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bli, les particuliers peuvent même y déroger par une convention expresse, pourvû que la loi ne soit pas prohibitive.

Quelques-uns confondent mal-à-propos le droit naturel avec le droit des gens : celui-ci est bien aussi composé en partie des regles que la droite raison a établies entre tous les hommes ; mais il comprend de plus certains usages dont les hommes sont convenus entre eux contre l’ordre naturel, tels que les guerres, les servitudes : au lieu que le droit naturel n’admet rien que de conforme à la droite raison & à l’équité.

Les principes du droit naturel entrent donc dans le droit des gens, & singulierement dans celui qui est primitif ; ils entrent aussi dans le droit public & dans le droit privé : car les préceptes de droit naturel que l’on a rapportés, sont la source la plus pure, & la base de la plus grande partie du droit public & privé. Mais le droit public & privé renferment aussi d’autres regles qui sont fondées sur des lois positives. Voyez Droit des Gens, Droit positif, Droit public, Droit privé.

De ces idées générales que l’on vient de donner sur le droit naturel, il résulte que ce droit n’est proprement autre chose que la science des mœurs qu’on appelle morale.

Cette science des mœurs ou du droit naturel, n’a été connue que très-imparfaitement des anciens ; leurs sages même & leurs philosophes n’en ont parlé la plûpart que très-superficiellement ; ils y ont mêlé beaucoup d’erreurs & de vices. Pythagore fut le premier qui entreprit de traiter de la vertu. Après lui, Socrate le fit plus exactement & avec plus d’étendue : mais celui-ci n’écrivit rien ; il se contenta d’instruire ses disciples par des conversations familieres : on le regarde néanmoins comme le pere de la philosophie morale. Platon disciple de Socrate, a renfermé toute sa morale en dix dialogues, dont plusieurs ont singulierement pour objet le droit naturel & la politique : tels que son traité de la république, celui des lois, celui de la politique, &c. Aristote, le plus célebre des disciples de Platon, est le premier philosophe de l’antiquité qui ait donné un système de morale un peu méthodique ; mais il y traite plûtôt des devoirs du citoyen, que de l’homme en général, & des devoirs réciproques de ceux qui sont citoyens de divers états.

Le meilleur traité de morale que nous ayons de l’antiquité, est le livre des offices de Cicéron, qui contient en abrégé les principes du droit naturel. Il y manque cependant encore bien des choses, que l’on auroit peut-être trouvées dans son traité de la république, dont il ne nous reste que quelques fragmens. Il y a aussi de bonnes choses dans son traité des lois, où il s’attache à prouver qu’il y a un droit naturel indépendant de l’institution des hommes, & qui tire son origine de la volonté de Dieu. Il fait voir que c’est-là le fondement de toutes les lois justes & raisonnables ; il montre l’utilité de la religion dans la société civile, & déduit au long les devoirs réciproques des hommes.

Les principes de l’équité naturelle n’étoient pas inconnus aux jurisconsultes romains : quelques-uns d’entre eux faisoient même profession de s’y attacher, plûtôt qu’à la rigueur du droit ; telle étoit la secte des Proculeiens : au lieu que les Sabiniens s’attachoient plus à la lettre de la loi qu’à l’équité. Mais dans ce qui nous est resté des ouvrages de ce grand nombre de jurisconsultes, on ne voit point qu’aucun d’eux eût traité ex professo du droit naturel, ni du droit des gens.

Les livres mêmes de Justinien, à peine contiennent-ils quelques définitions & notions très-sommaires du droit naturel & des gens ; c’est ce que l’on

trouve au digeste de justitiâ & jure, & aux institutes de jure naturali, gentium & civili.

Entre les auteurs modernes, Melancthon, dans sa morale, a donné une ébauche du droit naturel. Benedict Wincler en touche aussi quelque chose dans ses principes du droit : mais il y confond souvent le droit positif avec le droit naturel.

Le célebre Grotius est le premier qui ait formé un système du droit naturel, dans un traité intitulé de jure belli & pacis, divisé en trois livres. Le titre de cet ouvrage n’annonce qu’une matiere du droit des gens ; & en effet la plus grande partie de l’ouvrage roule sur le droit de la guerre : mais les principes du droit naturel se trouvent établis, tant dans le discours préliminaire sur la certitude du Droit en général, que dans le chapitre premier, où après avoir annoncé l’ordre de tout l’ouvrage, & défini ce que c’est que la guerre, les différentes choses que l’on entend par le terme de droit, il explique que le droit pris pour une certaine regle, se divise en droit naturel & arbitraire. Le droit naturel consiste, selon lui, dans certains principes de la droite raison, qui nous font connoître qu’une action est moralement honnête ou deshonnête, selon la convenance ou disconvenance nécessaire qu’elle a avec une nature raisonnable & sociable ; & par conséquent que Dieu qui est l’auteur de la nature, ordonne ou défend une telle action. Il examine combien il y a de sortes de droit naturel, & comment on peut le distinguer d’avec certaines choses auxquelles on donne ce nom improprement. Il soûtient que ni l’instinct commun à tous les animaux, ni même celui qui est particulier à l’homme, ne constituent point un droit naturel proprement dit. Il examine enfin de quelle maniere on peut prouver les maximes du droit naturel.

Le surplus de cet ouvrage concerne principalement les lois de la guerre, & par conséquent le droit des gens & la politique. Il y a cependant quelques titres qui peuvent avoir aussi rapport au droit naturel ; comme de la juste défense de soi-même, des droits communs à tous les hommes, de l’acquisition primitive des choses, & des autres manieres d’acquérir ; du pouvoir paternel, du mariage, des corps ou communautés, du pouvoir des souverains sur leurs sujets, & des maîtres sur leurs esclaves ; des biens des souverainetés, & de leur aliénation ; des successions ab intestat, des promesses & contrats ; du serment, des promesses & sermens des souverains, des traités publics faits par le souverain lui-même, ou sans son ordre, du dommage causé injustement, & de l’obligation qui en résulte ; du droit des ambassades, du droit de sépulture, des peines, & comment elles se communiquent d’une personne à l’autre.

Quelque tems après que le traité de Grotius eut paru, Jean. Selden, célebre jurisconsulte anglois, fit un système de toutes les lois des Hébreux qui concernent le droit naturel ; il l’intitula de jure naturæ & gentium apud Hebræos. Cet ouvrage est rempli d’érudition, mais sans ordre, & écrit d’un style obscur : d’ailleurs cet auteur ne tire pas les principes naturels des seules lumieres de la raison ; il les tire seulement des sept préceptes prétendus donnés à Noé, dont le nombre est fort incertain, & qui ne sont fondés que sur une tradition fort douteuse ; il se contente même souvent de rapporter les décisions des rabbins, sans examiner si elles sont bien ou mal fondées.

Thomas Hobbes, un des plus grands génies de son siecle, mais malheureusement trop prévenu par l’indignation qu’excitoient en lui les esprits séditieux qui brouilloient alors l’Angleterre, publia à Paris en 1642, un traité du citoyen, où entr’autres opinions dangereuses, il s’efforce d’établir, suivant la morale d’Epicure, que le principe des sociétés est la con-