Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la contradiction) ; en supposant, dis-je, que cette coction est, comme il l’avance (§. 927.), l’état dans lequel la matiere crue est changée de façon qu’elle soit peu éloignée de l’état de santé, on ne voit guere comment cette coction peut être suivie de la crise ; en effet Boerhaave prétend (§. 932.) que la cause du mouvement critique est la vie restante, vita superstes, irritée par la matiere morbifique doüée de différentes qualités : mais comment la matiere cuite, si elle est peu éloignée de l’état de santé, peut-elle irriter la vie & causer une révolution subite ? comment est-elle doüée de différentes qualités, prædita variis conditionibus, si elle est peu éloignée de l’état de santé ?

D’ailleurs Boerhaave assûre (§. 941.) que l’évacuation critique qui arrive à un jour critique, est bonne ; que la doctrine d’Hippocrate (§. 942. Haller, comm.) sur les jours indices, le quatre indice du sept, le cinq du neuf, ne trompe pas lorsqu’on livre la nature à elle-même : hæc non fallunt quamdiu naturæ morbum committis, neque te immisces curationi ; il ajoûte (§. 941. Hall.) que la crise qui se fait en Norvege est différente de celle qui se fait en Grece, & que celle qui se fait dans une femme differe de celle qui se fait dans un homme. Il dit (§. 1178.), après avoir fait un détail des remedes, correctifs, des acrimonies, acide, alkaline, muriatique, huileuse, aromatique, bilieuse, exuste, putride, rance, acrimonia, aromatica, exusta, &c. que celui qui entend bien, recte intellexit, tout ce qu’il vient de dire, & qui a lû avec soin les ouvrages d’Hippocrate & les beaux commentaires de Galien, Galeni in illa eruditas curas, connoitra certainement, profecto, les remedes propres à faire digérer, gouverner la coction & la crise des maladies, ad excitandam, promovendam, gubernandam, absolvendam coctionem & crisim.

Il suit de ces passages & de ceux que nous avons rapporté ci-dessus, ainsi que de plusieurs autres que je passe sous silence, que Boerhaave ne rejettoit pas la doctrine des crises, mais qu’il n’étoit pas bien décidé sur ces matieres, ou du moins qu’il est difficile de pénétrer le plan qu’il s’étoit formé a cet égard. En effet s’il est vrai que l’évacuation critique, qui arrive à un jour critique, est bonne, il y a donc des jours critiques : mais quels sont-ils ? C’est ce que Boerhaave ne décide point assez précisément. S’il est vrai que la doctrine des jours indices ne trompe point, tandis qu’on livre la maladie à la nature, en quoi cette vérité est-elle utile à savoir ? & jusqu’à quel point faut-il livrer la nature à elle-même, & ne pas se mêler de la cure, se immiscere curationi ? Voilà un point d’autant plus embarrassant, que Boerhaave lui-même suppose que quelquefois (§. 940.) le medecin, non auscultat naturæ neque crisim expectat, ne se prete pas aux mouvemens de la nature, & n’attend pas la crise. Il est donc des cas où il est permis de s’opposer à la nature, & de ne pas attendre les crises, expectare crisim : mais quels sont-ils ? C’est ce que Boerhaave ne dit point, & ce qu’il falloit dire. Outre cela, si un medecin qui entend bien, recte intellexit, les préceptes que Boerhaave donne sur les acrimonies ; si un medecin, dis-je, qui sait manier comme il faut les médicamens opposés aux acrimonies dont Boerhaave fait autant de spécifiques, connoît certainement, profecto, la façon de faire, de diriger, & de gouverner la crise & la coction, à quoi bon les attendre de la nature ? comment cette action permutante des spécifiques s’accorde-t-elle avec les jours critiques ? pourquoi s’en tenir, comme Boerhaave le fait (§. 1210. Haller.), à la loi d’Hippocrate, qui vetat purgare in statu cruditatis, qui défend de purger pendant que les humeurs sont crues, & qui ordonne d’attendre la coction ? pourquoi ne pas la faire cette coction avec les spécifiques ? & s’ils réussissent, ou si on croit qu’ils peuvent réussir,

