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Il n’y a rien de plus simple ni de plus aisé que la méthode de faire cette sorte d’ouvrage. On y employe deux ouvriers : le premier tient une extrémité d’un morceau de verre sur la flamme d’une lampe ; & quand la chaleur l’a amolli, un second ouvrier applique un crochet de verre au morceau en fusion ; retirant ensuite le crochet, il amene un filet de verre, qui est toûjours adhérent à la masse dont il sort. Après cela approchant son crochet sur la circonférence d’une roue d’environ deux piés & demi de diametre, il tourne la roue aussi rapidement qu’il veut ; cette roue tire des filets qu’elle dévide sur sa circonférence, jusqu’à ce qu’elle soit couverte d’un écheveau de fil de verre, après un certain nombre de révolutions.

La masse qui est en fusion au-dessus de la lampe, diminue insensiblement, étant enveloppée, pour ainsi dire, comme un peloton sur la roue ; & les parties qui se refroidissent à mesure qu’elles s’éloignent de la flamme, deviennent plus cohérentes à celles qui les suivent, & ainsi de suite. Les parties les plus proches du feu sont toûjours les moins cohérentes, & par conséquent elles cedent plus facilement à l’effort que fait le reste pour les tirer vers la roue.

La circonférence de ces filets est ordinairement une ovale plate, trois ou quatre fois aussi large qu’épaisse. Il y en a qui sont à peine plus gros que le fil d’un ver à soie, & qui ont une flexibilité merveilleuse.

De-là M. de Reaumur conclud que la flexibilité du verre croissant à proportion de la finesse des fils, si nous avions seulement l’art de tirer des fils aussi fins que ceux d’une toile d’araignée, on en pourroit faire des étoffes & des draps propres à s’habiller.

M. de Reaumur a fait quelques expériences à ce sujet ; & il est parvenu à faire des fils assez fins, & à ce qu’il croit aussi fins que ceux d’une toile d’araignée ; mais il n’a jamais pû les faire assez longs pour en fabriquer quelque chose. Voyez Verre.

Ductilité des toiles d’araignée. L’auteur dont nous venons de parler, observe que la matiere dont les araignées & les vers à soie font leurs fils, est fragile quand elle est en masse, semblable aux gommes seches. A mesure qu’elle est tirée de leur corps, elle acquiert une consistence, de même que les fils de verre se durcissent à proportion qu’ils s’éloignent de la lampe, quoique par une cause différente.

La ductilité de cette matiere & l’apprêt qu’elle demande, étant beaucoup plus extraordinaires dans les araignées que dans les vers à soie, nous nous arrêterons seulement ici à considérer la matiere de la toile d’araignée.

Vers l’anus de l’araignée il y a six mamelons ; on peut les voir à la vûe simple dans les grosses araignées : les extrémités de ces différens mamelons sont percées de trous qui font la fonction de filieres.

M. de Reaumur observe que dans une étendue égale à celle de la tête de la plus petite épingle, il y a un assez grand nombre de trous pour fournir une quantité prodigieuse de fils très-distincts. On connoît l’existence de ces trous par leurs effets : prenez une grosse araignée de jardin toute prête à pondre ses œufs ; & appliquant le doigt sur une partie de ses mamelons, en le retirant, il emportera une quantité prodigieuse de différens fils.

M. de Reaumur dit qu’il en a remarqué plusieurs fois soixante-dix ou quatre-vingt avec un microscope ; mais il s’est apperçu qu’il y en avoit infiniment plus qu’il ne pouvoit dire. En avançant que chaque extrémité d’un mamelon en fournit mille, il est persuadé qu’il seroit fort au-dessous de la réalité. Cette partie est divisée en une infinité de petites éminences, semblables aux yeux d’un papillon,

&c. Il est hors de doute que chaque éminence fournit plusieurs fils ; ou plûtôt entre ces différentes éminences il y a des trous qui donnent passage aux fils, l’usage de ces éminences ou protubérances est, selon toute apparence, de faire qu’à leur premiere sortie les filets soient séparés avant que l’air les ait durcis. Ces protubérances ne sont pas si sensibles dans quelques araignées ; mais en leur place il y a des touffes de poils qui font le même office, c’est-à-dire qui tiennent les filets séparés. Quoi qu’il en soit, il peut sortir des fils de plus de mille différens endroits dans chaque mamelon ; par conséquent l’araignée ayant six mamelons, elle a des trous ou des ouvertures pour plus de six mille fils. Ce n’est pas assez que ces ouvertures soient excessivement petites, mais les fils sont déjà formés avant d’arriver au mamelon, chacun d’eux ayant sa petite gaine ou canal dans lequel il est porté au mamelon d’assez loin.

M. de Reaumur les suit jusqu’à leur source, & il fait voir le méchanisme qui les produit. Vers l’origine du ventre il trouve deux petits corps mollets, qui sont la premiere source de la soie ; leur forme & leur transparence ressemblent à celles des larmes de verre, par le nom desquels nous les designerons dans la suite.

L’extrémité de chaque larme va en tournant ; elle fait une infinité de tours & de retours en allant vers le mamelon. De la base ou de la racine de la larme vient une autre branche beaucoup plus grosse, laquelle tournant de différentes manieres forme différens nœuds, & prend son cours comme l’autre vers la partie postérieure de l’araignée. Dans ces larmes & dans leurs branches est contenue une matiere propre à former la soie, si ce n’est qu’elle est trop molle.

Le corps de la larme est une espece de reservoir, & les deux branches sont deux canaux qui en viennent. Un peu plus loin en arriere il y a deux autres larmes plus petites qui envoyent chacun de leur sommet une seule branche. Outre cela, il y a trois autres vaisseaux plus grands de chaque côté de l’araignée, que M. de Reaumur prend pour les derniers reservoirs où la liqueur vient s’amasser. La plus grosse extrémité de chacun est vers la tête de l’insecte, & la plus petite vers l’anus. Ils se terminent chacun en pointe ; & c’est des trois pointes de ces trois reservoirs que vient au moins la plus grande partie des fils qui sortent par les trois mamelons. Chaque reservoir fournit à un mamelon ; enfin à la racine des mamelons on apperçoit plusieurs tubes charnus ; probablement il y en a autant que de mamelons. Lorsque l’on enleve la membrane ou la pellicule qui semble recouvrir ces tubes, ils paroissent remplis de fils tous fort distincts les uns des autres, & qui par conséquent étant sous une enveloppe commune, ont chacun leur membrane particuliere dans laquelle ils sont retenus comme des couteaux dans leur gaine. De la quantité immense des fils qui y sont contenus, M. de Reaumur conclud, en suivant leur cours, qu’ils ne viennent pas tous des pointes des reservoirs ; que quelques-uns viennent de tous les tours & de tous les angles, & même probablement de chacune de leurs parties. Mais il reste pourtant à découvrir par quels canaux la liqueur vient se rendre dans les grains, & de-là dans les reservoirs.

Nous avons déjà observé que le bout de chaque mamelon peut donner passage à plus de mille fils ; néanmoins le diametre de ce mamelon n’excede pas la tête d’une petite épingle : mais nous ne considérions que les plus grosses araignées.

Si nous examinons les jeunes araignées, les araignées naissantes qu’elles produisent, nous verrons