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à se porter vers l’orifice du rectum ou l’anus, dont le sphincter, qui ne peut opposer que l’élasticité de ses fibres, n’offre par conséquent qu’une foible résistance ; ainsi les excrémens pressés de toute part sont poussés vers cet orifice : le diaphragme & les muscles abdominaux, d’antagonistes qu’ils sont ordinairement, deviennent congeneres pour concourir aussi à l’expulsion des matieres fécales, sur-tout quand elle ne se fait qu’avec peine : l’air étant retenu dans la poitrine par l’élevation continuée des côtes, ses muscles se contractent & diminuent la capacité du bas-ventre, pressent tous les visceres ; & les matieres mobiles dans la situation où elles ont été représentées, sont déterminées vers la seule partie qui est dans le relâchement ; le sphincter de l’anus n’étant soûtenu que par sa contractibilité, dès qu’elle est surmontée il se dilate, les excrémens tombent hors du corps avec facilité, par leur propre poids & par la position perpendiculaire du rectum, dont la surface intérieure est unie, sans valvules. Le boyau s’évacue entierement par ce méchanisme à différentes reprises : les muscles de l’anus, qui par leur position ont aussi favorisé son ouverture, servent ensuite à le relever & à lui rendre sa précédente situation, d’où il avoit été poussé en-dehors par la pointe du cone que forme la colonne des matieres fécales ainsi moulées dans le canal intestinal ; c’est là ce qui se passe dans l’état de santé. Lorsque les excrémens sont plus ou moins solides, il faut plus ou moins de forces combinées pour leur expulsion, laquelle étant entierement finie, le sphincter relevé se ferme, reste contracté comme il étoit auparavant, & sert de nouveau à soûtenir les matieres qui arrivent presque sans cesse dans le rectum, pour empêcher qu’il ne s’en fasse une évacuation continuelle.

II. Cette fonction peut être lésée de trois manieres : elle peut se faire trop rarement ; elle peut se faire trop fréquemment, & l’exercice peut s’en faire inutilement.

L’évacuation des excrémens est diminuée & se fait trop peu dans la constipation, c’est-à-dire lorsque le ventre est resserré : 1°. par le vice des matieres qui doivent être évacuées ; si elles le sont par une autre voie, comme dans le vomissement, dans la passion iliaque ; si elles sont si dures, si compactes, si épaisses qu’elles résistent à l’action propulsive des intestins, qui tend à les porter vers l’extrémité du canal ; si par le défaut de la bile trop peu active ou trop peu abondante, cette action n’est pas excitée. 2°. Par le vice des organes qui concourent à exécuter la déjection, c’est-à-dire du diaphragme & des muscles abdominaux ; s’ils sont enflammés, s’ils sont affectés de douleur, ou si en se contractant ils occasionnent de la douleur dans quelqu’autre partie : dans ces cas la déjection ne peut pas se faire faute du secours des puissances nécessaires à cet effet.

La déjection est au contraire augmentée, c’est-à-dire qu’elle se fait trop souvent & trop abondamment dans les cours-de-ventre, qui sont de différente espece, comme la diarrhée stercoreuse, la bilieuse, la séreuse ; la dyssenterie, la lienterie, la passion cœliaque, le colera-morbus, &c. 1°. parce que les matieres fécales étant trop ténues & trop fluides, parcourent plus facilement & plus promptement le canal intestinal, & s’évacuent de même. 2°. Parce qu’ayant plus d’acrimonie qu’à l’ordinaire, elles excitent plus fortement & plus vîte la contraction musculaire qui sert à les expulser. 3°. Parce que les intestins étant enflammés, ulcérés, excoriés, ont plus de sensibilité, & sont par conséquent susceptibles d’être plus promptement & plus aisément excités à se contracter.

