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force de travaux & de sueurs, ce que l’on pouvoit avoir en un moment au prix de son sang.

Les lois & les mœurs de la France s’étendirent depuis Charlemagne dans toute l’Italie, Espagne, Sicile, Hongrie, Allemagne, Pologne, Suede, Danemark, Angleterre, & généralement dans toute l’Europe, excepté ce qui dépendoit de l’empire de Constantinople. Dans tous ces pays le nom d’empereur romain a toûjours été respecté ; & celui qui en a le titre, tient le premier rang entre les souverains. On remarque aussi que dans ces différens états de l’Europe on use à-peu-près des mêmes titres de dignité ; que dans chaque état il y a un roi ou autre souverain ; que les principaux seigneurs portent partout les mêmes titres de princes, ducs, comtes, &c. que les officiers ont aussi les mêmes titres de connétables, chanceliers, maréchaux, sénéchaux, amiraux, &c. qu’il y a par-tout des assemblées publiques à-peu-près semblables, sous le nom de parlemens, états, dietes, conseils, chambres, &c. qu’on y observe par-tout la distinction des différens ordres, tels que le clergé, la noblesse, & le tiers-état ; celle de la robe avec l’épée, celle des nobles d’avec les roturiers : enfin que toute la forme du gouvernement y est prise sur le même modele ; ce qui vient de ce que ces peuples étoient tous sujets de Charlemagne, ou ses voisins, qui faisoient gloire de l’imiter.

C’est aussi de-là que plusieurs de ceux qui ont traité du droit public ou droit des gens de l’Europe, disent que la véritable origine de ce droit ne remonte qu’au tems de Charlemagne, parce qu’en effet les diverses nations de l’Europe étoient jusqu’alors peu civilisées, & observoient peu de regles entr’elles. C’est à cette époque mémorable du regne de Charlemagne, que commence le corps universel diplomatique du droit des gens, par Jean Dumont, qui contient en dix-sept tomes in-folio tous les traités d’alliance, de paix, de navigation & de commerce, & autres actes relatifs au droit des gens depuis Charlemagne.

D’autres prétendent que l’on ne doit reprendre l’étude du droit des gens qu’au tems de l’empereur Maximilien I. de Louis XI. & de Ferdinand le Catholique, tous deux rois, l’un de France, l’autre d’Espagne ; que tout ce qui se trouve au-dessus de ce tems, sert moins pour l’instruction que pour la curiosité, & que ce n’est que depuis ces princes que l’on voit une politique bien formée & bien établie. Voyez l’Europe pacifiée par l’équité de la reine de Hongrie, p. 5.

Ce que dit cet auteur seroit véritable, si par le terme de politique on n’entendoit autre chose que la science de vivre avec les peuples voisins, & les regles que l’on doit observer avec eux ; mais suivant l’idée que l’on attache communément au terme de politique, c’est une certaine prudence propre au gouvernement, tant pour l’intérieur que pour les affaires du dehors : c’est l’art de connoître les véritables intérêts de l’état, & ceux des puissances voisines ; de cacher ses desseins, de prévenir & rompre ceux des ennemis ; or en ce sens la politique est totalement différente du droit public des gens, qui n’est autre chose que certaines regles observées par toutes les nations entr’elles, par rapport aux liaisons réciproques qu’elles ont.

Le traité de Grotius, de jure belli & pacis, qui, suivant ce titre, semble n’annoncer que les lois de la guerre, lesquelles en font en effet le principal objet, ne laisse pas de renfermer aussi les principes du droit naturel & ceux du droit des gens. Il y traite du droit en général, des droits communs à tous les hommes, des différentes manieres d’acquérir, du mariage, du pouvoir des peres sur leurs enfans, de celui des maures sur leurs esclaves, & des souverains sur

leurs sujets, des promesses, contrats, sermens, traités publics, du droit des ambassadeurs, des droits de sépulture ; des peines, & autres matieres qui sont du droit des gens. Les lois mêmes de la guerre & de la paix en font partie ; c’est pourquoi il examine ce que c’est que la guerre, en quel cas elle est juste ; ce qu’il est permis de faire pendant la guerre, & comment on doit garder la foi promise aux ennemis, de quelle maniere on doit traiter les vaincus.

Mais quoique cet ouvrage contienne d’excellentes choses sur le droit des gens, on ne peut le regarder comme un traité méthodique de ce droit en général ; & c’est sans doute ce qui a engagé Puffendorf à composer son traité de jure naturæ & gentium, dans lequel il a observé plus d’ordre pour la distribution des matieres. Ce traité a été traduit en françois, comme celui de Grotius, par Barbeyrac, & accompagné de notes très-utiles : on en va faire ici une courte analyse, rien n’étant plus propre à donner une juste idée des matieres qu’embrasse le droit des gens.

L’auteur (Puffendorf) dans le premier livre cherche d’abord la source du droit naturel & des gens dans l’essence des êtres moraux, dont il examine l’origine & les différentes sortes. Il appelle êtres moraux certains modes que les êtres intelligens attachent aux choses naturelles ou aux mouvemens physiques : en vûe de diriger & de restraindre la liberté des actions volontaires de l’homme, & pour mettre quelqu’ordre, quelque convenance & quelque beauté dans la vie humaine, il examine ce que l’on doit penser de la certitude des Sciences morales, comment l’entendement humain & la volonté sont des principes des actions morales : il traite ensuite des actions morales en général, & de la part qu’y a l’agent, ou ce qui fait qu’elles peuvent être imputées ; de la regle qui dirige les actions morales, & de la loi en général ; des qualités des actions morales, de la quantité ou de l’estimation de ces actions, & de leur imputation actuelle.

Après ces préliminaires sur tout ce qui a rapport à la morale, l’auteur, dans le livre second, traite de l’état de nature, & des fondemens généraux de la loi naturelle même. Il établit qu’il n’est pas convenable à la nature de l’homme de vivre sans quelque loi ; puis il examine singulierement ce que c’est que l’état de nature, & ce que c’est que la loi naturelle en général ; quels sont les devoirs de l’homme par rapport à lui-même, tant pour ce qui regarde le soin de son ame, que pour ce qui concerne le soin de son corps & de sa vie ; jusqu’où s’étendent la juste défense de soi-même, & les droits & priviléges de la nécessité.

Jusqu’ici il ne s’agit que du droit naturel ; mais dans le livre troisieme l’auteur paroît avoir en vûe le droit des gens : en effet, il traite en général des devoirs absolus des hommes les uns envers les autres, & des promesses ou des conventions en général. Les principes qu’il établit, sont qu’il ne faut faire du mal à personne ; que si l’on a causé du dommage, on doit le réparer ; que tous les hommes doivent se regarder les uns les autres comme naturellement égaux, & à cette occasion il explique les devoirs communs de l’humanité ; avec quelle fidélité inviolable on doit tenir sa parole, & accomplir les différentes sortes d’obligations ; quelle est la nature des promesses & des conventions en général, ce qui en fait la matiere, & quel consentement y est requis ; les conditions & autres clauses que l’on peut ajoûter aux engagemens, & comment on peut contracter par procureur.

Le quatrieme livre paroît se rapporter à deux principaux objets ; l’un est l’obligation qui concerne l’usage de la parole & l’usage du serment : il traite aussi à cette occasion de la nature du mensonge. L’autre