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place dans les jardins des curieux ; elle se multiplie & se cultive, à tous égards, comme la précédente.

Quelques étymologistes ont dérivé assez naturellement le nom de dictamne, de dictea, montagne de Crete dont Virgile parle si souvent ; ou, si l’on aime mieux, de dictamo, ancienne ville de l’île de Crete, territoire qui n’est plus aujourd’hui qu’une petite bourgade de la Canée dans l’île de Candie. Le lecteur curieux d’érudition sur cette matiere, en trouvera dans l’ouvrage d’un Allemand nommé Geyer, dont voici le titre : Geyeri (Joh. Daniel) Thargelus Apollini sacer. Francf. 1687. 4°. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Dictamne de Crete, (Mat. med.) dictamnum Creticum. Dictamnus Cretica. Off. Nous trouvons sous le nom de dictamne de Crete chez les droguistes & dans les boutiques d’Apoticaires, des feuilles arrondies de la longueur d’un pouce, tirant sur le verd, couvertes de duvet & d’un poil épais, soûtenues souvent sur de petites tiges, du sommet desquelles pendent des especes d’épis formés de feuilles en maniere d’écaille, de couleur de pourpre, d’une odeur pénétrante & agréable, d’un goût âcre, aromatique, brûlant. Voilà les feuilles du dictamne qui sont seules d’usage en Medecine. On les apporte seches du Levant, & elles contiennent beaucoup d’huile essentielle, avec un sel volatil, comme on peut le conjecturer par leur odeur & par leur goût. Ainsi il faut choisir celles qui sont récentes, odorantes, entieres, bien nourries, point moisies, également velues, & d’une saveur qui brûle un peu la langue. On monde ces feuilles des petits morceaux de bois, auxquels elles sont souvent attachées.

Les Medecins les prescrivent soit en poudre depuis une dragme jusqu’à trois, soit en infusion depuis deux dragmes jusqu’à six, pour plusieurs maladies, sur-tout pour hâter l’accouchement, pour chasser l’arriere-faix, & pour exciter les regles. On les employe beaucoup dans plusieurs compositions officinales, en particulier dans la thériaque d’Andromaque, le mithridate de Damocrate, la confection hyacinthe, le diascordium, & autres.

Il étoit bien difficile qu’une plante si célebre parmi les anciens, manquât d’avoir des sectateurs zélés parmi les modernes, & qu’ils oubliassent de l’incorporer dans leurs prétendus antidotes. D’abord une fable de tems in mémorial qui disoit que les chevres de Crete en mangeant de cette herbe, faisoient tomber les fleches dont elles étoient blessées, établit son pouvoir dans la guérison des plaies. Virgile n’a pas manqué de saisir ce conte pour en orner sa description du dictamne.

Non illa feris incognita capris
Gramina, cum tergo volucres hæsere sagittæ.


« Sa vertu n’est pas inconnue des chevreuils de l’île, qui en vont brouter les feuilles lorsqu’ils sont atteints des fleches du chasseur ».

Mais d’autres auteurs accréditerent davantage les vertus vulnéraires des feuilles du dictamne, en les vantant dans des ouvrages plus sérieux, comme ont fait par exemple, Dioscoride, Cicéron, Pline, & Tertullien même. Il est vrai que quelques-uns d’eux plus critiques & plus sages que les autres, en ont parlé simplement comme d’une histoire qu’on racontoit ; cependant leur discours montre toûjours que le dictamne passoit généralement pour un excellent remede contre les traits empoisonnés, les blessures, & la morsure des bêtes venimeuses.

Enfin Galien ayant écrit qu’Hippocrate mettoit le dictamne au rang des puissans remedes pour chasser l’arriere-faix, a trouvé par-tout chez les modernes une entiere confiance sous une autorité si respectable. Quelques expériences apparentes & fautives,

telles que celles de Thaddé Dunus, rapportées par Jean Bauhin, les ont confirmés dans cette idée. Alors ils ont étendu beaucoup plus loin les vertus efficaces des feuilles du dictamne de Crete ; ils en ont fait un alexipharmaque, un emménagogue, un cordial, un souverain antidote. Cet enthousiasme a subsisté jusqu’à ce que de meilleurs esprits réduisant les propriétés de cette plante étrangere à leur juste valeur, les ayent jugées simplement analogues à celles du pouliot, de la menthe, de la rue, du basilic, & autres plantes aromatiques de ce genre, avec cette reserve encore pour l’usage, que nous sommes plus sûrs d’avoir ces dernieres réellement & sans falsification, que nous ne le sommes du dictamne que nous recevons de Grece : les raisons ne sont pas difficiles à deviner. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Dictamne blanc, (Bot.) voyez Fraxinelle, car c’est la même plante, & nous nous hâtons de le remarquer en faveur de ceux qui commencent à étudier la matiere médicale : ignorant que les racines du dictamne de Crete ne sont d’aucun usage, ils pensent naturellement, & ils doivent penser que ce sont les feuilles & les racines de la même plante que l’on vend & que l’on trouve dans les boutiques sous le nom de dictamne. Voilà comme les termes équivoques jettent dans mille erreurs. A l’homonymie botanique des anciens, ajoûtez celle des modernes qui se multiplie tous les jours, & dont, pour combler la mesure, nous sommes les premiers à donner l’exemple, vous verrez combien l’on est peu curieux de faciliter le progrès des Sciences. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

DICTATEUR, s. m. (Hist. rom.) magistrat romain créé tantôt par un des consuls ou par le général d’armée, suivant Plutarque ; tantôt par le sénat ou par le peuple, dans des tems difficiles, pour commander souverainement, & pour pourvoir à ce que la république ne souffrît aucun dommage.

Les Romains ayant chassé leurs rois, se virent obligés de créer un dictateur dans les périls extrèmes de la république, comme, par exemple, lorsqu’elle étoit agitée par de dangereuses séditions, ou lorsqu’elle étoit attaquée par des ennemis redoutables. Dès que le dictateur étoit nommé, il se trouvoit revêtu de la suprème puissance ; il avoit droit de vie & de mort, à Rome comme dans les armées, sur les généraux & sur tous les citoyens, de quelque rang qu’ils fussent : l’autorité & les fonctions des autres magistrats, à l’exception de celle des tribuns du peuple, cessoient, ou lui étoient subordonnées : il nommoit le général de la cavalerie qui étoit à ses ordres, qui lui servoit de lieutenant, &, si l’on peut parler ainsi, de capitaine des gardes : vingt-quatre licteurs portoient les faisceaux & les haches devant lui, & douze seulement les portoient devant le consul : il pouvoit lever des troupes, faire la paix ou la guerre selon qu’il le jugeoit à-propos, sans être obligé de rendre compte de sa conduite, & de prendre l’avis du sénat & du peuple : en un mot il joüissoit d’un pouvoir plus grand que ne l’avoient jamais eu les anciens rois de Rome ; mais comme il pouvoit abuser de ce vaste pouvoir si suspect à des républicains, on prenoit toûjours la précaution de ne le lui déférer tout au plus que pour six mois.

Le premier du rang des patriciens qui parvint à cet emploi suprème, fut Titius Largius, l’an de Rome 259. Clélius premier consul le nomma, comme en dédommagement de l’autorité qu’il perdoit par la création de cette éminente dignité. Le premier dictateur pris de l’ordre des plébéiens, fut Cn. Martius Rutilius, l’an de Rome 399. Quelques citoyens eurent deux fois cette suprème magistrature. Camille fut le seul qu’on nomma cinq fois dictateur ; mais Ca-