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on tâche de l’empêcher de le prolonger, & de lui disputer le plus long tems qu’on le peut les places d’armes. Les fougasses y doivent être employées avec succès, & répétées un grand nombre de fois, si le terrein le permet. Lorsque l’assiégeant a une fois bien établi son logement, & qu’il le soûtient avec attention, il ne lui faut plus que du tems pour l’étendre & se rendre entierement maître du chemin couvert. Les chicannes des assiégés ne peuvent qu’en retarder la prise, sans pouvoir l’empêcher absolument.

Ces sortes d’attaques de vive force sont extrèmement meurtrieres, & leur succès n’est pas toûjours certain. Les alliés, qui en 1708 attaquerent le chemin couvert de Lille de cette maniere, y eurent plus de 2000 hommes de tués & 2667 blessés ; & ils ne pûrent se loger que sur deux angles saillans, qui ne se trouverent pas défendus d’un si grand nombre de troupes que les autres. En 1713 M. le maréchal de Villars fit attaquer de même le chemin couvert de Fribourg ; il vint à bout de s’y établir par la grande valeur des troupes qu’il y employa : mais cette action coûta 1500 hommes tués ou blessés. Le seul régiment d’Alsace y perdit ses quatre capitaines de grenadiers, & il eut 643 hommes tant tués que blessés. La méthode de se rendre maître du chemin couvert par la sape, est infiniment moins meurtriere & plus sûre ; & suivant M. le maréchal de Vauban, elle ne peut guere retarder la prise du chemin couvert que de quatre ou cinq jours.

Supposons présentement que l’ennemi prenne le parti de s’emparer du chemin couvert par la sape, & qu’il éleve des cavaliers de tranchée pour plonger dans le chemin couvert : il faut en retarder l’exécution par toutes les chicannes que l’on pourra imaginer ; car lorsque ces cavaliers sont bien établis, le séjour du chemin couvert devient trop dangereux. Il faut par des fourneaux arrêter l’ennemi à chaque pas, le fatiguer par un grand feu, & ne lui abandonner le terrein que pié, à pié, en se défendant derriere chaque traverse, & dans les places d’armes autant qu’on peut le faire sans trop s’exposer, & que la retraite n’est point coupée.

Défense des breches, c’est la résistance qu’on fait à l’ennemi, pour l’empêcher d’y monter & de se rendre maître de l’ouvrage dont il s’est ouvert l’entrée par les mines ou par le canon ; ou bien c’est la maniere de résister à l’assaut de l’ennemi. Voyez Assaut.

On peut empêcher l’ennemi de monter à l’assaut, s’il est en état de le faire avant qu’on soit préparé à le recevoir, en entretenant un grand feu au pié des breches, avec des artifices & toutes sortes de matieres combustibles.

A Turin, les ennemis firent par ce moyen différer l’assaut pendant plusieurs jours, aux pieces du front de l’attaque. On doit, lorsque l’ennemi se présente au pié de la breche, lui jetter une grande quantité de grenades, de sacs à poudre, pour mettre du desordre parmi ses troupes : des bouteilles de terre ou de verre remplies de poudre, entortillées de quatre ou cinq bouts de mêche allumée, peuvent aussi faire beaucoup de mal à l’assiégeant. On peut encore semer ou répandre une grande quantité de poudre sur la breche, lorsque l’ennemi est prêt de monter à l’assaut, & y jetter, lorsqu’il y monte, des mêches allumées ou des charbons ardens pour mettre le feu à cette poudre ; la flamme s’élevera d’abord & pourra brûler & mettre hors de combat un grand nombre de ceux qui se trouveront sur la breche. Il est bon de jetter aussi dans la breche quantité de herses à longues pointes, c’est-à-dire piquées par des clous dont les pointes s’élevent beaucoup de la herse : pour que l’ennemi ne puisse pas les ôter, il faut les atta-

