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cupée par le chant & la danse, qu’on y exécutoit avec la plus grande pompe dans toutes les fêtes solennelles.

La danse sacrée telle qu’on vient de l’expliquer, & qu’on la trouve établie chez le peuple Hébreu dans les tems les plus reculés, passa sans doute avec les notions imparfaites de la divinité chez tous les autres peuples de la terre. Ainsi elle devint parmi les Egyptiens, & successivement chez les Grecs & les Romains, la partie la plus considérable du culte de leurs faux dieux.

Celle que les prêtres d’Egypte inventerent pour exprimer les mouvemens divers des astres, fut la plus magnifique des Egyptiens. Voyez Danse astronomique. Et celle qu’on inventa en l’honneur du bœuf Apis fut la plus solennelle.

C’est à l’imitation de cette derniere, que le peuple de Dieu imagina dans le desert la danse sacrilége autour du veau d’or. S. Grégoire dit que plus cette danse a été nombreuse, pompeuse, & solennelle, plus elle a été abominable devant Dieu, parce qu’elle étoit une imitation des danses impies des idolatres.

Il est aisé de se convaincre par ce trait d’histoire de l’antiquité des superstitions égyptiennes, puisqu’elles subsistoient long-tems avant la sortie du peuple Juif de l’Egypte. Les prêtres d’Osiris avoient d’abord pris des prêtres du vrai Dieu une partie de leurs cérémonies, qu’ils avoient ensuite déguisées & corrompues. Le peuple de Dieu à son tour entraîné par le penchant de l’imitation si naturel à l’homme, se rappella après sa sortie de l’Egypte les cérémonies du peuple qu’il venoit de quitter, & il les imita.

Les Grecs dûrent aux Egyptiens presque toutes leurs premieres notions. Dans le tems qu’ils étoient encore plongés dans la plus stupide ignorance, Orphée qui avoit parcouru l’Egypte & qui s’étoit fait initier aux mysteres des prêtres d’Isis, porta, à son retour, dans sa patrie leurs connoissances & leurs erreurs. Aussi le système des Grecs sur la religion n’étoit-il qu’une copie de toutes les chimeres des prêtres d’Egypte.

La danse fut donc établie dans la Grece pour honorer les dieux, dont Orphée instituoit le culte ; & comme elle faisoit une des parties principales des cérémonies & des sacrifices, à mesure qu’on élevoit des autels à quelque divinité, on inventoit aussi pour l’honorer des danses nouvelles, & toutes ces danses différentes étoient nommées sacrées.

Il en fut ainsi chez les Romains, qui adopterent les dieux des Grecs. Numa, roi pacifique, crut pouvoir adoucir la rudesse de ses sujets, en jettant dans Rome les fondemens d’une religion ; & c’est à lui que les Romains doivent leurs superstitions, & peut-être leur gloire. Il forma d’abord un collége de prêtres de Mars ; il régla leurs fonctions, leur assigna des revenus, fixa leurs cérémonies, & il imagina la danse qu’ils exécutoient dans leurs marches pendant les sacrifices, & dans les fêtes solennelles. Voyez Danse des Saliens.

Toutes les autres danses sacrées qui furent en usage à Rome & dans l’Italie, dériverent de cette premiere. Chacun des dieux que Rome adopta dans les suites eut des temples, des autels, & des danses. Telles étoient celles de la bonne déesse, les saturnales, celles du premier jour de Mai, &c. Voyez-les à leurs articles.

Les Gaulois, les Espagnols, les Allemands, les Anglois, eurent leurs danses sacrées. Dans toutes les religions anciennes, les prêtres furent danseurs par état ; parce que la danse a été regardée par tous les peuples de la terre comme une des parties essentielles du culte qu’on devoit rendre à la divinité. Il n’est donc pas étonnant que les Chrétiens, en purifiant par

une intention droite une institution aussi ancienne, l’eussent adoptée dans les premiers tems de l’établissement de la foi.

L’Eglise en réunissant les fideles, en leur inspirant un dégoût légitime des vains plaisirs du monde, en les attachant à l’amour seul des biens éternels, cherchoit à les remplir d’une joie pure dans la célébration des fêtes qu’elle avoit établies, pour leur rappeller les bienfaits d’un Dieu sauveur.

Les persécutions troublerent plusieurs fois la sainte paix des Chrétiens. Il se forma alors des congrégations d’hommes & de femmes, qui à l’exemple des Thérapeutes se retirerent dans les deserts : là ils se rassembloient dans les hameaux les dimanches & les fêtes, & ils y dansoient pieusement en chantant les prieres de l’Eglise. Voyez l’histoire des ordres monastiques du P. Heliot.

On bâtit des temples lorsque le calme eut succédé aux orages, & on disposa ces édifices relativement aux différentes cérémonies, qui étoient la partie extérieure du culte reçu. Ainsi dans toutes les églises on pratiqua un terrein élevé, auquel on donna le nom de chœur : c’étoit une espece de théatre séparé de l’autel, tel qu’on le voit encore à Rome aujourd’hui dans les églises de S. Clément & de S. Pancrace.

C’est-là qu’à l’exemple des prêtres & des lévites de l’ancienne loi, le sacerdoce de la loi nouvelle formoit des danses sacrées en l’honneur d’un Dieu mort sur une croix pour le salut de tous les hommes, d’un Dieu ressuscité le troisieme jour pour consommer le mystere de la rédemption, &c. Chaque mystere, chaque fête avoit ses hymnes & ses danses ; les prêtres, les laïcs, tous les fideles dansoient pour honorer Dieu ; si l’on en croit même le témoignage de Scaliger, les évêques ne furent nommés præsules, dans la langue latine à præsiliendo, que parce qu’ils commençoient la danse. Les Chrétiens d’ailleurs les plus zélés s’assembloient la nuit devant la porte des églises la veille des grandes fêtes ; & la pleins d’un zele saint, ils dansoient en chantant les cantiques, les pseaumes, & les hymnes du jour.

La fête des agapes ou festins de charité, instituée dans la primitive église en mémoire de la cene de Jesus-Christ, avoit ses danses comme les autres. Cette fête avoit été établie, afin de cimenter entre les Chrétiens qui avoient abandonné le Judaïsme & le Paganisme une espece d’alliance. L’Eglise s’efforçoit ainsi d’affoiblir d’une maniere insensible l’éloignement qu’ils avoient les uns pour les autres, en les réunissant par des festins solennels dans un même esprit de paix & de charité. Malgré les abus qui s’étoient déjà glissés dans cette fête du tems de S. Paul, elle subsistoit encore lors du concile de Gangres en l’année 320, où on tâcha de les réformer. Elle fut ensuite totalement abolie au concile de Carthage, sous le pontificat de Grégoire le grand en 397.

Ainsi la danse de l’Eglise, susceptible comme toutes les meilleures institutions, des abus qui naissent toûjours de la foiblesse & de la bisarrerie des hommes, dégénera après les premiers tems de zele en des pratiques dangereuses qui allarmerent la piété des papes & des évêques : de-là les constitutions & les decrets qui ont frappé d’anathême les danses baladoires, celles des brandons. Voyez ces deux mots à leurs articles. Mais les PP. de l’Eglise, en déclamant avec la plus grande force contre ces exercices scandaleux, parlent toûjours avec une espece de vénération de la danse sacrée. S. Grégoire de Nazianze prétend même que celle de David devant l’arche sainte, est un mystere qui nous enseigne avec quelle joie & quelle promptitude nous devons courir vers les biens spirituels ; & lorsque ce pere reproche à Julien l’abus qu’il faisoit de la danse, il lui dit avec la véhémence