nombre de matieres, & les traite avec tant de briéveté & de profondeur, qu’une lecture assidue & méditée peut seule faire sentir le mérite de ce livre. Elle servira sur-tout, nous osons le dire, à faire disparoître le prétendu défaut de méthode dont quelques lecteurs ont accusé M. de Montesquieu ; avantage qu’ils n’auroient pas dû le taxer légerement
sont, pour ainsi dire, mi-partis ou nuancés les uns des autres : ici la Monarchie incline au despotisme ; là le gouvernement monarchique est combiné avec le républicain ; ailleurs ce n’est pas le peuple entier, c’est seulement une partie du peuple qui fait les lois. Mais la division précédente n’en est pas moins exacte & moins juste. Les trois especes de gouvernement qu’elle renferme sont tellement distinguées, qu’elles n’ont proprement rien de commun ; & d’ailleurs tous les Etats que nous connoissons, participent de l’une ou de l’autre. Il étoit donc nécessaire de former de ces trois especes des classes particulieres, & de s’appliquer à déterminer les lois qui leur sont propres ; il sera facile ensuite de modifier ces lois dans l’application à quelque gouvernement que ce soit, selon qu’il appartiendra plus ou moins à ces différentes formes.
Dans les divers Etats, les lois doivent être relatives à leur nature, c’est-à-dire à ce qui les constitue, & à leur principe, c’est-à-dire à ce qui les soutient & les fait agir ; distinction importante, la clé d’une infinité de lois, & dont l’Auteur tire bien des conséquences.
Les principales lois relatives à la nature de la Démocratie sont, que le peuple y soit à certains égards le Monarque, à d’autres le Sujet ; qu’il élise & juge ses Magistrats, & que les Magistrats en certaines occasions décident. La nature de la Monarchie demande qu’il y ait entre le Monarque & le peuple beaucoup de pouvoirs & de rangs intermédiaires, & un corps, dépositaire des lois, médiateur entre les sujets & le Prince. La nature du Despotisme exige que le Tyran exerce son autorité, ou par lui seul, ou par un seul qui le représente.
Quant au principe des trois gouvernemens, celui de la Démocratie est l’amour de la république, c’est-à-dire de l’égalité ; dans les Monarchies, où un seul est le dispensateur des distinctions & des récompenses, & où l’on s’accoûtume à confondre l’État avec ce seul homme, le principe est l’honneur, c’est-à-dire l’ambition & l’amour de l’estime ; sous le Despotisme enfin, c’est la crainte. Plus ces principes sont en vigueur, plus le gouvernement est stable ; plus ils s’alterent & se corrompent, plus il incline à sa destruction. Quand l’Auteur parle de l’égalité dans les démocraties, il n’entend pas une égalité extrème, absolue, & par conséquent chimérique ; il entend cet heureux équilibre qui rend tous les citoyens également soûmis aux lois, & également intéressés à les observer.
Dans chaque gouvernement les lois de l’éducation doivent être relatives au principe ; on entend ici par éducation, celle qu’on reçoit en entrant dans le monde, & non celle des parens & des maîtres, qui souvent y est contraire, sur-tout dans certains États. Dans les Monarchies, l’éducation doit avoir pour objet l’urbanité & les égards réciproques ; dans les Etats despotiques, la terreur & l’avilissement des esprits ; dans les républiques on a besoin de toute la puissance de l’éducation ; elle doit inspirer un sentiment noble, mais pénible le renoncement à soi même, d’où naît l’amour de la patrie.
Les lois que le législateur donne, doivent être conformes au principe de chaque gouvernement ; dans la république, entretenir l’égalité & la frugalité ; dans la monarchie, soûtenir la noblesse sans écraser le peuple ; sous le gouvernement despotique, tenir également tous les états dans le silence. On ne doit point accuser M. de Montesquieu d’avoir ici tracé aux Souverains les principes du pouvoir arbitraire, dont le nom seul est si odieux aux Princes justes, & à plus forte raison au Citoyen sage & vertueux. C’est travailler à l’anéantir que de montrer ce qu’il faut faire pour le conserver : la perfection de ce gouvernement en est la ruine ; & le code exact de la tyrannie, tel que l’Auteur le donne, est en même tems la satyre & le fléau le plus redoutable des tyrans. A l’égard des autres gouvernemens, ils ont chacun leurs avantages ; le républicain est plus propre aux petits États, le monarchique aux grands ; le républicain plus sujet aux excès, le monarchique aux abus ; le républicain apporte plus de maturité dans l’exécution des lois, le monarchique plus de promptitude.
La différence des principes des trois gouvernemens doit en produire dans le nombre & l’objet des lois, dans la forme des jugemens & la nature des peines. La constitution des Monarchies étant invariable & fondamentale, exige plus de lois civiles & de tribunaux, afin que la justice soit rendue d’une manière plus uniforme & moins arbitraire ; dans les États modérés, soit Monarchies, soit Républiques, on ne sauroit apporter trop de formalités aux lois criminelles. Les peines doivent non-seulement être en proportion avec le crime, mais encore les plus douces qu’il est possible, sur-tout dans la Démocratie ; l’opinion attachée aux peines fera souvent plus d’effet que leur grandeur même. Dans les Républiques, il faut juger selon la loi, parce qu’aucun particulier n’est le maître de l’altérer. Dans les Monarchies, la clémence du Souverain peut quelquefois l’adoucir ; mais les crimes ne doivent jamais y être jugés que par les Magistrats expressément chargés d’en connoître. Enfin c’est principalement dans les Démocraties que les lois doivent être séveres contre le luxe, le relâchement des mœurs, & la séduction des femmes. Leur douceur & leur foiblesse même les rend assez propres à gouverner dans les Monarchies ; & l’Histoire prouve que souvent elles ont porté la couronne avec gloire.
M. de Montesquieu ayant ainsi parcouru chaque gouvernement en particulier, les examine ensuite dans le rapport qu’ils peuvent avoir les uns aux autres, mais seulement sous le point de vûe le plus général, c’est-à-dire sous celui qui est uniquement relatif à leur nature & à leur principe ; envisagés de cette maniere, les États ne peuvent avoir d’autres rapports que celui de se défendre ou d’attaquer. Les Républiques devant par leur nature renfermer un petit Etat, elles ne peuvent se défendre sans alliance, mais c’est avec des Républiques qu’elles doivent s’allier ; la force défensive de la Monarchie consiste principalement à avoir des frontieres hors d’insulte. Les États ont comme les hommes le droit d’attaquer pour leur propre conservation : du droit de la guerre dérive celui de conquête ; droit nécessaire, légitime & malheureux, qui laisse toûjours à payer une dette immense pour s’acquitter envers la nature humaine, & dont la loi générale est de faire aux vaincus le moins de mal qu’il est possible. Les Républiques peuvent moins conquérir que les Monarchies ; des conquêtes immenses sup-