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puits d’un nommé Lorri. On a depuis appellé piloris les autres poteaux ou carcans semblables, & ce terme est souvent confondu avec celui d’échelle.

Bacquet, Loisel, & Despeisses font cependant une différence entre pilori & échelle, non-seulement quant à la forme, mais quant au droit. Ils prétendent qu’un seigneur haut-justicier ne peut avoir pilori dans une ville où le roi en a un ; qu’en ce cas le seigneur doit se contenter d’avoir une échelle ou carcan comme on en voit à Paris, & ainsi que l’observe l’auteur du grand coûtumier, tit. des droits appartenans au roi ; mais je crois plûtôt que les seigneurs se sont tenus à l’ancien usage, & à ce qu’il y avoit de plus simple.

Il y a ordinairement au haut de l’échelle, de même qu’au pilori, deux ais ou planches jointes ensemble, qui se séparent & se rapprochent quand on veut, & dans la jonction desquelles il y a des trous pour passer le cou, les mains, & quelquefois aussi pour les piés des criminels, que l’on fait monter au haut de l’échelle afin de les donner en spectacle au peuple, & de les couvrir de confusion, & de leur faire encourir l’infamie de droit. Les criminels étoient aussi quelquefois fustigés au haut de l’échelle, ou punis de quelque autre peine corporelle, mais non capitale.

On confond quelquefois l’échelle avec la potence ou gibet, parce que les criminels y montent par une échelle : mais ici il s’agit des échelles qui servent seulement pour les peines non capitales ; au lieu que la potence ou gibet, & les fourches patibulaires, servent pour les exécutions à mort.

On dit à la vérité quelquefois échelle patibulaire, mais ce dernier terme doit être pris dans le sens général de patibulum, qui signifie tout poteau où on attache les criminels.

Les échelles, piloris, carcans ou poteaux sont placés dans les villes & bourgs, au lieu que les gibets & fourches patibulaires sont communément placés hors l’enceinte des villes & bourgs ; ce qui vient de l’ancien usage, suivant lequel on n’exécutoit point à mort dans les villes & bourgs, au lieu que les peines non capitales s’exécutoient dans les villes & bourgs pour l’exemple. Présentement on exécute à mort dans les villes & bourgs, mais les criminels n’y restent pas long-tems exposés ; on les transporte ensuite aux gibets & fourches patibulaires, ou autres lieux hors des villes & bourgs, & les échafauds & autres instrumens patibulaires ne sont dressés que lorsqu’il s’agit de faire quelque exécution, au lieu que les échelles, piloris, carcans ou poteaux sont dressés en tout tems ; il y a néanmoins quelques villes où il y a aussi des potences & échafauds toûjours dressés, comme en Bretagne ; il y en a aussi à Aix en Provence, & il y en avoit autrefois à Dijon.

On regarde communément les échelles, piloris, carcans ou poteaux comme un signe de haute justice, ce qui est apparemment fondé sur ce que quelques coûtumes, telles qu’Auxerre, Nevers, Troyes, & Senlis, disent que le haut justicier peut avoir pilori ou échelle, ou qu’il peut pilorier, escheller, c’est-à-dire faire monter les coupables à l’échelle.

Mais comme celui qui a le plus, a aussi le moins, & que le seigneur haut justicier a aussi ordinairement les droits de moyenne & basse justice, le droit de pilori ou échelle, peut faire partie des droits appartenans au seigneur haut, moyen, & bas justicier, sans que ce soit un droit de haute justice ; cela peut lui appartenir à cause de la moyenne justice.

En effet, il y a en France quelques lieux où les moyens justiciers ont droit d’échelle ou pilori, comme le dit Ragueau en son glossaire au mot pilier & carcan ; Roguet, dans son commentaire sur la coûtume du comté de Bourgogne, dit même qu’en sa province le carcan, qui est au fond la même chose que l’echelle,

est un signe de la basse justice ; & dans quelques-unes des coûtumes même où l’échelle, pilori ou carcan semblent affectés au haut justicier, on voit qu’il est d’usage d’exposer au carcan les coupables de vols de fruits, ce qui est certainement un cas de moyenne justice, comme le remarque de Laistre sur l’article 2. de la coûtume de Sens.

