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leurs propres observations, qu’ils retournoient toûjours jusqu’à ce qu’elles fussent conformes à leur opinion maîtresse ou fondamentale ; trop semblables dans cette sorte de fanatisme à la plûpart des modernes, dont les uns ont tout rappellé à la matiere subtile, les autres à l’attraction, à l’action des esprits animaux, à l’inflammation, aux acrimonies, & à tant d’autres dogmes, qui n’ont peut-être d’autre avantage sur la doctrine des nombres, que celui d’être nés plûtard, & d’être par-là plus conformes à notre maniere de penser.

Cette doctrine des nombres vieillissoit du tems de Galien, nous l’avons déjà dit ; elle s’usoit d’elle-même peu-à-peu ; l’opinion des jours critiques s’affoiblissoit à proportion : la théorie hardie & sublime d’Asclépiade, fort opposée au génie calculateur ou numérique des anciens, si on peut ainsi parler, auroit infailliblement pris le dessus, si Galien lui-même n’avoit ménagé une ressource aux sectateurs des crises. C’est à l’influence de la lune, dont les anciens avoient aussi parlé avant lui, qu’il eut recours pour les expliquer : il porta les choses jusqu’à imaginer un mois medical ou medicinal, au moyen duquel les révolutions de la lune s’accordant avec celles des crises, celles-ci lui paroissoient dépendre des phases de la lune.

Les Arabes ne changerent presque rien à la doctrine des crises & des jours critiques ; ils la supposoient irrévocable & connue, & ils eurent occasion de l’appliquer à la petite-vérole, à laquelle elle ne va pas mal : ils étoient trop décidés en faveur de Galien, d’Ætius & d’Oribase, pour former quelque doute sur leur système. Hali-Abbas regardoit le 20 & le 21 comme des jours critiques ; il semble qu’il voulût concilier Galien & Archigene.

L’Astrologie étant devenue fort à la mode dans le tems du renouvellement des Sciences, elle se glissa bien-tôt dans la théorie medicinale : il y eut quelques medecins qui oserent traiter le mois medical de Galien de monstrueux & d’imaginaire. Mais le commun des praticiens ne renonça pas pour cela à l’influence de la lune sur les crises & les jours critiques ; on ne manquoit jamais de consulter les astres avant d’aller voir un malade. J’ai connu un medecin mathématicien qui ayant été mandé pour un malade qui avoit la salivation à la suite des frictions mercurielles, ne voulut partir qu’après avoir calculé si la chose étoit possible, vû la dose de minéral employée. Ce mathématicien eût été sûrement astrologue il y a deux siecles.

La lune, disoient les Astrologues, a autant d’influence sur les maladies, que sur la plûpart des changemens qui arrivent dans notre globe ; c’est d’elle que dépendent les variations des maladies, & la vertu ou l’action des jours critiques. Un calcul bien simple le prouve : si quelqu’un tombe malade le jour de la nouvelle lune, il se trouvera qu’au 7 la lune sera au premier quartier, qu’on aura pleine lune au 14, & qu’au troisieme septenaire elle sera dans son dernier quartier. D’où il paroît qu’il y a un rapport évident entre les jours critiques, le 7, le 14, & le 21, & les phases de la lune, sans compter ses rapports avec les jours indices. Aussi toutes les maladies qui se trouveront suivre exactement les changemens de la lune, & commencer avec la nouvelle lune, auront elles des crises completes & parfaites.

Mais comme il y a beaucoup de maladies qui ne commencent pas à la nouvelle lune, les révolutions de chaque quartier ne sauroient avoir lieu dans ces cas ; cependant il y aura toûjours dans les mouvemens de la lune des révolutions notables, qui répondront au 7, au 14 & au 21, & au 4, au 11 & au 17, ainsi que peut le découvrir tout lecteur assez patient & assez curieux de calculs.

Parmi les medecins qui ont déduit la marche des crises de cette cause, il y en avoit qui ne trouvant pas bien leur compte avec la lune seule, avoient recours à tous les astres, aux signes du zodiaque & aux planetes, qui présidoient chacune à des maladies particulieres.

Le dirai-je ? Cette action de la lune à laquelle Vanhelmont même n’a osé se dispenser de soûmettre son grand archée, & en général les influences des astres sur les corps sublunaires, pourroient peut-être être expliquées assez physiquement, ainsi que M. Richard Mead a commencé de le faire parmi les modernes, ou au moins être reçûes comme phénomenes existans dans la nature, quoique non compris. Ce n’est pas qu’il faille ajoûter foi aux ridicules & puériles calculs des anciens : mais on ne peut, lorsqu’on examine les choses de bien près, s’empêcher de se rendre à certains faits généraux, qui méritent au moins qu’on les examine & qu’on doute. On trouve tous les jours tant de gens de bon sens qui assûrent avoir des preuves de l’action de la lune sur les plantes, & sur des maladies mêmes, telles que la goute & les rhûmatismes, qu’on ne sauroit se déterminer, ce me semble, sans témérité à regarder ces sortes d’assertions comme destituées de tout fondement, quelques folles applications que le peuple en fasse. Car de quelle vérité n’abuse-t-on point en Physique ? Il en est comme des effets ou de l’influence de l’imagination des femmes grosses sur leurs enfans ; le peuple les admet ; les Philosophes, ceux sur-tout qui ont une antipathie marquée pour toutes les idées populaires, qui ne sont que les restes des opinions de l’antiquité, ces philosophes rejettent l’influence de l’imagination des femmes grosses sur leurs enfans ; mais il paroît malheureusement que c’est parce qu’ils n’en savent point la cause. N’est-ce pas pour la même raison à-peu-près qu’on rejette l’action ou l’influence de la lune & des autres astres sur nos corps ? Après tout, pourquoi prendre sans hésiter un ton si décisif contre des choses que les anciens les plus respectables ont admis, jusqu’à ce qu’on ait démontré par des faits constatés, qu’ils se sont trompés autant dans leurs observations, que dans les applications qu’ils en ont faites ? On a laissé présider la lune au flux & reflux de la mer ; comment peut-on assûrer après cela que la lune occasionnant des révolutions si singulieres sur la mer, & plus que probablement sur l’air, ne produise pas quelque effet sur nos humeurs ? Pourquoi notre frêle machine sera-t-elle à l’abri de l’action de cette planete ? n’est-elle ni compressible ni attirable en tout ou en partie ? la sensibilité animale n’est-elle pas même une propriété qui expose plus qu’aucune autre, cette machine dont nous parlons, à un agent qui cause tant de révolutions dans l’atmosphere ?

Quoi qu’il en soit, Fracastor qui vivoit au xv. siecle, fut un des plus redoutables ennemis du système dominant au sujet de l’action de la lune sur les jours critiques & les crises ; il étoit d’autant plus intéressé à la destruction de ce système, qu’il en substituoit un autre fort ingénieux ; le desir de faire recevoir ses propres idées, a fait faire à plus d’un philosophe des efforts efficaces contre les opinions reçûes avant lui. On aura peut-être besoin de l’hypothese de Fracastor, lorsqu’on viendra à discuter la question des crises & des jours critiques, comme elle mérite de l’être ; c’est ce qui nous engage à en donner ici un court extrait.

Fracastor part des principes reçûs chez tous les Galénistes au sujet des humeurs, la pituite, la bile, & la mélancholie, qui ont, disoient-ils, différens mouvemens, qui occasionnent chacune leurs maladies particulieres, leurs fievres, leurs tumeurs, &c. c’étoit débuter d’une maniere bien séduisante pour