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quelles ils ont de la ressemblance & de la sympathie par la vie qui leur a été commune. Il faut encore admettre une sorte de génies subordonnés aux dieux, & ministres de leur bienfaisance dont ils sont épris, & qu’ils imitent. Ils sont le milieu à-travers lequel les êtres célestes prennent une forme qui nous les rend visibles ; le véhicule qui porte à nos oreilles les choses ineffables, & à notre entendement l’incompréhensible ; la glace qui fait passer dans notre ame des images qui n’étoient point faites pour y pénétrer sans son secours.

6. Ce sont ces deux classes qui forment le lien & le commerce des dieux & des ames, qui rendent l’enchaînement des choses célestes indissoluble & continu, qui facilitent aux dieux le moyen de descendre jusqu’aux hommes, des hommes jusqu’aux derniers êtres de la nature, & à ces êtres de remonter jusqu’aux dieux.

7. L’unité, une existence plus parfaite que celle des êtres inférieurs, l’immutabilité, l’immobilité, la puissance de mouvoir sans perdre l’immobilité, la providence, sont encore des qualités communes des dieux. On peut conjecturer par la différence des extrèmes, quelle est celle des intermédiaires. Les actions des dieux sont excellentes, celles des ames sont imparfaites. Les dieux peuvent tout, également, en même tems, sans obstacle, & sans délai. Il y a des choses qui sont impossibles aux ames ; il leur faut du tems pour toutes celles qu’elles peuvent ; elles ne les exécutent que séparément, & avec peine. La divinité produit sans effort, & gouverne : l’ame se tourmente pour engendrer, & sert. Tout est soûmis aux dieux, jusqu’aux actions & à l’existence des ames : ils voyent les essences des choses, & le terme des mouvemens de la nature. Les ames passent d’un effet à un autre, & s’élevent par degré. La divinité est incompréhensible, incommensurable, illimitée. Les ames éprouvent toutes sortes de passions & de formes. L’intelligence qui préside à tout, la raison universelle des êtres est présente aux dieux sans nuage & sans réserve, sans raisonnement & sans induction, par un acte pur, simple, & invariable. L’ame n’en est éclairée qu’imparfaitement & par intervalle. Les dieux ont donné les lois à l’univers : les ames suivent les lois données par les dieux.

8. C’est la vie que l’ame a reçue dans le commencement, & le premier mouvement de sa volonté, qui ont déterminé l’espece d’être organique qu’elle informeroit, & la tendance qu’elle auroit à se perfectionner ou à se détériorer.

9. Les choses excellentes & universelles contiennent en elles la raison des choses moins bonnes & moins générales. Voilà le fondement des révolutions des êtres, de leurs émanations, de l’éternité de leur principe élémentaire, de leur rapport indélébile avec les choses célestes, de leur dépravation, de leur perfectibilité, & de tous les phénomenes de la nature humaine.

10. Les dieux ne sont attachés à aucune partie de l’univers : ils sont présens même aux choses de ce monde : ils contiennent tout & rien ne les contient : ils sont partout ; tout en est rempli. Si la divinité s’empare de quelque substance corporelle, du ciel, de la terre, d’une ville sacrée, d’un bois, d’une statue, son empire & sa présence s’en répandent au-dehors, comme la lumiere s’échappe en tout sens du soleil. La substance en est pénétrée. Elle agit au-dedans & à l’extérieur, de près & au loin, sans affoiblissement & sans interruption. Les dieux ont ici bas différens domiciles, selon leur nature ignée, terrestre, aërienne, aquatique. Ces distinctions & celles des dons qu’on en doit attendre, sont les fondemens de la théurgie & des évocations.

12. L’ame est impassible ; mais sa présence dans

un corps rend passible l’être composé. Si cela est vrai de l’ame, à plus forte raison des héros, des démons, & des dieux.

11. Les démons & les dieux ne sont pas également affectés de toutes les parties d’un sacrifice ; il y a le point important, la chose énergique & secrette : ils ne sont pas non plus également sensibles à toutes sortes de sacrifices. Il faut aux uns des symboles, aux autres ou des victimes, ou des représentations, ou des hommages, ou de bonnes œuvres.

12. Les prieres sont superflues. La bienfaisance des dieux, qui connoît nos véritables besoins, est attentive à prévenir nos demandes. Les prieres ne sont qu’un moyen de s’élever vers les dieux, & d’unir son esprit au leur. C’est ainsi que le prêtre se garantit des passions, conserve sa pureté, &c.

13. Si l’idée de la colere des dieux étoit mieux connue, on ne chercheroit point à l’appaiser par des sacrifices. La colere céleste n’est point un ressentiment de la part des dieux, dont la créature ait à craindre quelque mauvais effet ; c’est une aversion de sa part pour leur bienfaisance. Les holocaustes ne sont utiles, que quand elles sont la marque de la résipiscence. C’est un pas que le coupable a fait vers les dieux dont il s’étoit éloigné : le méchant fuit les dieux, mais les dieux ne le poursuivent point ; c’est lui seul qui se rend malheureux, & qui se perd par sa méchanceté.

14. Il est pieux d’attendre des dieux tout le bien qu’il leur est imposé par la nécessité de leur nature. Il est impie de croire qu’on leur fait violence. Il ne faut donc s’adresser aux dieux, que pour se rendre meilleur soi-même. Si les lustrations ont écarté de dessus nos têtes quelques calamités imminentes, c’étoit afin que nos ames n’en reçussent aucune tache.

15. Ce n’est point par des organes que les dieux nous entendent ; c’est qu’ils ont en eux la raison & les effets de toutes les prieres des hommes pieux, & sur-tout de leurs ministres. Ils sont présens à ces hommes consacrés, & nous parlons immédiatement aux dieux par leur intermission.

16. Les astres que nous appellons des dieux, sont des substances très-analogues à ces êtres immatériels ; mais c’est à ces êtres qu’il faut spécialement s’adresser dans les astres qu’ils informent. Ils sont tous bienfaisans ; il s’en écoule sur les corps des influences indélébiles. Il n’y a pas un point de l’espace où leurs vertus ne fassent sentir leur énergie ; mais leur action sur les parties de l’Univers est proportionnée à la nature de ces parties. Elle répand de la diversité ; mais elle ne produit jamais aucun mal absolu.

17. Ce n’est pas que ce qui est excellent, relativement à l’harmonie universelle, ne puisse devenir nuisible à quelque partie en particulier.

18. Les dieux intelligibles qui président aux spheres célestes, sont des êtres originaires du monde intelligible ; & c’est par l’attention qu’ils donnent à leurs propres idées, en se renfermant en eux-mêmes, qu’ils gouvernent les cieux.

19. Les dieux intelligibles ont été les paradigmes des dieux sensibles. Ces simulacres une fois engendrés ont conservé sans aucune altération l’empreinte des êtres divins dont ils étoient les images.

20. C’est cette ressemblance inaltérable que nous devons regarder comme la base du commerce éternel qui regne entre les dieux de ce monde & les dieux du monde supérieur. C’est par cette analogie indestructible que tout ce qui en émane revient à l’être unique dont il est l’émanation & en est réabsorbé. C’est l’identité qui lie les dieux entr’eux dans le monde intelligible & dans le monde sensible ; c’est la similitude qui établit le commerce des dieux d’un monde aux dieux de l’autre.