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tire de leur marche, de leur nom & de leur figure, des occasions de moraliser sans fin, à la maniere de ces tems-là. Mais on se persuada bientôt que ce tableau seroit une image imparfaite de cette vie humaine, si l’on n’y trouvoit une femme ; ce sexe joue un rôle trop important, pour qu’on ne lui donnât pas une place dans le jeu : ainsi l’on changea le ministre d’état, le visir ou ferz, en dame, en reine ; & insensiblement, par une suite de la galanterie naturelle aux nations de l’Occident, la dame, la reine devint la plus considérable piece de tout le jeu.

La troisieme piece des échecs est le fou ; chez les Orientaux elle a la figure d’un éléphant, & elle en porte le nom, fil.

Les cavaliers, qui sont la quatrieme piece des échecs, ont la même figure & le même nom dans tous les pays : celui que nous employons, est la traduction du nom que lui donnent les Arabes.

La cinquieme piece des échecs est appellée aujourd’hui tour ; on la nommoit autrefois rok, d’où le terme de roquer nous est demeuré. Cette piece qui entre dans les armoiries de quelques anciennes familles, y a conservé & le nom de roc & son ancienne figure, assez semblable à celle que lui donnent les Mahométans, dont les échecs ne sont pas figurés. Les Orientaux la nomment, de même que nous, rokh, & les Indiens lui donnent la figure d’un chameau monté d’un cavalier, l’arc & la fleche à la main. Le terme de rok, commun aux Persans & aux Indiens, signifie dans la langue de ces derniers, une espece de chameau dont on se sert à la guerre, & que l’on place sur les ailes de l’armée, en forme de cavalerie legere. La marche rapide de cette piece, qui saute d’un bout de l’échiquier à l’autre, convient d’autant mieux à cette idée, que dans les premiers tems elle étoit la seule piece qui eût cette marche.

La sixieme ou derniere piece est le pion ou le fantassin, qui n’a souffert aucun changement, & qui représente aux Indes, comme chez nous, les simples soldats dont l’armée est composée.

Voilà le nom des pieces du jeu des échecs : entrons dans le détail, qu’on comprendra sans peine en arrangeant ces pieces sur l’échiquier de la maniere que nous allons indiquer.

J’ai dit ci-dessus qu’il y a au jeu des échecs seize pieces blanches d’un côté, & seize pieces noires de l’autre. De ces seize pieces il y en a huit grandes & huit petites : les grandes sont le roi, la reine ou la dame ; les deux fous, savoir le fou du roi & le fou de la dame ; les deux cavaliers, l’un du roi, l’autre de la dame ; & les deux rocs ou tours du roi & de la dame. Ces huit grandes pieces se mettent sur les huit cases de la premiere ligne de l’échiquier, lequel doit être disposé de telle sorte que la derniere case à main droite, où se met la tour, soit blanche.

Les huit petites pieces sont les huit pions qui occupent les cases de la seconde ligne. Les pions prennent leurs noms des grandes pieces devant lesquelles ils sont placés : par exemple, le pion qui est devant le roi, se nomme le pion du roi ; celui qui est devant la dame, se nomme le pion de la dame ; le pion qui est devant le fou du roi ou le fou de la dame, le cavalier du roi ou le cavalier de la dame, la tour du roi ou la tour de la dame, s’appelle le pion du fou du roi, le pion du fou de la dame ; le pion du cavalier du roi, le pion du cavalier de la dame ; le pion de la tour du roi, le pion de la tour de la dame.

L’on appelle la case où se met le roi, la case du roi ; l’on nomme celle où est son pion, la deuxieme case du roi ; celle qui est devant le pion est appellée la troisieme case du roi ; & l’autre plus avancée, la guatrieme case du roi. Il en est de même de toutes les cases de la premiere ligne, qui retiennent chacune le nom des grandes pieces qui les occupent, comme

aussi des autres cases, qui portent celui de deuxieme, troisieme & quatrieme case de la dame, du fou du roi, du fou de la dame, & ainsi des autres.

