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Les fonctions même de justice pouvoient presque toutes être déléguées par les magistrats, soit à des personnes publiques ou privées ; c’est ce qu’on voit dans plusieurs textes des lois romaines, & singulierement dans le titre de officio ejus cui mandata est jurisdictio. Le délégué général pour la justice, étoit celui auquel mandata erat jurisdictio ; quelquefois le magistrat ne faisoit qu’une délégation spéciale à quelqu’un pour juger une telle affaire, & celui-ci s’appelloit judex datus. On comprenoit aussi sous le même nom, celui qui étoit subdélégué par le délégué général pour certains actes.

Le délégué général prononçoit lui-même ses sentences, & avoit droit d’infliger des peines légeres pour la manutention de sa jurisdiction & l’exécution de ses sentences.

Le délégué particulier ou subdélégué ne donnoit proprement qu’un avis arbitral, & n’avoit pas le pouvoir de le faire exécuter ; il ne pouvoit subdéléguer.

L’appel du délégué général étoit relevé devant le juge supérieur du magistrat qui avoit délégué, attendu que le délégant & le délégué général n’avoient qu’un même auditoire & une même justice ; au lieu que l’appel du délégué particulier ou subdélégué se relevoit devant celui qui l’avoit commis.

Nous avons dit que les fonctions de justice pouvoient presque toutes être déléguées, & non pas toutes indistinctement, parce qu’en effet il y en avoit quelques-unes qui ne pouvoient pas être déléguées.

Le magistrat pouvoit déléguer tout ce qui étoit de simple jurisdiction, c’est-à-dire le pouvoir de juger, de prononcer les jugemens : le délégué général avoit aussi le pouvoir de les faire exécuter par des peines légeres ; ce qui faisoit partie du pouvoir appellé chez les Romains mixtum imperium, qui tenoit plus du commandement que de la jurisdiction proprement dite ; mais il n’avoit pas ce mixtum imperium tout entier, c’est pourquoi il ne pouvoit pas affranchir les esclaves, recevoir les adoptions, assembler le conseil.

A l’égard du pouvoir appellé chez les Romains mixtum imperium, qui consistoit en la puissance du glaive, & à infliger d’autres peines graves, ce qui revient à peu-près à ce que l’on appelle en France acte de haute justice, le magistrat ne pouvoit pas le déléguer même par une commission générale, parce qu’il n’étoit réputé l’avoir lui-même que par délégation spéciale & particuliere, & par conséquent ne le pouvoit subdéléguer.

Tel étoit l’usage observé chez les Romains par rapport aux délégations, tant que dura le gouvernement populaire. Comme les magistrats étoient en petit nombre, & qu’il étoit difficile d’assembler souvent le peuple pour commettre aux différentes fonctions publiques qu’ils ne pouvoient remplir par eux-mêmes, on leur laissa la liberté de commettre d’autres personnes pour les soulager dans la plûpart de leurs fonctions.

Mais sous les empereurs on reconnut peu-à-peu l’abus de toutes ces délégations, en ce que des magistrats qui avoient été choisis pour leur capacité, commettoient en leur place des personnes privées qui pouvoient n’avoir point les qualités nécessaires, & que d’ailleurs ceux auxquels l’exercice de la puissance publique est confié personnellement, ne peuvent pas transférer à d’autres un droit qu’ils n’ont pas de leur chef ; aussi ne trouve-t-on dans tout le code aucune loi qui autorise les magistrats à faire une délégation générale, & sur-tout à des personnes privées : on leur permit seulement de renvoyer les causes légeres devant leurs conseillers & assesseurs, qui étoient des juges en titre d’office ; & comme ceux-ci n’avoient point de tribunal élevé, mais jugeoient de plano, seu plano pede, on les appella juges

pedanés, & l’appel de ces délégués particuliers

alloit à un magistrat qui leur avoit renvoyé la cause.

En France, les ducs & comtes avoient autrefois, comme les présidens & proconsuls romains, le gouvernement militaire de leurs provinces & l’administration de la justice qu’ils déléguoient à des lieutenans. Les baillifs & sénéchaux qui succéderent aux ducs & comtes pour l’administration de la justice, eurent bien le pouvoir de commettre des lieutenans de robbe longue, mais ils ne pouvoient pas leur déléguer toute la jurisdiction ; ils étoient au contraire obligés de résider & d’exercer en personne. Louis XII. leur ôta le pouvoir de destituer leurs lieutenans ; & François I. leur ôta ensuite le droit de les instituer, au moyen de la vénalité des charges qui fut introduite sous son regne.

Les juges ne peuvent donc plus aujourd’hui faire de délégation générale de leur jurisdiction.

A l’égard des délégations particulieres, elles n’ont lieu qu’en certain cas ; savoir, 1°. lorsqu’il s’agit de faire quelque expédition de justice dans un endroit éloigné, comme de faire une enquête ou information : en ce cas, le juge, pour le soulagement des parties, les renvoye devant le juge royal plus prochain. 2°. Dans ce qui est d’instruction, comme pour une enquête, un interrogatoire, un procès-verbal de descente, on commet un des officiers du siége qui peut rendre seul des ordonnances sur le fait de sa commission. 3°. Le juge renvoye quelquefois les parties devant des experts, mais ceux-ci ne donnent qu’un avis ; il en est de même des renvois de certaines causes légeres, faits devant un avocat ou devant un procureur. Les appointemens que donne l’avocat ou le procureur ne sont que des avis, à la réception desquels on peut former opposition.

Les procureurs généraux du roi dans les parlemens commettoient autrefois les procureurs du roi dans les bailliages & sénéchaussées ; c’est de-là qu’au parlement on les qualifie encore de substituts du procureur général, quoique présentement ils ayent le titre de procureur du roi ; ils commettoient aussi leurs substituts au parlement. Les procureurs du roi des bailliages & sénéchaussées commettoient pareillement des substituts pour eux dans les siéges inférieurs, c’est pourquoi ils prenoient alors le titre de procureurs généraux ; mais depuis 1522, on a érigé des procureurs du roi en titre d’offices dans tous les siéges royaux.

Les commissaires départis par le Roi dans les provinces sont considérés comme des délégués généraux, c’est pourquoi ils peuvent faire des subdélégations particulieres, comme en effet ils ont coutume d’en faire plusieurs à différentes personnes, qu’on appelle leurs subdélégués. Voyez Subdelegués.

Les commissions que donnent plusieurs autres officiers, soit de justice ou de finance, sont encore des especes de délégations ; mais ceux qui sont ainsi commis pour quelque fonction particuliere, n’ont point le caractere ni le pouvoir d’officiers publics, à moins qu’ils n’ayent serment en justice, & ne soient institués publiquement pour le fait de la commission qui leur est déléguée ; auquel cas, si ce sont des commis pour le fait des finances, ils peuvent faire des procès-verbaux, décerner des contraintes, &c.

La délégation ou subdélégation ne finit pas par la mort du délégué, on fait subroger une autre personne en sa place ; mais elle finit quand l’objet pour lequel elle a été établie se trouve rempli.

Voyez au digeste, liv. I. tit. xvj. liv. IX. & liv. II. tit. j. liv. V. au code, liv. III. tit. jv. leg. 1. & tit. viij. liv. I. liv. VII. tit. xlviij. liv. II. & IV. tit. lxij. liv. XVI. tit. lxjv. liv. VI. & plusieurs autres. Voyez ci-après Delegué & Juge delegué.

Délégation d’un débiteur, est une espece