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ton, qu’ils l’épuisent même, ils ne laissent pas de maigrir sensiblement de plus en plus ; vraissemblablement parce que leurs cris, leurs tourmens continuels empêchent qu’ils ne digerent & qu’ils ne travaillent assez bien le chyle & le sang, pour le convertir en lymphe nourriciere, de qualité convenable pour conserver leur embonpoint, d’où résulte peu-à-peu la consomption & le desséchement : ainsi il y a tout lieu de penser que ce ne sont pas les vers eux-mêmes qui consument la substance de ces petits infortunés.

Dès que l’on est assûré que le corps d’un enfant est infecté de dracuncules ou crinons, on peut l’en délivrer promptement, en le plongeant dans un bain tiéde, où on le frotte bien avec du miel : cette opération excite la sueur, qui fait sortir ces vermisseaux sous la forme de gros cheveux ; dès qu’ils montrent la tête hors de la peau, il faut les racler avec un rasoir ou une croûte de pain tranchante, & on les détruit ainsi. D’autres, au lieu d’oindre les parties affectées de miel, comme il vient d’être dit, mettent les enfans dans une lessive, dans laquelle on a fait bouillir dans un sachet de la fiente de poules : il faut les plonger jusqu’au cou jusqu’à ce qu’ils soient bien disposés à la sueur, ensuite on excite les dracuncules à sortir de dessous la peau, en la frottant légerement avec la main un peu emmiellée ; & dès qu’ils paroissent, on les ratisse de la maniere mentionnée. Il faut répéter cette manœuvre pendant deux ou trois jours, jusqu’à ce qu’il n’en paroisse plus.

Si les dracuncules sont trop abondans, ou qu’ils se régénerent trop aisément pour qu’on puisse les détruire entierement par les moyens qui viennent d’être exposés, il faut employer la méthode de Timæus, qu’il rapporte in suis casibus de morbis infantium, qui consiste à donner intérieurement de la teinture d’antimoine, ou, ce qui peut produire le même effet, de la poudre de vipere ; à mettre les enfans dans le bain & les frotter de la maniere ci-dessus prescrite, à les laver ensuite avec une eau aloëtique faite avec deux livres d’eau d’absinthe, dans laquelle on ait dissout deux onces d’aloës hépatique : cette lotion tue sûrement tous ces vermisseaux, & fait cesser toute disposition à ce qu’il en renaisse. Voyez Etmuller, dans son trairé intitulé collegium practicum, de morbis infantium, dans la dissertation qu’il appelle valetudinarium infantile ; & dans une observation qu’il place à la fin du premier volume de ses œuvres, avec une planche qui représente les dracuncules, tels qu’on les voit au microscope. On peut aussi consulter les œuvres de Velschius, de vermiculis capillaribus infantium & de venâ medinensi. Pierre à Castro, dans son Traité de colostro, recommande beaucoup la pratique des femmes portugaises contre les dracuncules, qui consiste à mêler de la suie de cheminée avec du lait & du miel, & en frotter la partie affectée de ces vermisseaux. On peut aussi employer avec succès dans ce cas, après le bain, la pommade mercurielle dont on fait usage contre la gale, pourvû que le mercure y entre à moindre dose.

Les chiques, qui attaquent les enfans de la Misnie, sont de véritables dracuncules.

Amatus Lusitanus, cur. 64. cent. 7. rapporte, comme témoin oculaire, une observation d’une substance en forme de vers, de trois coudées de longueur, tirée peu-à-peu, après plusieurs jours, du talon d’un jeune domestique Ethiopien, qui lui causoit de très-grandes douleurs. Le fait s’étant passé à Thessalonique, il vit à cette occasion un medecin arabe, qui lui dit que cette maladie est fort commune & très-dangereuse dans l’Egypte, dans l’Inde & tous les pays voisins : elle est appellée par Avicenne vena Medina, & par Galien dracunculus ; mais il n’y a pas apparence que ce soit la même maladie

qui est désignée sous ces noms différens, parce que la veine de Medine, telle que l’observation d’Amatus en donne l’idée, est autre chose que les dracuncules, tels qu’Etmuller les décrit : ceux-ci sont très courts respectivement, ils peuvent être tirés par morceaux, sans conséquence ; ceux-là sont très longs, plus solides ; & si on vient à les rompre en les tirant, il s’ensuit des douleurs beaucoup plus violentes qu’auparavant.

