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ne se prenoit que dans cette acception, & que depuis Andronicus la récitation & le geste des monologues se partageoient toûjours entre deux acteurs.

Mais le passage de Tite-Live dont on veut s’appuyer, ne présente pas un sens bien déterminé. Je vis, lorsque je le discutai dans une de nos assemblées, combien il reçut d’interprétations différentes de la part de ceux à qui les anciens auteurs sont le plus familiers, & la plûpart adopterent celui que je vais proposer.

Le canticum d’Andronicus étant composé de chants & de danses, on pourroit entendre par les termes cantioum egisse, &c. que cet auteur qui d’abord chantoit son cantique, ou, si l’on veut, sa cantate, & qui exécutoit alternativement ou en même tems les intermedes de danses, ayant altéré sa voix, chargea un autre acteur de la partie du chant, pour danser avec plus de liberté & de force, & que de-là vint l’usage de partager entre différens acteurs la partie du chant & celle de la danse.

Cette explication me paroît plus naturelle que le système du partage de la récitation & du geste ; elle est même confirmée par un passage de Valere Maxime, qui, en parlant de l’avanture d’Andronicus, dit, tacitus gesticulationem peregit ; or gesticulatio est communément pris pour la danse chez les anciens.

Lucien dit aussi (Dialogue sur la danse) : « Autrefois le même acteur chantoit & dansoit ; mais comme on observa que les mouvemens de la danse nuisoient à la voix & empêchoient la respiration, on jugea plus convenable de partager le chant & la danse. »

Si le jeu muet d’Andronicus étoit une simple gesticulation plûtôt qu’une danse, on en pourroit conclure encore que l’accident qui restreignit Andronicus à ne faire que les gestes, auroit donné l’idée de l’art des pantomimes. Il seroit plus naturel d’adopter cette interprétation, que de croire qu’on eût, par un bisarrerie froide, conservé une irrégularité que la nécessité seule eût pû faire excuser dans cette circonstance.

Si l’on rapporte communément l’art des pantomimes au siecle d’Auguste, cela doit s’entendre de sa perfection, & non pas de son origine.

En effet, les danses des anciens étoient presque toûjours des tableaux d’une action connue, ou dont le sujet étoit indiqué par des paroles explicatives. Les danses des peuples de l’Orient, décrites dans Pietro della Valle & dans Chardin, sont encore dans ce genre ; au lieu que les nôtres ne consistent guere qu’à montrer de la légereté, ou présenter des attitudes agréables.

Ces pantomimes avoient un accompagnement de musique d’autant plus nécessaire, qu’un spectacle qui ne frappe que les yeux, ne soûtiendroit pas longtems l’attention. L’habitude où nous sommes d’entendre un dialogue, lorsque nous voyons des hommes agir de concert, fait qu’au lieu du discours que notre oreille attend machinalement, il faut du moins l’occuper par des sons musicaux convenables au sujet. Voyez Pantomime.

Si l’usage dont parle Tite-Live devoit s’entendre du partage de la récitation & du geste, il seroit bien étonnant que Ciceron ni Quintilien n’en eussent pas parlé : il est probable qu’Horace en auroit fait mention.

Donat dit simplement que les mesures des cantiques, ou, si l’on veut, des monologues, ne dépendoient pas des acteurs, mais qu’elles étoient reglées par un habile compositeur : diverbia histriones pronuntiabant ; cantica verò temperabantur modis, non à poëtâ, sed à perito artis musices factis. Ce passage ne prouveroit autre chose, sinon que les monologues

étoient des morceaux de chant ; mais il n’a aucun rapport au partage de l’action.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cet article, & je passe au second, qui demandera beaucoup plus de discussion.

Sur la déclamation notée. L’éclaircissement de cette question dépend de l’examen de plusieurs points ; & pour procéder avec plus de méthode & de clarté, il est nécessaire de définir & d’analyser tout ce qui peut y avoir rapport.

La déclamation théatrale étant une imitation de la déclamation naturelle, je commence par définir celle-ci. C’est une affection ou modification que la voix reçoit, lorsque nous sommes émûs de quelque passion, & qui annonce cette émotion à ceux qui nous écoutent, de la même maniere que la disposition des traits de notre visage l’annonce à ceux qui nous regardent.

Cette expression de nos sentimens est de toutes les langues ; & pour tâcher d’en connoître la nature, il faut pour ainsi dire décomposer la voix humaine, & la considérer sous divers aspects.

1°. Comme un simple son, tel que le cri des enfans.

2°. Comme un son articulé, tel qu’il est dans la parole.

3°. Dans le chant, qui ajoûte à la parole la modulation & la variété des tons.

4°. Dans la déclamation, qui paroît dépendre d’une nouvelle modification dans le son & dans la substance même de la voix ; modification différente de celle du chant & de celle de la parole, puisqu’elle peut s’unir à l’une & à l’autre, ou en être retranchée.

La voix considérée comme un son simple, est produite par l’air chassé des poumons, & qui sort du larynx par la sente de la glotte ; & il est encore augmenté par les vibrations des fibres qui tapissent l’intérieur de la bouche & le canal du nez.

La voix qui ne seroit qu’un simple cri, reçoit on sortant de la bouche deux especes de modifications qui la rendent articulée, & font ce qu’on nomme la parole.

Les modifications de la premiere espece produisent les voyelles, qui dans la prononciation dépendent d’une disposition fixe & permanente de la langue, des levres & des dents. Ces organes modifient par leur position, l’air sonore qui sort de la bouche ; & sans diminuer sa vîtesse, changent la nature du son. Comme cette situation des organes de la bouche, propre à former les voyelles, est permanente, les sons voyelles sont susceptibles d’une durée plus ou moins longue, & peuvent recevoir tous les degrés d’élevation & d’abaissement possibles : ils sont même les seuls qui les reçoivent ; & toutes les variétés, soit d’accens dans la prononciation simple, soit d’intonation musicale dans le chant, ne peuvent tomber que sur les voyelles.

Les modifications de la seconde espece, sont celles que reçoivent les voyelles par le mouvement subit & instantané des organes mobiles de la voix, c’est-à-dire de la langue vers le palais ou vers les dents, & par celui des levres. Ces mouvemens produisent les consonnes, qui ne sont que de simples modifications des voyelles, & toûjours en les précedant.

C’est l’assemblage des voyelles & des consonnes mêlées suivant un certain ordre, qui constitue la parole ou la voix articulée. Voyez Consonne, &c.

La parole est susceptible d’une nouvelle modification qui en fait la voix de chant. Celle-ci dépend de quelque chose de différent du plus ou du moins de vîtesse, & du plus ou du moins de force de l’air qui sort de la glotte & passe par la bouche. On ne doit pas non plus confondre la voix de chant avec le plus ou le moins d’élevation des tons, puisque