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sont dûs, lorsque celui-ci ne veut pas les recevoir, ou qu’il n’est pas en état d’en donner une décharge valable, ou qu’il n’offre pas de remplir les conditions nécessaires.

Le terme consigner, d’où l’on a fait consignation, vient du latin consignare, qui signifie cacheter, sceller ensemble ; parce qu’anciennement on scelloit & cachetoit dans des sacs l’argent que l’on déposoit par forme de consignation.

Les Athéniens étoient tellement soigneux de ces sortes de dépôts judiciaires, qu’ils les mettoient en leur thrésor ou palais public, appellé prytanée ; d’où les choses ainsi consignées, étoient aussi appellées prytanées, ainsi que Budée l’observe dans ses commentaires.

Chez les Romains on faisoit du dépôt judiciaire un acte de religion ; c’est pourquoi Varron l’appelle sacramentum, & on le mettoit dans leurs temples, de même que le thrésor public.

Ainsi chez ces deux nations, ce n’étoient pas les personnes, mais les lieux que l’on choisissoit pour assûrer le dépôt judiciaire. On ne livroit pas non plus les deniers déposés par compte numéraire ; on les scelloit & cachetoit, comme on a dit, dans des sacs, ce qu’ils appelloient obsignatio ou consignatio ; desorte qu’alors la consignation étoit une formalité & une précaution qui précédoit le dépôt judiciaire ; & néanmoins comme le dépôt suivoit immédiatement la consignation, on s’accoûtuma insensiblement à prendre la consignation, proprement dite, pour le dépôt même ; & le dépôt judiciaire fut appellé consignation. Celui qui retiroit les deniers consignés ne les demandoit pas par compte de somme ; il ne s’agissoit que de lui représenter le même nombre de sacs, & de reconnoître les sceaux & cachets entiers.

En France, on a retenu le terme de consignation pour exprimer le dépôt judiciaire, quoiqu’il n’y soit pas d’usage de cacheter les sacs, mais de donner les deniers en compte au dépositaire : il doit néanmoins rendre les mêmes deniers in specie ; & il ne lui est pas permis de les détourner, ni de s’en servir, ni d’y substituer d’autres especes, quand elles seroient de même valeur. Le dépôt doit être inviolable ; & le dépositaire doit rendre en nature le même corps qui lui a été confié : c’est pourquoi la perte ou diminution qui survient sur les effets consignés, n’est point à sa charge ; il ne profite pas non plus de l’augmentation qui peut arriver sur les especes ; la perte & le gain ne regardent que celui qui est propriétaire des deniers consignés.

Anciennement il étoit libre aux parties intéressées à la consignation de choisir le lieu & la personne auxquels on remettoit les deniers. Avant l’érection des receveurs des consignations, & dans les lieux où il n’y en a point encore, le greffe a toûjours été naturellement le lieu où les consignations doivent être faites, & le greffier est le dépositaire né de ces sortes de dépôts ; car le greffe est la maison d’office & la maison publique où l’on doit garder non-seulement les actes publics, mais aussi toutes les autres choses qui sont mises sous la main de la justice, autant que faire se peut. C’est pourquoi en Droit consigner s’appelle apud acta deponere. Cependant autrefois il étoit libre aux parties de convenir d’un notaire, d’un marchand, ou d’un autre notable bourgeois, entre les mains duquel on laissoit les deniers. On avoit égard pour ce choix à ce qui étoit proposé par le plus grand nombre ; mais si les parties ne s’accordoient pas, la consignation se faisoit au greffe : c’est ce que les anciennes ordonnances appellent consigner en cour, ou en main de cour, ou en justice.

Loyseau dit que de son tems il étoit encore d’usage dans quelques justices subalternes, que la consignation se faisoit entre les mains du juge : ce qui étoit

aussi indécent par rapport à son caractere, que dangereux pour les parties, les juges étant toûjours de difficile discussion, & ceux de village sur-tout contre lesquels il y a ordinairement peu de ressource. Mais cet abus paroît avoir été réprimé depuis par divers arrêts de réglemens qui ont défendu à tous juges d’ordonner aucuns dépôts, non-seulement entre leurs mains, mais même en celles de leurs clercs, parens & domestiques, ni de s’intéresser directement ni indirectement dans la recette.

Il n’y a guere plus de sûreté avec la plûpart des greffiers de village, qui sont communément de simples praticiens peu solvables. Il est vrai que Loyseau, liv. II. chap. vj. prétend que le seigneur est responsable subsidiairement de la consignation ; mais au chapitre suivant, où il s’explique plus particulierement à ce sujet, il convient que le propriétaire du greffe n’est pas responsable du fait du greffier, quand celui-ci a été reçu solemnellement en justice, mais seulement que l’office de greffier répond des dommages & intérêts des particuliers.

L’édit de 1580, qui rendit les greffes héréditaires, dit que c’est afin que les consignations, & autres choses que les greffiers ont en garde, soient mieux assûrées ; de sorte que les consignations étoient alors confiées ordinairement aux greffiers, à la différence des commissaires & des huissiers qui ne sont chargés qu’extraordinairement de certains dépôts.

On n’a cependant jamais considéré les greffiers comme des officiers, dont le principal ministere fût de garder des effets consignés. C’est pourquoi l’ordonnance de l’an 1548, article 34. & celle de l’an 1535, article 6. portent que les greffiers ne seront tenus des consignations, que comme simples dépositaires, c’est-à-dire non pas comme des officiers comptables. C’est pourquoi Loyseau dit qu’il n’y a pas hypotheque sur leurs biens du jour de leur reception pour la restitution des effets consignés, mais seulement du jour de chaque consignation : ils en sont néanmoins chargés par corps, & sans être admis au bénéfice de cession, de même que tous dépositaires de biens de justice.

Henri III. est le premier qui ait établi des receveurs des consignations en titre d’office. Le préambule de l’édit de création, qui est du mois de Juin 1578, nous apprend de quelle maniere on en usoit alors pour les consignations. Il est dit que le roi avoit reçu plusieurs plaintes des abus qui se commettoient au maniment des deniers consignés par ordonnance de justice ès mains des greffiers, notaires, tabellions, commissaires-examinateurs, huissiers, sergens, & autres : que quoique par l’établissement de leurs offices on ne leur eût pas donné le pouvoir de garder des deniers de cette espece, cependant jusqu’alors les consignations étoient faites à l’option des juges, qui y commettoient telles personnes que bon leur sembloit, lesquels pour être payés de la garde des deniers commettoient beaucoup d’exactions ; que l’on consignoit aussi quelquefois entre les mains de marchands qui la plûpart étoient parens & alliés des juges ; que si les parties ne leur accordoient pas ce qu’ils vouloient exiger d’eux, ils se faisoient faire des taxes excessives, trafiquant des deniers avec les officiers publics ; qu’ils prolongeoient le plus qu’ils pouvoient les procès pour se servir des deniers ; que les procès finis, on étoit contraint le plus souvent de faire procéder contre les dépositaires par saisies & emprisonnemens de leurs personnes & biens ; que pendant ces poursuites il arrivoit que les marchands faisoient cession & s’enfuyoient avec les deniers, ou que les ayant prêtés on avoit de la peine à en retirer une partie ; que les huissiers & sergens, pour garder les deniers ; recevoient toutes sortes d’oppositions, & même en suscitoient de simulées ; qu’ils