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même peine, & la même peine ne doit pas avoir lieu pour des crimes inégaux.

9°. Les actes purement intérieurs ne sauroient être assujettis aux peines humaines ; ces actes connus de Dieu seul, ont Dieu pour juge & pour vengeur.

10°. Les actes extérieurs quoique criminels, mais qui dépendent uniquement de la fragilité de notre nature, exigent de la modération dans les peines.

11°. Il n’est pas toûjours nécessaire de punir les crimes d’ailleurs punissables ; & quelquefois il seroit dangereux de divulguer des crimes cachés par des punitions publiques.

12°. Il seroit de la derniere absurdité, comme le remarque l’auteur de l’Esprit des Lois, de violer les regles de la pudeur dans la punition des crimes, qui doit toûjours avoir pour objet le rétablissement de l’ordre.

13°. Un principe qu’on ne peut trop répéter, est que dans le jugement des crimes, il vaut mieux risquer de laisser échapper un criminel, que de punir un innocent. C’est la décision des meilleurs philosophes de l’antiquité ; celle de l’empereur Trajan, & de toutes les lois chrétiennes. En effet, comme le dit la Bruyere, un coupable puni est un exemple pour la canaille ; un innocent condamné est l’affaire de tous les honnêtes gens.

14°. On ne doit jamais commettre de crime pour obéir à un supérieur : à quoi je n’ajoûte qu’un mot pour détourner du crime les personnes qu’un malheureux penchant pourroit y porter ; c’est de considérer mûrement l’injustice qu’il renferme, & les suites qu’il peut avoir. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Crime, (Jurispr.) prohibition des lois tant naturelles que civiles, & qui tend à troubler l’ordre public, de maniere que la vindicte publique y est intéressée ; ou qui fait à quelque particulier un grief tel que le fait mérite punition.

Il y a des actions qui sont réputées criminelles, selon la religion & selon la morale, mais que les lois civiles ne punissent pas ; parce que ces actions sont du ressort du for intérieur, & que les lois civiles ne reglent que ce qui touche le for extérieur.

Le terme de crime comprend toutes sortes de délits & de maléfices : ces deux derniers termes pris dans une signification étendue, comprennent aussi toutes sortes de crimes ; cependant chacun de ces termes a ordinairement sa signification propre.

On entend par crime, les délits les plus graves qui intéressent la vindicte publique.

Sous le nom de délits proprement dits, on n’entend que les moindres délits dont la réparation n’intéresse que quelque particulier.

Enfin on appelle proprement maléfices, l’action par laquelle on procure du mal, soit aux hommes ou aux animaux, & aux fruits de la terre, en employant le sortilége, le poison, ou autres choses semblables.

Tout ce qui est défendu par la loi n’est pas réputé crime ; il faut que le fait soit tel qu’il mérite punition.

Pour qu’il y ait un crime, il faut que le fait soit commis par dol & avec connoissance de cause : ainsi ceux qui sont incapables de dol, tels que les insensés & les impuberes, ne peuvent être poursuivis pour crime, parce qu’on ne présume point qu’ils ayent animum delinquendi.

Les crimes & délits se peuvent commettre en quatre manieres différentes ; savoir, re, verbis, litteris, & solo consensu. Re, lorsque le crime est commis par effet & par quelque action extérieure ; comme les homicides, assassinats, empoisonnemens, sacriléges, vols, larcins, battures, excès, & violences, & autres choses semblables. Verbis : on commet des crimes-

par paroles, en proférant des convices & injures verbales, en chantant des chansons injurieuses. Litteris : les crimes se commettent par écrit, en fabriquant quelque acte faux, ou en composant & distribuant des libelles diffamatoires. Consensu : on commet un crime par le seul consentement, en participant au crime d’un autre, soit par suggestion, mauvais conseils, ou complicité.

Celui qui tue quelqu’un par mégarde & contre son intention, ne laisse pas d’être punissable suivant les lois civiles ; parce que tout homme qui tue mérite la mort, mais il obtient facilement des lettres de grace.

La volonté qu’un homme peut avoir eu de commettre un crime dont l’exécution n’a point été commencée, n’est point punie en justice, cogitationis pœna nemo patitur. La punition de ces crimes cachés est réservée à la justice de Dieu, qui connoît seul le fond des cœurs.

Mais celui qui ayant dessein de commettre un crime s’est mis en état de l’exécuter, quoiqu’il en ait été empêché, mérite presque la même peine que si le crime avoit été consommé ; la volonté dans ce cas est réputée pour le fait : in maleficiis voluntas spectatur, non exitus.

L’ordonnance de Blois, art. 195. veut que l’on punisse de mort ceux qui se loüent pour tuer, outrager, & excéder quelqu’un, ensemble ceux qui auront fait avec eux de telles conventions, ou qui les y auront induits : dans ce cas, on punit la seule volonté, quoiqu’elle n’ait été suivie d’aucune exécution ; parce que la convention est un acte complet & un commencement d’exécution de la volonté : tout est même déjà consommé par rapport à celui qui donne charge à un autre d’exécuter le crime ; & celui qui se charge de le faire, commet aussi un crime en faisant une telle convention qui blesse l’ordre de la société. Cette convention est un acte extérieur de la volonté, dont on peut avoir la preuve à la différence d’une simple volonté qui n’a point été manifestée, & que par cette raison l’on ne punit point.

Les crimes sont divisés, suivant le droit romain, en crimes privés & publics.

Les crimes ou délits privés, sont ceux qui ne regardent que les particuliers, & dont la poursuite n’est permise par les lois romaines qu’à ceux qui y sont intéressés, & auxquels la réparation en est dûe.

Les crimes publics sont ceux qui troublent l’ordre public, & dont la réparation intéresse le public. Chez les Romains, la poursuite en étoit permise à toutes sortes de personnes, quoique non-intéressées. Mais parmi nous, la poursuite n’en est permise qu’aux parties intéressées, ou au ministere public : mais toutes sortes de personnes sont reçûes à les dénoncer.

On distinguoit aussi chez les Romains les crimes publics ou privés, en crimes ordinaires ou extraordinaires. Les premiers étoient ceux dont la peine étoit fixée par les lois, & qui se poursuivoient par la voie ordinaire ou civile. Les crimes extraordinaires étoient ceux dont la peine n’étoit point fixée par les lois, & qui se poursuivoient par la voie extraordinaire de la plainte & accusation.

En France on n’observe point cette distinction ; la réparation publique de tous crimes & délits ne peut être poursuivie que par la voie extraordinaire : néanmoins les dommages & intérêts peuvent être poursuivis par la voie civile contre le coupable.

A l’égard des peines, on dit communément qu’elles sont arbitraires en France ; ce qui ne signifie pas que les juges puissent prononcer des peines qui ne sont point décernées par la loi contre le crime dont il s’agit, ils ne peuvent au contraire prononcer con-