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tout a été consumé par le tems, ou enlevé par les Anglois, lorsque Roüen se rendit à Philippe-Auguste, ou lorsque les Anglois s’emparerent de la province en 1416 & 1417, ou enfin lorsqu’ils en furent chassés après la bataille de Formigny, gagnée sur eux par Charles VII. en 1450.

On croit même qu’il seroit difficile de trouver les premiers registres de l’échiquier, depuis la réunion de la Normandie à la couronne sous Philippe-Auguste, jusqu’au 23 Mars 1302, que Philippe-le-Bel pour le soulagement de ses sujets, ordonna qu’il se tiendroit par an deux échiquiers à Roüen : quod duo parlamenta Parisiis, & duo scanaria Rothomagi, diesque trecenses bis tenebuntur in anno propter commodum subjectorum, & expeditionem causarum.

Cette ordonnance ne fut cependant pas toûjours ponctuellement exécutée pour le lieu de la séance de l’échiquier : car quoique depuis ce tems il se tînt ordinairement à Roüen, on le tenoit aussi quelquefois à Caën, & quelquefois à Falaise, sur-tout dans les tems de troubles & de l’invasion des Anglois.

Suivant l’ordonnance de Philippe-le-Bel, il dut y avoir depuis 1302 jusqu’en 1317, trente échiquiers : néanmoins on n’en trouve aucun de ce tems ; ce qui provient sans doute de l’éloignement des tems, des troubles & guerres civiles, & autres, & des changemens faits dans les dépôts publics.

Depuis 1317, il se trouve deux auteurs qui ont donné quelque éclaircissement sur les échiquiers ; savoir Guillaume le Rouillé d’Alençon, dans les notes qu’il a données en 1539 sur l’ancien coûtumier, & Me Fr. Favin prieur du Val, en son histoire de Roüen.

Le premier de ces auteurs, part. II. ch. iij. jv. & v. a donné le catalogue des échiquiers tenus à Roüen depuis 1317 jusqu’en 1397, qu’il dit avoir extrait des registres de l’échiquier, étant au greffe de la cour.

Suivant cet auteur, l’échiquier étoit proprement une assemblée de tous les notables de la province ; une espece de parlement ambulatoire, qui se tenoit deux fois par an pendant trois mois, savoir au commencement du printems, & à l’entrée de l’automne. Il marque le nom des prélats & des nobles qui y avoient séance à cause de leurs terres ; le rang que chacun y tenoit ; ceux qui y avoient voix délibérative ; l’obligation où l’on étoit d’y appeller les baillis, lieutenans-généraux civils & criminels, les avocats & procureurs du roi des bailliages, les vicomtes, le grand-maître des eaux & forêts, les lieutenans de l’amirauté, les verdiers, les baillis & sénéchaux des hauts-justiciers, & les avocats & procureurs, pour recorder l’usance & style de la province.

Sur les hauts siéges du lieu où se tenoit l’échiquier, il n’y avoit que les présidens & autres juges députés par le roi, lesquels avoient seuls droit de juger : derriere eux à même hauteur, étoient à droite les abbés, doyens, & autres ecclésiastiques, & à gauche les comtes, barons, & autres nobles, qui avoient séance à l’échiquier. Toutes ces personnes avoient seulement séance en l’échiquier, & non voix délibérative, n’y étant appellés que pour y donner de l’ornement, comme il est dit dans l’échiquier de 1426.

Sur des siéges plus bas que ceux des juges, étoient les baillis, procureurs du roi, les vicomtes, & autres officiers, les avocats.

Aux derniers échiquiers, les ecclésiastiques & les nobles demanderent d’être dispensés de comparoir en personne : ce qui leur fut accordé ; au lieu qu’auparavant on les condamnoit à l’amende, quand ils n’avoient point d’excuse légitime. En effet on trouve que dans un échiquier du 18 Avril 1485, Charles VIII. assisté du duc d’Orléans, du connétable, du duc de Lorraine, des comtes de Richemont, de Vendôme, & d’Albret, du prince d’Orange, du chance-

lier & de toute sa cour, étant en son lit de justice en l’échiquier de Roüen, condamna en l’amende le comte d’Eu pour ne s’y être pas trouvé, quoique son bailli d’Eu, qui étoit présent avec les autres officiers, l’eût excusé sur son grand âge & ses indispositions. On lui fit en même tems défense de tenir aucune jurisdiction durant les échiquiers, ni même à Arques, pendant les plaids suivans.

