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Ces promesses passent de main en main en payement, soit des denrées, soit de l’argent même, jusqu’à l’expiration du terme.

Par la seconde sorte de signes de l’argent on entend des obligations permanentes comme la monnoie même dans le public, & qui circulent également.

Ces promesses momentanées & ces obligations permanentes n’ont de commun que la qualité de signes ; & comme tels, les uns ni les autres n’ont de valeur qu’autant que l’argent existe ou est supposé exister.

Mais ils sont différens dans leur nature & dans leur effet.

Ceux de la premiere sorte sont forcés de se balancer au tems prescrit avec l’argent qu’ils représentent ; ainsi leur quantité dans l’état est toûjours en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l’argent.

Leur effet est d’entretenir ou de répéter la concurrence de l’argent avec les denrées, en raison de la répartition proportionnelle de la masse de l’argent. Cette proposition est évidente par elle-même, dès qu’on fait réflexion que les billets & les lettres de change paroissent dans une plus grande abondance, si l’argent est commun ; & sont plus rares, si l’argent l’est aussi.

Les signes permanens sont partagés en deux classes : les uns peuvent s’anéantir à la volonté du propriétaire ; les autres ne peuvent cesser d’exister, qu’autant que celui qui a proposé aux autres hommes de les reconnoître pour signes, consent à leur suppression.

L’effet de ces signes permanens est d’entretenir la concurrence de l’argent avec les denrées, non pas en raison de sa masse réelle, mais en raison de la quantité de signes ajoûtée à la masse réelle de l’argent. Le monde les a vûs deux fois usurper la qualité de mesure de l’argent, sans doute afin qu’aucune espece d’excès ne manquât dans les fastes de l’humanité.

Tant que ces signes quelconques se contentent de leur fonction naturelle & la remplissent librement, l’état est dans une position intérieure très-heureuse : parce que les denrées s’échangent aussi librement contre les signes de l’argent, que contre l’argent même ; mais avec les deux différences que nous avons remarquées.

Les signes momentanés répetent simplement la concurrence de la masse réelle de l’argent avec les denrées.

Les signes permanens multiplient dans l’opinion des hommes sa masse de l’argent. D’où il résulte que cette masse multipliée a dans l’instant de sa multiplication l’effet de toute nouvelle introduction d’argent dans le Commerce ; dès-lors que la circulation répartit entre les mains du peuple une plus grande quantité des signes des denrées qu’auparavant ; que le volume des signes augmente ; que le nombre des emprunteurs diminue.

Si cette multiplication est immense & subite, il est évident que les denrées ne peuvent se multiplier dans la même proportion.

Si elle n’étoit pas suivie d’une introduction annuelle de nouveaux signes quelconques, l’effet de cette suspension ne seroit pas aussi sensible que dans le cas où l’on n’auroit simplement que l’argent pour monnoie ; il pourroit même arriver que la masse réelle de l’argent diminuât sans qu’on s’en apperçût, à cause de la surabondance des signes. Mais l’intérêt de l’argent resteroit au même point à moins de réductions forcées, & le Commerce ni l’Agriculture ne gagneroient rien dans ces cas.

Enfin il est important de remarquer que cette multiplication n’enrichit un état que dans l’opinion des sujets qui ont confiance dans les signes multipliés ; mais que ces signes ne sont d’aucun usage dans les

relations extérieures de la société qui les possede.

Il est clair que tous ces signes, de quelque nature qu’ils soient, sont un usage de la puissance d’autrui : ainsi ils appartiennent au crédit. Il a diverses branches, & la matiere est si importante que nous la traiterons séparément. Voyez Crédit. Mais il faudra toûjours se rappeller que les principes de la circulation de l’argent sont nécessairement ceux du crédit qui n’en est que l’image.

Des principes dont la nature même des choses nous a fourni la démonstration, nous en pouvons déduire trois qu’on doit regarder comme l’analyse de tous les autres, & qui ne souffrent aucune exception.

1°. Tout ce qui nuit au Commerce, soit intérieur, soit extérieur, épuise les sources de la circulation.

2°. Toute sûreté diminuée dans l’état, suspend les effets du Commerce, c’est-à-dire de la circulation, & détruit le Commerce même.

3°. Moins la concurrence des signes existans sera proportionnée dans chaque partie d’un état à celle des denrées, c’est-à-dire moins la circulation sera active, plus il y aura de pauvres dans l’état, & conséquemment plus il sera éloigné du degré de puissance dont il est susceptible.

Nous avons tâché jusqu’à présent d’indiquer la source des propriétés de chaque branche du Commerce, & de développer les avantages particuliers qu’elles procurent au corps politique.

Les sûretés qui forment le lien d’une société, sont l’effet de l’opinion des hommes, elles ne regardent que les législateurs chargés par la providence, du soin de les conduire pour les rendre heureux. Ainsi cette matiere est absolument étrangere, quant à ses principes, à celle que nous traitons.

Il est cependant une espece de sûreté, qu’il est impossible de séparer des considérations sur le Commerce, puisqu’elle en est l’ame.

L’argent est le signe & la mesure de tout ce que les hommes se communiquent. La foi publique & la commodité ont exigé, comme nous l’avons dit au commencement, que le poids & le titre de cet équivalent fussent authentiques.

Les législateurs étoient seuls en droit de lui donner ce caractere : eux seuls peuvent faire fabriquer la monnoie, lui donner une empreinte, en régler le poids, le titre, la dénomination.

Toûjours dans un état forcé relativement aux autres législateurs, ils sont astreints à observer certaines proportions dans leur monnoie pour la conserver. Mais lorsque ces proportions réciproques sont établies, il est indifférent à la conservation des monnoies que leur valeur numéraire soit haute ou basse : c’est-à-dire que si les valeurs numéraires sont surhaussées ou diminuées tout d’un coup dans la même proportion où elles étoient avant ce changement, les étrangers n’ont aucun intérêt d’enlever une portion par préférence à l’autre.

Dans quelques états on a pensé que ce changement pouvoit être utile dans certaines circonstances. M. Melon & M. Dutot ont approfondi cette question dans leurs excellens ouvrages, sur-tout le dernier. On n’entreprendroit pas d’en parler, si l’état même de la dispute ne paroissoit ignoré par un grand nombre de personnes. Cela ne doit point surprendre, puisque hors du Commerce on trouve plus de gens en état de faire le livre de M. Melon, que d’entendre celui de son adversaire ; ce n’est pas tout, la querelle s’embrouilla dans le tems au point que les partisans de M. Melon publierent que les deux parties étoient d’accord ; beaucoup de personnes le crurent, & le répetent encore. Il en résulte que sans s’engager dans la lecture pénible des calculs de M. Dutot, chacun restera persuadé que les surhaussemens des monnoies sont utiles dans certaines circonstances.