quelle nécessité y a-t-il de s’en tenir à des lois anciennes ? pourquoi ne pas se décider contre-elles comme les Chimistes ? Enfin Boerhaave a bien dit, que la crise est différente en Grece & en Norvege ; mais on ne sait point si cette différence regarde la nature de la crise, ou l’organe par lequel elle se fait, ou bien les jours auxquels elle arrive : & cela n’est pas mieux décidé au §. 941, dans lequel Boerhaave prétend que la crise est différente dans les différens climats, crisis varia est ratione regionis ; de maniere qu’il paroît avoir à peine touché à l’opinion de ceux dont nous parlons ci-dessus, & qui prétendent que les crises ne se font point aux mêmes jours en Grece & dans ce pays-ci.

En un mot il me semble qu’il est assez difficile, quelque parti qu’on prenne, de s’appuyer du sentiment de Boerhaave. Il a écrit des généralités ; ses propositions ne paroissent pas assez circonscrites. Il n’a pas bien exactement fixé sa façon de penser ; tantôt il semble vouloir concilier les modernes & les anciens, le plus souvent il donne la préférence à ces derniers : mais, encore une fois, tout ce qu’il avance n’est ni assez clair, ni assez déterminé, surtout pour les commençans. Il est fâcheux que le savant M. Haller n’ait pas jugé qu’il fût convenable de toucher à toutes ces questions essentielles, & les seules peut-être qui soient vraiment intéressantes. Lorsque Boerhaave parle des crises, qu’il donne des lois à ce sujet, qu’il propose des choses, qu’il appelle (941. &c.) recepta, reçûes, axiomata, des axiomes ; M. Haller garde le silence sur ces lois, sur les sources où son maître les a puisées, sur leur vérité & leur authenticité ; il ne cite pas même les ouvrages d’Hippocrate & de Galien, dans lesquels Boerhaave a pris presque tout ce qu’il avance de positif. Chacun peut, il est vrai, s’orienter sur ces matieres par lui-même ; mais lorsqu’il s’agit de la maniere dont Boerhaave assûre que ce qu’il dit est reçu, & qu’il en fait des axiomes, chose fort importante pour l’histoire de la Médecine que M. Haller a tant à cœur, n’est-il pas surprenant qu’il ne nous apprenne point dans quel endroit ces axiomes étoient reçûs lorsque Boerbaave composoit son ouvrage (en 1709 & 1710), & de quel œil les partisans de Silvius Deleboé, qui étoient les dominans à Leyde, regardoient ces axiomes ? S’il s’agit d’un petit muscle, d’une figure anatomique, d’une discussion curieuse, M. Haller ne s’épargne point, il cite des auteurs avec une abondance qui fait honneur à son érudition, il fait mille pénibles recherches, il instruit son lecteur en le conduisant dans tous les coins de sa bibliotheque ; & lorsqu’il s’agit des matieres de Pathologie, il n’a rien à dire, rien à citer. Un medecin, par exemple Vanswieten, que les praticiens peuvent à bon droit appeller l’enfant légitime ou le fils aîné de Boerhaave, auroit fait précisément le contraire.

Si on consulte Boerhaave dans ses aphorismes, il veut que dans l’angine inflammatoire (ap. 809.) on ait recours « à de promptes saignées, & si abondantes, que la débilité, la pâleur, & l’affaissement des vaisseaux s’ensuivent », cita, magna, repetita missio sanguinis, quousque ut debilitas, palor, vasorum collapsus ; & tout de suite « à de forts purgatifs », valida alvi subductio, per purgantia ore hausta ; « sans oublier les suffumigations humides », vapore humido, molli, tepido, assiduè hausto. Boerhaave prétend que dans la péripneumonie inflammatoire & récente (ap. 854.), « il faut recourir à de promptes saignées », citam largam missionem sanguinis, ut diluentibus spatium concedatur, « pour faire place aux délayans ». Il donne les mêmes préceptes pour l’inflammation des intestins, pour la pleurésie, &c. mais s’il faut suivre ces regles, il n’est plus question de choisir