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ment théorique de la nature de cet échappement, & de la maniere la plus avantageuse de le construire ; mais comme dans les échappemens en général, & dans celui-ci en particulier, il se mêle beaucoup de choses qu’il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer théoriquement, telles que les variations qui naissent des frottemens, des résistances, des huiles, des secousses, des différentes positions, &c. il faut dans ce cas-ci, comme dans tous les autres de cette nature où la théorie manque, avoir recours à l’expérience. C’est pourquoi en rapportant à la théorie, les choses qu’on y pourra rapporter, nous nous appuierons dans les autres, sur ce que l’expérience a appris aux Horlogers.

La propriété la plus remarquable de l’échappement ordinaire, c’est que l’action de la roue de rencontre sur le balancier, pour lui communiquer du mouvement, s’opere par de très-grands leviers ; au lieu que la réaction du balancier sur cette roue, se fait au contraire par de très-petits ; ce qui produit une grande liberté dans le régulateur, & augmente beaucoup sa puissance régulatrice.

Pour rendre ceci plus sensible, supposons que B (figure 19.) soit une puissance qui se meuve dans la direction constante BE, & qui pousse continuellement une palette CP, qui se meut circulairement autour du point C. Je dis que les efforts de cette puissance pour faire tourner la palette, seront entr’eux, dans les différentes situations CP, comme les quarrés des lignes CE, Cp, qui expriment les distances des points p & E au centre.

Pour le démontrer, imaginons que la puissance agissant perpendiculairement en E, parcoure un très petit espace comme EG ; imaginons de plus la palette & la puissance parvenues en p, & supposons que la puissance parcoure comme auparavant un espace tp égal à l’espace EG ; l’arc décrit par le rayon p sera pd. Les arcs décrits par ces deux points des palettes p & E, dans ces différentes situations, seront donc comme les lignes pd & EG, ou son égal pt ; mais à cause des triangles semblables ECp, tpd, on voit que ces lignes sont entr’elles comme CE & cp ; ces arcs seront donc comme ces lignes. Or on sait par un des premiers principes de la méchanique, que les efforts d’une puissance sont en raison renversée des vîtesses qu’elle communique : ces forcés dans les points p & E seront donc en raison renversée de CE & de Cp, qui expriment les vîtesses dans les points P & E, elles seront donc dans la raison de Cp à CE : mais de plus elles seront appliquées à des leviers, qui seront encore en même raison ; l’effort total dans les points E & p, sera donc comme le quarré d’EC est au quarré de pC.

Il suit de-là, que plus l’angle pCE, formé par la palette & par la perpendiculaire à la direction de la puissance augmente, plus la force de cette puissance augmente.

Il est facile à présent de faire l’application de cette proposition, à ce que nous avons avancé au sujet de la propriété de l’échappement ordinaire. Pour cet effet, qu’on imagine que la figure 24 représente la projection ortographique d’une roue de rencontre & des palettes d’un balancier. Les dents a & b seront celles qui étoient les plus près de l’œil avant la projection, def celles qui en étoient les plus éloignées, & CP, CL représenteront la projection des palettes. Mais on peut regarder le mouvement des dents a & b dans la direction GM, comme ne différant pas beaucoup de leur mouvement circulaire, de même que celui des dents def en sens contraire de M en G ; cela étant posé, CM étant perpendiculaire à ces deux directions, il est clair, par ce que nous avons démontré plus haut, qu’à mesure que la roue mene la palette, sa force augmente, & qu’enfin elle est la plus grande

de toutes, lorsqu’elle est sur le point de la quitter, comme en P ; parce qu’alors l’angle de la palette avec la perpendiculaire à la direction de la roue est le plus grand, & qu’au contraire la dent d, qui va rencontrer l’autre palette Lt la pousse avec bien moins de force, puisque l’angle MCt formé par cette palette & par la perpendiculaire à la direction de la roue est beaucoup plus petit. Ceci prouve donc ce que nous avons avancé de la propriété de cet échappement ; savoir, que la roue de rencontre a beaucoup plus de force pour communiquer du mouvement au balancier, qu’elle n’en a pour lui résister lorsqu’il réagit sur elle. Cette force seroit comme le quarré des leviers sur lesquels la roue agit dans ces deux points P & t, si cette roue se mouvoit en ligne droite, comme nous l’avons supposé pour la facilité de la démonstration ; mais comme elle se meut circulairement, cette force croît dans un plus grand rapport ; car le levier de cette roue par lequel elle agit sur la palette, diminue à mesure que l’inclinaison de cette palette augmente ; puisque ce levier n’est autre chose que le sinus du complément de l’angle formé par le rayon de la roue, qui se termine à la pointe de la dent, & par celui qui est parallele à l’axe de la verge, angle qui augmente toûjours à mesure que la dent pousse la palette. La longueur de ce levier doit donc entrer aussi dans l’estimation de l’action de la roue de rencontre sur la palette : or plus le levier d’une roue diminue, plus sa force augmente. Il s’ensuit donc que le rapport des forces avec lesquelles la roue d’échappement agit sur la palette qu’elle quitte, & sur celle qu’elle rencontre, est dans la raison composée de la directe des quarrés des leviers des palettes par lesquels se fait cette action, & dans l’inverse des sinus des complémens des angles formés par le rayon qui le termine à la pointe de la dent, dans ces différentes positions, & par celui qui est parallele à l’axe de la verge.

Cette propriété de l’échappement étoit trop avantageuse, pour que les habiles horlogers ne s’efforçassent pas d’en profiter ; aussi ne manquerent-ils pas de faire approcher la roue de rencontre aussi près de l’axe du balancier qu’ils le pûrent, pour obtenir par ce moyen la plus grande différence entre les forces dans les points P & t (voyez la même figure 24) ; car par-là l’angle MCP devenant le plus grand, & l’autre MCt le plus petit, cet effet en résultoit nécessairement. Mais bien-tôt ils s’apperçurent que cette pratique entraînoit de grands inconvéniens : 1°. le balancier décrivoit par-là de trop grands arcs à chaque vibration, ce qui le rendoit sujet aux renversemens & aux battemens : 2°. cela donnoit lieu à des palettes étroites, qui rendoient la montre trop sujette à se déranger par les différentes situations, l’inconvénient du jeu des pivots dans leurs trous étant beaucoup plus grand par rapport à des palettes étroites qu’à des palettes larges.

Après donc un très-grand nombre de tentatives & d’expériences, où l’on varia la longueur des palettes, l’angle qu’elles font entr’elles, & la distance de la roue de rencontre à l’axe du balancier, on trouva que l’angle de 90 degrés étoit le plus convenable pour les palettes, & que la roue de rencontre devoit approcher assez près de l’axe du balancier, pour qu’une dent de cette roue étant supposée au point où elle tombe sur une palette, après avoir abandonné l’autre, cette dent pût faire parcourir à la palette, pour la quitter de nouveau, un arc de 40 degrés.

En réfléchissant sur cette matiere, on pourroit imaginer qu’il seroit plus à propos que les palettes formassent entr’elles un angle au-dessus de 90 degrés, parce qu’alors l’arc total de réaction se feroit sur un plus petit levier. Mais comme des changemens iné-