cher avec des chaînes, ou au moins avec de grosses

cordes. Il faut aussi être munis de chausse-trapes, en semer la breche, & avoir quantité de chevaux-de-frise & des hérissons de la longueur des breches ; ce sont des grosses poutres ou des arbres armés de pointes fort longues, attachés avec des chaînes ou des cordes, ensorte que si le canon en rompt une, ils soient retenus par les autres. On les fait rouler sur les breches avec des rouleaux ; ils dérangent beaucoup l’ennemi en tombant sur lui lorsqu’il monte à l’assaut. Des bombes attachées aussi avec des bouts de chaînes, pour ne les laisser aller que jusqu’aux endroits où l’on peut le plus endommager l’ennemi, sont aussi excellentes. On leur met des fusées beaucoup plus courtes qu’à l’ordinaire, afin que leur effet se fasse plus promptement. Les fascines goudronnées, les barils foudroyans, tout doit être employé pour empêcher l’ennemi de s’établir sur la breche.

Lorsque l’ennemi, franchissant tous ces obstacles, se présente enfin au haut de la breche, on met le feu aux fourneaux pratiqués sous la breche pour la faire sauter, & l’on place des chevaux-de-frise sur toute la largeur de la breche. Les troupes se mettent derriere, où elles continuent de faire un grand feu sur l’ennemi, pendant qu’il fait ses efforts pour pénétrer dans l’ouvrage ; & lorsqu’il commence à y pénétrer, le premier rang des troupes qui le défendent, & que l’on doit avoir armé de faux emmanchées de revers, de pertuisannes ou hallebardes, doit tomber sur l’ennemi, & en faire un grand carnage, étant soûtenues des autres troupes : mais enfin si l’ennemi à force de monde trouve le moyen de faire abandonner la breche, on se retire dans le retranchement, d’où l’on fait encore sur lui un feu très-violent : & lorsqu’on le voit en état de forcer ce retranchement, on fait retirer dans la place les canons & autres munitions qu’on peut encore y avoir ; & enfin si l’on a des fourneaux, on les fait sauter en se retirant, pour causer toute la perte & tout le dérangement qu’on peut à l’ennemi.

Une chose qui mérite bien de l’attention, & qui peut beaucoup servir à faire trouver de la difficulté à l’ennemi pour monter à l’assaut ou s’établir sur la breche par le moyen de la sape, c’est d’avoir attention de déblayer les décombres de la breche. On le peut dans le fossé sec assez facilement : à l’égard du fossé plein d’eau, l’entreprise est plus difficile ; mais aussi dans ce dernier cas, la breche est plus aisée à défendre que dans le premier, parce que l’ennemi qui ne peut arriver au pié que par le pont de fascines pratiqué dans le fossé, lequel pont n’a guere que dix ou douze piés de large, ne peut pas se présenter sur la breche avec un aussi grand front que dans le fossé sec, ce qui donne plus de facilité de le repousser aux troupes qui défendent l’ouvrage attaqué.

Défense des petites Villes & des Châteaux. On se trouve souvent dans la nécessité, à la guerre, de soûtenir de petits postes qui n’ont nulles fortifications, mais qui servent à garder des passages pour la sûreté des convois ou munitions de guerre & de bouche, qu’on fait venir pour l’armée, ou à empêcher l’ennemi d’approcher du lieu où l’armée est campée, ou enfin qui servent de retraite aux troupes pendant le quartier d’hyver, & qui sont à portée de pouvoir se rassembler promptement & aisément lorsqu’il en est besoin.

Lorsque l’on se trouve enfermé dans un tel lieu, où l’on peut être insulté d’un moment à l’autre, on doit d’abord s’assûrer des portes, & travailler pour en défendre l’approche à l’ennemi. Pour cet effet, il faut construire une petite demi-lune de terre vis-à-vis la porte d’entrée, & une autre devant celle de sortie ; s’il y a d’autres portes, il faut les faire murer. Si le lieu n’a pas de fossé, ou qu’il en ait de fort