Il y avoit aussi quelques ecclésiastiques & nobles de la province de Bretagne, qui devoient comparence à l’échiquier de Normandie, & qui furent appellés dans celui de 1485, & dans les suivans ; savoir les évêques de Saint-Brieux, de Saint-Malo, & de Dol : & pour les nobles, les barons de Rieux, de Guemené, & de Condé-sur-Noireau, le baron d’Erval Deslandelles, le vicomte de Pomers, baron de Marée.

Rouillé assûre aussi que la plûpart des échiquiers qu’il a vû au greffe du parlement de Roüen, sont en latin ; que le plus ancien registre commence au terme de la S. Michel 1317, & finit au même terme de l’an 1431 ; qu’il est intitulé, arrêts de l’échiquier de Roüen, du terme de S. Michel de l’an 1317.

Cet auteur n’a pas rapporté tous les échiquiers tenus depuis 1317, mais seulement les ordonnances qui furent faites dans plusieurs de ces échiquiers, soit avant l’érection de l’échiquier en cour sédentaire, en la ville de Roüen, ou depuis : ceux dont il sait mention, sont de l’an 1383 au terme de S. Michel ; 1426 1462, 1463, & 1464, tous au terme de Pâques ; 1469, 1487, & 1497, au terme de S. Michel ; & ceux de 1501 & 1507, qui sont postérieurs à l’érection de l’échiquier, en cour sédentaire.

Pour ce qui est de Favin, en son histoire de Roüen, il fait mention de 35 échiquiers tenus à Roüen ; mais il en manque dans les intervalles un grand nombre d’autres, qui ont apparemment été tenus ailleurs : ceux dont il parle sont des années 1317, 1336, 1337, 1338, 1342, 1343, 1344, 1345, 1346, 1348, 1390, 1391, 1395, 1397, 1398, 1399, 1400, 1401, 1408, 1423, 1424, 1426, 1453, 1454, 1455, 1456, 1464, 1466, 1469, 1474, 1484, 1485, 1490, & 1497. Il rapporte beaucoup de choses curieuses qui se sont passées dans plusieurs de ces échiquiers, & qui sont répandues dans le recueil d’arrêts de M. Froland.

L’échiquier, tandis qu’il fut ambulatoire, étoit sujet à beaucoup d’inconvéniens ; outre l’embarras pour les juges & les parties de se transporter tantôt dans un endroit, & tantôt dans un autre, les prélats & magistrats qui étoient commis pour le tenir, étant la plûpart étrangers à la province, en connoissoient peu les usages, ou même les ignoroient totalement : d’où il arrivoit souvent que les affaires restoient indécises. C’est pourquoi, dans l’assemblée des états généraux de Normandie, tenue en 1498, il avoit été délibéré de rendre l’échiquier perpétuel ; & en 1499, les prélats, barons, seigneurs, & premiers officiers, avec les gens des trois états de Normandie, demanderent à Louis XII. qu’il lui plût d’ériger l’échiquier en cour sédentaire de la ville de Roüen. Le roi qui aimoit la Normandie dont il avoit été gouverneur, lorsqu’il n’étoit encore que duc d’Orléans, sollicité vivement d’ailleurs par le cardinal d’Amboise archevêque de Roüen, accorda la demande par un édit du mois d’Avril de la même année.

Suivant cet édit, le roi établit dans Roüen un corps de justice souveraine, sédentaire, & perpétuelle, composée de quatre présidens, dont le premier & le troisieme devoient être clercs, & le second & le quatrieme laïques ; de treize conseillers clercs, & quinze laïques ; deux greffiers, un pour le civil, un pour le criminel ; des notaires & se-