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la qualité échauffante n’est établie que sur une prétendue abondance d’esprits acres & ardens, de sels exaltés, déduite, on ne peut pas plus inconséquemment, de la pente des corps doux à la fermentation spiritueuse. Voyez Fermentation, Muqueux, Doux, en Chimie.

Secondement, c’est en abusant de la même maniere de quelques demi-connoissances chimiques, que quelques auteurs ont imaginé la causticité des corps doux, qui fournissent par la distillation, selon ce que ces auteurs ont entendu dire, un esprit très caustique, une espece d’eau-forte ; fait d’abord faux en soi (les corps deux ne donnent par la distillation qu’un flegme acide très-foible) & dont on ne pourroit conclure, quand même il seroit vrai que les corps doux inaltérés pussent agir sur les organes de notre corps par ce principe. Voy. Analyse végétale au mot Végétal. Voy. aussi Sucre, dont quelques auteurs ont dit (ce qu’Hecquet a répété) que gardé pendant trente ans, il devenoit un puissant arsenic.

Troisiemement, les corps doux, comme tels, ou les doux exquis, ne sont absolument qu’alimenteux ou nourrissans, & ils ne sauroient par conséquent opérer que la nutrition dans les secondes voies, & point du tout l’épaississement ou l’inviscation des humeurs. D’ailleurs l’état des humeurs appellées épaisses & visqueuses dans la théorie moderne, n’est assûrément rien moins que déterminé ; & la réalité de cet état dans les cas où cette théorie l’établit, est encore moins démontrée. C’est donc au moins gratuitement que les alimens doux passent pour épaississans & inviscans. Voyez Nourrissant.

Quatriemement : quant à ce qui concerne la prétendue qualité bilieuse des corps doux, elle leur a été accordée par deux raisons ; savoir, parce qu’on les a crus gras ou huileux ; & en second lieu, parce qu’on a regardé la soif & l’épaississement de la salive, que les corps doux pris en abondance occasionnent en effet, comme un signe de la présence de la bile dans l’estomac. Mais premierement les doux ne sont pas huileux : secondement, ce n’est qu’au peuple qu’il est permis d’appeller bile la salive épaisse & gluante. Au reste, on remédie très-efficacement & à coup sûr, à ces legers accidens, je veux dire la soif & l’épaississement de la salive, en bûvant quelques verres d’eau fraîche.

Cinquiemement : ce n’est plus rien pour nous, depuis long-tems, qu’une qualité splénique, ou antisplénique.

Sixiemement : quoiqu’il faille avoüer que l’abus des alimens doux est souvent suivi de différentes affections vermineuses, sur-tout chez les enfans ; il n’est pourtant pas décidé jusqu’à quel point les doux sont dangereux à ce titre, & s’ils sont seuls & par eux-mêmes capables des maux qu’on met sur leur compte ; s’il n’y auroit pas moyen, au contraire, en variant leur administration, d’en faire-pour les enfans la nourriture la plus salutaire, & la plus propre à les préserver des vers. Quelques auteurs ont donné les doux pour des remedes vermifuges. Voyez Vermifuge.

Nous n’établirons qu’avec beaucoup de circonspection, des préceptes diététiques sur l’usage des alimens doux en général. Nous avons déjà observé dans quelques articles particuliers de diete, que nous ne connoissions presqu’aucune qualité absolue des alimens, & que la maniere dont ils affectoient les différens sujets varioit infiniment, ou au moins jusqu’à un point indéterminé. Voyez aussi Digestion. Nous pouvons cependant donner avec confiance pour des vérités d’expérience, les regles suivantes.

1°. Les personnes foibles, délicates, qui menent dans le sein des commodités les plus recherchées, une vie retirée, tranquille, sédentaire, soûmise au

plus exact régime, dont l’ame affranchie du joug des passions vulgaires, n’est doucement remuée que par des affections purement intellectuelles ; ces personnes, dis-je, peuvent user sans inconvéniens, & même avec avantage, des alimens doux ; ensorte qu’une façon de parler assez commune, tirée de leur goût pour les sucreries, exprime une observation medicinale très-exacte.

La plûpart des femmes, les gens de lettres, & tous les hommes qui sont éloignés par état des travaux & des exercices du corps, en un mot toutes les personnes de l’un & de l’autre sexe qui n’ont que faire de vigueur, ou même qui perdroient à être vigoureuses, peuvent se livrer à leur goût pour les alimens doux, dès qu’ils auront observé que leur estomac n’en est point incommodé, sans se mettre en peine de leurs prétendus effets plus éloignés, qu’aucune observation ne peut leur faire raisonnablement redouter. La propriété de lâcher le ventre que tous ces alimens possedent, est très-propre à entretenir chez ces personnes une certaine foiblesse de tempérament très-favorable à la délicatesse de la peau, & à l’exercice libre & facile de la faculté de penser. Voyez Régime.

Au reste, ceci ne doit s’entendre que d’un certain excès dans l’usage des alimens doux, de l’habitude d’en manger comme du pain ; car les doux pris en petite quantité à la fin du repas, & après d’autres mets, sont devenus par habitude des alimens à peu-près indifférens.

2°. Les paysans, les manœuvres, les gens destinés à des travaux pénibles, à une vie dure, à des exercices violens, qui ont besoin d’un corps robuste, vigoureux, agile ; ces gens-là ne sauroient s’accommoder des alimens doux. On peut assûrer, malgré l’éloge que les anciens ont donné au miel, à qui ils ont attribué entre autres qualités celle de rendre les hommes, qui s’en nourrissoient, sains & vigoureux, que des paysans qui seroient nourris avec du miel dès leur enfance, seroient bien moins robustes que ceux qui se nourrissent de viandes salées ou fumées, d’un pain lourd & massif, qui boivent des gros vins austeres & tartareux, &c. & que si on donnoit des doux à ceux qui sont accoûtumés à ces derniers alimens, non-seulement on les rendroit bientôt incapables de supporter leurs travaux ordinaires, mais même on procureroit à la plûpart des indigestions, des diarrhées mortelles. Voy. Régime.

3°. Il est facile de conclure des observations précédentes, que toutes les personnes qui sont sujettes à des dévoyemens maladifs, ou qui en sont actuellement attaquées ; que celles chez qui les organes de la digestion sont relâchés, affaissés, embourbés, comme certains vieillards, certains paralytiques, &c. que ces personnes, dis-je, doivent éviter absolument l’usage des alimens doux.

4°. On doit diviser les doux en quatre especes : le doux exquis ou pur, tel que le miel, le sucre, le moût, &c. le doux aigrelet, tel que celui des cerises, des oranges douces, le suc de citron ou groseille assaisonnés avec du sucre, &c. les doux aromatiques, tels que les confitures & les gelées parfumées ; & enfin les doux spiritueux, tels que les vins doux, les ratafia-très-sucrés qu’on appelle gras, les confitures à l’eau-de-vie, &c.

Le doux exquis a éminemment les propriétés dont nous avons parlé jusqu’à présent. Le doux aigrelet & le doux aromatique, & sur-tout le doux aigrelet & aromatique, tel que le cotignac, sont des excellens analeptiques, restaurans, stomachiques, dont se trouvent très-bien les convalescens qui commencent à prendre quelque aliment un peu solide. Il faut observer que les fruits à noyau ont tous une vertu purgative, que l’on peut appeller cachée, c’est-à-dire