Le roi est la premiere & la principale piece du jeu, il se met au milieu de la premiere ligne : si c’est le roi blanc, il occupe la quatrieme case noire ; si c’est le roi noir, il se place à la quatrieme case blanche, vis-à-vis l’un de l’autre. Sa marche est comme celle de toutes les autres pieces, excepté celle du chevalier. Le roi ne fait jamais qu’un pas à la fois, si ce n’est quand il saute : alors il peut sauter deux cases, & cela de deux manieres seulement (toutes les autres manieres n’étant point en usage) ; savoir ou de son côté, ou du côté de sa dame. Quand il saute de son côté, il se met à la case de son cavalier, & sa tour se met auprès de lui, à la case de son fou ; & quand il saute du côté de sa dame, il se met à la case du fou de sa dame, & la tour de sa dame à la case de sa dame : on appelle ce saut qu’on fait faire au roi, roquer.

Il y a cinq rencontres où le roi ne peut sauter ; la premiere, c’est lorsqu’il y a quelque piece entre lui & la tour du côté de laquelle il veut aller ; la seconde, quand cette tour-là a déjà été remuée ; la troisieme, lorsque le roi a été obligé de sortir de sa place ; la quatrieme, quand il est en échec ; & la cinquieme, lorsque la case par-dessus laquelle il veut sauter, est vûe de quelque piece de son ennemi qui lui donneroit échec en passant. Quoique les rois ayent le pouvoir d’aller sur toutes les cases, toutefois ils ne peuvent jamais se joindre ; il faut tout au moins qu’il y ait une case de distance entr’eux.

La dame blanche se met à la quatrieme case blanche, joignant la gauche de son roi : la dame noire se place à la quatrieme case noire, à la droite de son roi. La dame va droit & de biais, comme le pion, le fou & la tour ; elle peut aller d’un seul coup d’un bout de l’échiquier à l’autre, pourvu que le chemin soit libre : elle peut aussi prendre de tous côtés, de long, de large & de biais, de près & de loin, selon que la nécessité du jeu le requiert.

Les fous sont placés, l’un auprès du roi, & l’autre près de la dame : leur marche est seulement de biais, desorte que le fou qui est une fois sur une case blanche, va toûjours sur le blanc ; & le fou dont la case est noire, ne marche jamais que sur le noir. Ils peuvent aller & prendre à droite & à gauche, & rentrer de même, tant qu’ils trouvent du vuide.

Les cavaliers sont postés, l’un auprès du fou du roi, l’autre joignant le fou de la dame : leur mouvement est tout-à-fait différent des autres pieces : leur marche est oblique, allant toûjours de trois cases en trois cases, de blanc en noir & de noir en blanc, sautant même par-dessus les autres pieces. Le cavalier du roi a trois sorties ; savoir à la deuxieme case de son roi, ou à la troisieme case du fou de son roi, ou bien à la troisieme case de sa tour. Le cavalier de la dame peut aussi commencer par trois endroits différens ; par la deuxieme case de la dame, par la troisieme case du fou de sa dame, & par la troisieme de sa tour : cela s’entend si les cases sont vuides ; si elles étoient néanmoins occupées par quelque piece de l’ennemi, il a le pouvoir de les prendre. Le cavalier a deux avantages qui lui sont particuliers : le premier est que quand il donne échec, le roi ne peut être couvert d’aucune piece, & est contraint de marcher ; le second, c’est qu’il peut entrer dans un jeu & en sortir, quelque serré & défendu qu’il puisse être.

Les tours sont situées aux deux extrémités de la ligne, à côté des cavaliers : elles n’ont qu’un seul mouvement qui est toûjours droit ; mais elles peuvent aller d’un coup sur toute la ligne qui est devant elle, ou sur celle qui est à leur côté, & prendre la