelle.

Si on s’étoit coupé un doigt avec un instrument tranchant, sans qu’il fût entierement séparé de la main, il faut, quelque considérable que soit la plaie, remettre le doigt dans son premier état, le panser, & le maintenir ; & quand même la partie seroit presque séparée de la main, ne tenant plus qu’à un filet, pourvû que la plaie soit oblique & récente, les habiles chirurgiens conseillent toûjours de remettre le doigt dans sa situation naturelle, de l’y retenir avec un emplâtre, & d’essayer de le réunir peu-à-peu ; car il vaut encore mieux tenter la réunion des parties par ce moyen, quoiqu’elle réussisse peu souvent, que de couper par impatience le doigt qu’on eût pû sauver.

Lorsque les tendons extenseurs des doigts ont été coupés transversalement, les doigts perdent leur action, & le blessé ne peut les étendre. En ce cas quelques chirurgiens proposent de réunir les tendons divisés, au moyen de la suture enchevillée ; mais cette espece de suture abandonnée par nos ancêtres, & renouvellée par feu M. Bienaise, est aujourd’hui pratiquée très-rarement. Presque tous les modernes la