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moyen de faciliter aux étrangers la connoissance de la langue. Il faut enfin pour les prépositions marquer avec soin leurs différens emplois, qui souvent sont en très-grand nombre (voyez Verbe, Nom, Cas, Genre, Participe, &c.) & les divers sens qu’elles désignent dans chacun de ces emplois. Voilà pour ce qui concerne la nature des mots, & la maniere de les traiter. Il nous reste à parler de la quantité, de l’orthographe, & de l’étymologie.

La quantité, c’est-à-dire la prononciation longue & breve, ne doit pas être négligée. L’observation exacte des accens suffit souvent pour la marquer. Voyez Accent & Quantité. Dans les autres cas on pourroit se servir des longues & des breves, ce qui abregeroit beaucoup le discours. Au reste la prosodie de notre langue n’est pas si décidée & si marquée que celle des Grecs & des Romains, dans laquelle presque toutes les syllabes avoient une quantité fixe & invariable. Il n’y en avoit qu’un petit nombre dont la quantité étoit à volonté longue ou breve, & que pour cette raison on appelle communes. Nous en avons plusieurs de cette espece, & on pourroit ou n’en point marquer la quantité, ou la désigner par un caractere particulier, semblable à celui dont on se sert pour désigner les syllabes communes en grec & en latin, & qui est de cette forme -ᴗ-.

A l’égard de l’orthographe, la regle qu’on doit suivre sur cet article dans un dictionnaire, est de donner à chaque mot l’orthographe la plus communément reçûe, & d’y joindre l’orthographe conforme à la prononciation, lorsque le mot ne se prononce pas comme il s’écrit. C’est ce qui arrive très-fréquemment dans notre langue, & certainement c’est un défaut considérable : mais quelque grand que soit cet inconvénient, c’en seroit un plus grand encore que de changer & de renverser toute l’orthographe, sur-tout dans un dictionnaire. Cependant comme une réforme en ce genre seroit fort à desirer, je crois qu’on feroit bien de joindre à l’orthographe convenue de chaque mot, celle qu’il devroit naturellement avoir suivant la prononciation. Qu’on nous permette de faire ici quelques réflexions sur cette différence entre la prononciation & l’orthographe ; elles appartiennent au sujet que nous traitons.

Il seroit fort à souhaiter que cette différence fût proscrite dans toutes les langues. Il y a pourtant sur cela plusieurs difficultés à faire. La premiere, c’est que des mots qui signifient des choses très-différentes, & qui se prononcent ou à-peu-près, ou absolument de même, s’écriroient de la même façon, ce qui pourroit produire de l’obscurité dans le discours. Ainsi ces quatre mots, tan, tant, tend, tems, devroient à la rigueur s’écrire tous comme le premier ; parce que la prononciation de ces mots est la même, à quelques legeres différences près. Cependant ces quatre mots désignent quatre choses bien différentes. On peut répondre à cette difficulté, 1° que quand la prononciation des mots est absolument la même, & que ces mots signifient des choses différentes, il n’y a pas plus à craindre de les confondre dans la lecture, qu’on ne fait dans la conversation où on ne les confond jamais ; 2° que si la prononciation n’est pas exactement la même, comme dans tan & tems, un accent dont on conviendroit, marqueroit aisément la différence sans multiplier d’ailleurs la maniere d’écrire un même son : ainsi l’a long est distingué de l’a bref par un accent circonflexe ; parce que l’usage de l’accent est de distinguer la quantité dans les sons qui d’ailleurs se ressemblent. Je remarquerai à cette occasion, que nous avons dans notre langue trop peu d’accens, & que nous nous servons même assez mal du peu d’accens que nous avons. Les Musiciens ont des rondes, des blanches, des noires, des croches,

simples, doubles, triples, &c. & nous n’avons que trois accens ; cependant à consulter l’oreille, combien en faudroit-il pour la seule lettre e ? D’ailleurs l’accent ne devroit jamais servir qu’à marquer la quantité, ou à désigner la prononciation, & nous nous en servons souvent pour d’autres usages : ainsi nous nous servons de l’accent grave dans succès, pour marquer la quantité de l’e, & nous nous en servons dans la préposition à, pour la distinguer du mot a, troisieme personne du verbe avoir ; comme si le sens seul du discours ne suffisoit pas pour faire cette distinction. Enfin un autre abus dans l’usage des accens, c’est que nous désignons souvent par des accens différens, des sons qui se ressemblent ; souvent nous employons l’accent grave & l’accent circonflexe, pour désigner des e dont la prononciation est sensiblement la même, comme dans bête, procès, &c.

Une seconde difficulté sur la réformation de l’orthographe, est celle qui est fondée sur les étymologies : si on supprime, dira-t-on, le ph pour lui substituer l’f, comment distinguera-t-on les mots qui viennent du grec, d’avec ceux qui n’en viennent pas ? Je réponds que cette distinction seroit encore très-facile, par le moyen d’une espece d’accent qu’on feroit porter à l’f dans ces sortes de mots : ce qui seroit d’autant plus raisonnable, que dans philosophie, par exemple, nous n’aspirons certainement aucune des deux h, & que nous prononçons filosofie ; au lieu que le φ des Grecs dont nous avons formé notre ph, étoit aspiré. Pourquoi donc conserver l’h, qui est la marque de l’aspiration, dans les mots que nous n’aspirons point ? Pourquoi même conserver dans notre alphabet cette lettre, qui n’est jamais ou qu’une espece d’accent, ou qu’une lettre qu’on conserve pour l’étymologie ? ou du moins pourquoi l’employer ailleurs que dans le ch, qu’on feroit peut-être mieux d’exprimer par un seul caractere ? Voyez Orthographe, & les remarques de M. Duclos sur la grammaire de P. R. imprimées avec cette grammaire à Paris, au commencement de cette année 1754.

Les deux difficultés auxquelles nous venons de répondre, n’empêcheroient donc point qu’on ne pût du moins à plusieurs égards réformer notre orthographe ; mais il seroit, ce me semble, presque impossible que cette réforme fût entiere pour trois raisons. La premiere, c’est que dans un grand nombre de mots il y a des lettres qui tantôt se prononcent & tantôt ne se prononcent point, suivant qu’elles se rencontrent ou non devant une voyelle : telle est, dans l’exemple proposé, la derniere lettre s du mot tems, &c. Ces lettres qui souvent ne se prononcent pas, doivent néanmoins s’écrire nécessairement ; & cet inconvénient est inévitable, à moins qu’on ne prît le parti de supprimer ces lettres dans les cas où elles ne se prononcent pas, & d’avoir par ce moyen deux orthographes différentes pour le même mot : ce qui seroit un autre inconvénient. Ajoûtez à cela que souvent même la lettre surnuméraire devroit s’écrire autrement que l’usage ne le prescrit : ainsi l’s dans tems devroit être un z, le d dans tend deyroit être un t, & ainsi des autres. La seconde raison de l’impossibilité de réformer entierement notre orthographe, c’est qu’il y a bien des mots dans lesquels le besoin ou le desir de conserver l’étymologie ne pourra être satisfait par de purs accens, à moins de multiplier tellement ces accens, que leur usage dans l’orthographe deviendroit une étude pénible. Il faudroit dans le mot tems un accent particulier au lieu de l’s ; dans le mot tend, un autre accent particulier au lieu du d ; dans le mot tant, un autre accent particulier au lieu du t, &c. & il faudroit savoir que le premier accent indique une s, & se prononce