Comme d’après la découverte des polypes d’eau douce on s’est convaincu que le tænia n’est autre chose qu’un polype, & qu’il se reproduit par végétation, n’y auroit-il pas lieu de croire que les dragonneaux sont aussi de vrais polypes, puisque les portions qui restent sous les tégumens après la rupture de celles qui en ont été tirées, ne sont pas privées de mouvement, & sont aussi nuisibles que lorsque les vers sont encore entiers ?

Parmi les observations de Medecine de la société d’Edimbourg, on en trouve une (vol. VI. art. 75.) par laquelle il conste que les dragonneaux de Guinée causent quelquefois des ulceres dans les parties qu’ils affectent, qui peuvent avoir des suites très-fâcheuses, & que l’on a tiré de différens endroits de la jambe d’un jeune homme, dans l’isle Bermude, des portions de ces vers jusqu’à la longueur de 90 pieds. Voilà un fait qui semble bien propre à confirmer l’analogie des dracuncules avec le tænia.

Avant Etmuller, il ne paroît pas que l’on fût bien certain que les dragonneaux fussent des animaux ; Ambroise Paré le nie, plusieurs autres établissent des doutes à ce sujet. Voy. Dudithius, epist. 12. lib. XIII. Wierius, lib. II. observ. de varenis, qui prétend que l’empereur Henri V. est mort de la maladie des dracuncules. Voyez aussi Sennert, qui traite ex professo ce sujet, practic. lib. XI. part. 11.

Ruisch fait mention, thesaur. anat. lib. III. n° 14. d’un ver de Guinée, de ceux qui affectent les pieds des habitans de ce pays avec de très-grandes douleurs. On parvient à le préparer, sans lui rien ôter de sa longueur qui est très-considérable, quoiqu’il soit très-délié, & à lui conserver aussi sa couleur au naturel.

Il y a bien des gens incommodés de ces vers dans l’Amérique méridionnale. Voyez Ver. (d)

DRACONITES ou DRACONTIA, (Hist. nat.) pierre fabuleuse, que Pline & quelques anciens Naturalistes ont prétendu se trouver dans la tête du dragon. Pour se procurer la draconite, il falloit l’endormir avant que de lui couper la tête ; sans cette précaution, point de pierre. Ceux qui voudront connoître toutes les rêveries qu’on a débitées sur ce sujet, n’ont qu’à consulter Boëce de Boot, de lapidibus & gemmis, pag. 345. & suiv.

M. Stobœus croit que la draconite n’est autre chose que l’astroïte. Il prétend que les charlatans, pour en relever le prix, se sont imaginés de dire qu’elle venoit des Indes, & qu’elle avoit été tirée de la tête d’un dragon. La forme d’une étoile qu’on remarque dans l’astroïte, suffisoit d’ailleurs pour la rendre merveilleuse au peuple qui ne pouvoit manquer d’y appercevoir des marques d’une influence céleste. Une autre circonstance qui devoit encore frapper des gens peu instruits, c’est qu’en mettant du vinaigre sur cette pierre, on y appercevoit du mouvement : ce qui devient une chose assez naturelle, sur-tout si la pierre est du genre des calcaires, qui ont la propriété de se dissoudre dans tous les acides & d’y faire effervescence. Voyez Stobœi opuscula. p. 130. & suiv. Cependant la description que Pline donne du dracontia, ne paroît point avoir de rapport avec celle de l’astroïte, attendu qu’il dit que la premiere est blanche & transparente ; au lieu que