Aussi M. Bouhier, sur la coûtume du duché de Bourgogne, ch. lj, n. 66, tient-il que dans sa province le moyen justicier ayant la connoissance des contraventions aux réglemens de police, il peut punir les contrevenans en les faisant mettre à l’échelle ou carcan ; & tel est aussi l’avis de Chopin sur Anjou, lib. II. part. II. cap. j. tit. jv. n. 7. in fine.

Coquille, sur l’article 15 de la coûtume de Nivernois, remarque que l’on use d’échelles, seulement dans les jurisdictions temporelles ; il en donne pour exemple l’échelle du Temple à Paris & celle de S. Martin-des-Champs qui subsistoit aussi de son tems, & il ajoûte que l’on en use aussi en jurisdiction ecclésiastique, pour punir & rendre infames publiquement ceux qui sont convaincus d’avoir à leur escient épousé deux femmes en même tems.

Billon, sur la coûtume d’Auxerre, art. 1, prétend même que l’échelle est une espece de pilori ou carcan, qui est particuliere pour les seigneurs hauts justiciers d’église ; il se fonde sur ce qu’il y en a une à Paris, qui sert de signe patibulaire pour la justice du Temple.

Il est vrai que les juges ecclésiastiques ne pouvant condamner à mort, n’ont jamais eu de fourches patibulaires pour signe de leur haute justice, & que les ecclésiastiques qui avoient droit de haute justice, avoient chacun, en signe de cette justice, une échelle dressée dans quelque carrefour : non-seulement les juges temporels des ecclésiastiques usoient de ces échelles, mais même les officiaux, comme nous le dirons dans un moment, en parlant des différentes échelles qui étoient autrefois à Paris ; mais il ne s’ensuit pas de-là que l’échelle fût un signe de justice qui fût particulier pour les jurisdictions ecclésiastiques, ni pour les justices temporelles des ecclésiastiques ; & en effet, Sauval estima que la ville avoit autrefois une échelle à Paris ; & sans nous arrêter à cette conjecture, il suffit de faire attention que les différentes échelles qui étoient autrefois à Paris n’appartenoient pas à des jurisdictions ecclésiastiques, mais à des justices temporelles appartenantes à des ecclésiastiques, ce qui est fort différent : d’ailleurs toutes les coûtumes qui parlent d’échelle, attribuent ce droit aux seigneurs hauts justiciers en général, & non pas en particulier aux ecclésiastiques ; la coûtume d’Auxerre entr’autres dit que celui qui a haute justice peut pilorier, écheller, &c. ainsi je m’étonne que Billon en commentant cet article ait avancé que le droit d’échelle étoit particulier pour les juges des ecclésiastiques.

Les échelles étoient quelquefois appellées échelles à mitres ou à mitrer ; Papon se sert de cette expression, liv. I. de ses arréts, tit. jv. arrêt 7, ce qui vient de ce qu’autrefois il étoit d’usage de mettre à ceux que l’on faisoit monter au haut de l’échelle une mitre de papier sur la tête : il ne faut pas croire que ce fût pour faire allusion à la mitre des évêques, & encore moins pour la tourner en dérision. Cet usage pouvoit venir de deux causes différentes à la vérité, mais qui ont néanmoins quelque relation l’une à l’autre.

La premiere est qu’anciennement & jusque dans le xj. siecle, la mitre étoit la coiffure des nobles ; elle n’a commencé à être regardée comme un ornement épiscopal que vers l’an 1000 ; ainsi lorsque l’on mettoit une mitre de papier sur la tête de celui que l’on faisoit monter au haut de l’échelle, c’étoit pour le tourner en dérision en lui mettant une mitre ridicule.