Enfin la déjection est dépravée lorsque les organes se mettent en jeu pour la faire, mais avec des efforts

inutiles, comme dans le tenesme, ce qui arrive 1°. parce que certaines matieres ou humeurs plus irritantes qu’elles ne sont ordinairement, sont attachées, adhérentes à l’extrémité du rectum, ce qui excite à l’exercice de la déjection ; comme la mucosité intestinale trop âcre & salée ; le pus qui flue d’un ulcere ou d’une fistule du boyau, les vers ascarides qui le picotent, &c. 2°. parce que le rectum farci d’hémorrhoides ou rongé par les matieres âcres que fournit le flux dyssentérique est d’un sentiment plus vif, ce qui le rend susceptible des moindres impressions, qui ne l’auroient aucunement affecté dans l’état naturel : 3°. parce que les parties qui sympathisent avec le rectum, c’est-à-dire, qui ont la même distribution de vaisseaux, de nerfs, souffrent ou sont affectés de quelqu’autre maniere, ce qui donne lieu par communication à ce que l’on fasse des efforts pour la déjection, comme dans le cas du calcul qui irrite la vessie, dans le cas du fœtus qui dilate l’orifice interne de la matrice. Alors ce n’est que par sympathie que l’on se sent envie d’aller à la selle, envie sans effet : il est aisé, avec un peu d’attention, de se convaincre qu’il n’y a pas d’autre cause. Astruc, pathol.

III. La matiere des déjections la plus naturelle, selon Hippocrate, est molle, liée, assez compacte, de couleur tirant sur le roux, qui n’est pas d’une odeur bien forte, dont la quantité est proportionnée à celle des alimens, & que l’on rend à-peu-près dans des tems égaux : tout homme qui se porte bien, dit M. Haller, urine peu, sue peu, rend peu de matieres fécales, mais il transpire beaucoup. Parmi les signes généraux de santé tirés de l’exercice des fonctions, Boerhaave (instit. semeiot.) dit que le ventre doit être paresseux, & la matiere seche sans incommodité ; c’est une preuve que les alimens sont bien digerés, & qu’ils ont été tellement atténués, qu’il reste peu de matiere grossiere pour former les excrémens ; ce qui passe de superflu dans le sang se dissipe insensiblement. On a vû des hommes en très-bonne santé se plaindre d’avoir le ventre resserré & sec : ils étoient fâchés de ce qui étoit un bien pour eux ; car c’est un signe d’un tempérament robuste. Il y a des gens en très-bonne santé qui ne se vuident le ventre qu’une fois par semaine ; au contraire plus on est de tempérament foible, plus on rend de matiere fécale & plus on la rend liquide.

IV. Il résulte de ce qui vient d’être dit de la matiere des déjections dans l’état naturel, qu’elles doivent être réglées par rapport à la consistance, à la couleur, à l’odeur, à la quantité, & à l’ordre de l’évacuation : lors, par conséquent, qu’elles pechent par le défaut de quelqu’une de ces conditions, elles sont contre nature : plus les excrémens sont différens de ce qu’ils sont en santé, plus il y a de danger dans la maladie. Il est très-nécessaire à un medecin d’observer ces changemens, parce qu’il peut en tirer des prognostics très-essentiels pour juger de l’évenement ; mais il doit avoir attention à distinguer les différences qui se présentent dans la matiere des déjections, qui peuvent être l’effet des remedes qui ont été précédemment mis en usage, & dans celle des déjections que la nature de la maladie occasionne, sans autre cause étrangere.

Toutes les observations d’Hippocrate, qui ont fourni la matiere de son admirable livre des Prénotions de Cos, ne sont fondées que sur les opérations de la nature dans les maladies. Les évacuations qui se font par la voie des intestins, sont de très-grande conséquence ; aussi ont-elles fixé particulierement l’attention de ce prince des medecins. Il a décrit avec tant d’exactitude les symptomes qui accompagnent & qui suivent les différentes excrétions faites par la voie des selles, qu’il a mis les medecins qui sont venus après lui, en état de prédire, à la