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foibles lumieres d’une nature aussi cachée, aussi incompréhensible, que l’ame même. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

Crane, (Blessures du) Chirurg. Il n’y a qu’un chirurgien bien instruit de la structure du crane, qui puisse être en état de traiter avec succès le grand nombre d’accidens auxquels cette partie du corps est exposée ; accidens, qui sont souvent de la derniere importance pour la santé & pour la vie.

En effet, selon la variété de la cause vulnérante, & le degré de violence du coup, le crane peut être piqué, fendu, rompu, contus, enfoncé, ou privé d’une portion de sa substance ; ce qui peut arriver dans l’une ou dans l’autre de ses tables, ou dans toutes les deux, & cela plus ou moins avant ; les plus profondes plaies dans ces parties sont les plus difficiles à guérir.

Dans tous les coups portés au crane, on doit commencer par examiner soigneusement s’il n’a point été endommagé ; & on n’y sauroit regarder de trop près, depuis qu’Hippocrate a reconnu avec cette candeur si digne de lui, qu’il se trompa dans un cas de cette nature.

L’on tâche de s’assûrer que le crane a été endommagé ou non, 1°. par la violence de la cause vulnérante, ce qu’on ne peut cependant pas toûjours savoir bien précisément.

2°. Par la grandeur de la plaie comparée avec la figure de la partie blessée. Il faut encore observer qu’on porteroit un jugement faux, en se fondant sur l’apparence de la plaie lorsqu’elle a été faite avec un instrument mousse, concave, ou qu’elle est petite, mais accompagnée de contusion considérable.

3°. Par la sonde mousse, polie, menue, & souple ; le Chirurgien habile cherchera d’abord en tatonnant avec la sonde, si l’os est tout-à-fait découvert, ce qu’il connoîtra par le son que renverra la sonde sur le crane. S’il est découvert, il conduira sa sonde sur toute la surface pour sentir s’il n’y a rien de raboteux ; si l’os paroît continu & poli, excepté dans les endroits où il est naturellement raboteux, il est vraissemblable qu’il n’est pas endommagé.

4°. En versant sur la partie quelque liqueur innocente colorée ; mais comme la sonde par la rencontre des sutures & des aspérités peut induire en erreur, cette méthode de la sonde peut y induire de même, & à peu-près par les mêmes raisons ; car la liqueur colorée s’insinue dans les interstices des sutures, & peut s’attacher aux inégalités du crane.

5°. Par l’étonnement que sent le malade dans la tête, en serrant quelque chose entre ses dents. Ce moyen donne quelques lumieres si la fracture est considérable ; mais on ne pourra jamais découvrir une fente ou fissure au crane par cette méthode. Elle a été imaginée, parce que les muscles crotaphites qui partent des deux côtés de la partie latérale du crane, sont toûjours en action lorsqu’on mâche.

6°. En voyant le crane rompu, contus, pâle, ou bleuâtre en certains endroits, cette inspection découvrira les fissures ou fractures s’il y en a : mais s’il y a contusion, sans que l’os soit séparé, il sera plus difficile de le découvrir, comme Hippocrate l’a remarqué ; ce signe tiré de l’altération de la couleur naturelle de l’os, & de sa pâleur, est très-décisif.

7°. Par le tact ; mais il ne faut pas oublier qu’on peut ici par ce moyen tomber dans l’erreur, & croire souvent que l’os est affaissé, quoiqu’il ne le soit pas, parce que dans de violentes contusions, les tégumens du crane sont élevés par les parties subjacentes, & la membrane cellulaire se gonfle par les humeurs qui s’y déchargent.

8°. Par les accidens que souffrent les tégumens, par l’abscès qui se forme le septieme jour, plutôt ou plûtard, par la douleur, par la nature du pus icho-

reux, fétide, par la malignité étrangere de la plaie,

& qui ne lui est pas ordinaire quand il n’y a que les tégumens d’affectés. En effet, les simples plaies des tégumens sont bien plutôt guéries, mais les tristes symptomes ici détaillés prouvent seulement que le crane a été offensé, & que sa plaie a été inconnue ou mal traitée.

Telle est la nature des signes ici mentionnés ; que si plusieurs concourent ensemble, ils fournissent un diagnostic certain, & ceux que nous rapporterons tout-à-l’heure, marquent infailliblement le danger arrivé au crane. Mais ce desordre caché se découvre souvent trop tard, pour qu’il soit encore tems de le guérir, au lieu que s’il eût été connu plutôt, on auroit pû y remédier.

Les effets de ce desordre sont 1°. la mortification ou la destruction d’une partie de l’os qui se sépare du reste. 2°. La corruption des parties voisines. 3°. Souvent la putréfaction ou la carie des tables externes & internes du crane. 4°. Celle du diploé. 5°. La corruption des membranes, & même du cerveau. 6°. La suite de ce dernier accident, sont tous les desordres qu’entraîne après soi celui de l’affection du cerveau, telle que les convulsions, l’assoupissement profond, la paralysie, & la mort.

Il est présentement facile de comprendre le prognostic qu’on peut déduire des blessures du crane ; & l’on doit, en le formant, redouter tous les symptomes dont nous avons parlé, non pas qu’ils arrivent toûjours, mais seulement parce qu’il est possible qu’ils arrivent.

Les indications curatives sont 1°. de découvrir l’os endommagé, & seulement lorsqu’on le soupçonne violemment d’être endommagé ; car il faut éviter ici les deux extrémités où l’on tombe d’ordinaire : 2°. nettoyer la plaie : 3°. trépaner l’os si la nécessité le requiert, & en ce cas conduire le trépan suivant les regles de l’art : 4°. procurer la régénération du périoste de l’os : 5°. consolider & guérir la plaie par les bandages & la méthode ordinaire.

On découvrira la partie, 1°. en faisant avec un bistouri fort & tranchant, aux tégumens blessés jusqu’au crane, une incision simple, droite, perpendiculaire, angulaire, cruciale, &c. On évitera autant qu’il sera possible, de toucher aux grosses arteres, nerfs, tendons, & sutures, dont il n’est pas permis au chirurgien d’ignorer la situation. Lorsqu’il se trouve sous les tégumens des fragmens d’os rompus & vacillans, il faut beaucoup de prudence, & faire différemment cette incision, selon la variété du lieu offensé & de la plaie ; 2°. en séparant du crane exactement avec un bistouri les tégumens coupés : 3°. en remplissant de charpie la plaie, de peur que les parties qu’on vient de séparer ne se joignent. Il est bon de prévenir en même tems l’inflammation.

On absorbe avec des éponges le sang, le pus, la sanie, & toutes les ordures qui empêcheroient de voir à découvert la superficie du crane ; ensuite on doit chercher avec tout le soin possible s’il n’y a rien à ôter ou à rétablir, afin d’écarter tout ce qui peut gêner ou incommoder dans la cure. Pour les fragmens d’os, les petites esquilles, & les lames écailleuses qui se séparent d’elles-mêmes, il faut les regarder comme des corps hétérogenes nuisibles, les emporter avec des instrumens convenables, s’ils sont petits, & s’ils ne tiennent plus aux parties vives, ne pas tarder à les extirper ; mais d’un autre côté ne pas les tirer avec violence s’ils tiennent encore aux membranes. C’est là ce qu’on appelle modification artificielle.

Si les fragmens, les esquilles, ou les lames écailleuses du crane sont considérables & fort adhérentes, ou qu’elles soient tellement cachées qu’on n’y puisse pas atteindre aisément, il faut les laisser ; elles se sé-