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para le duché de la couronne, & l’attacha à sa propre personne & à ses héritiers, comme s’il n’avoit pas été roi, mais un simple particulier. Les choses continuerent dans le même état sous les regnes d’Henri V. & d’Henri VI. & même jusqu’à Edouard IV. lequel après avoir recouvré la couronne suivant les droits de la maison d’Yorck, réunit encore le duché de Lancastre à la couronne : il permit néanmoins que la cour & les officiers demeurassent dans l’état où il les trouva. C’est de cette maniere que ce duché vint avec la couronne à Henri VII. lequel, suivant la politique de Henri IV. (par les droits duquel il étoit effectivement parvenu à la royauté) sépara encore ce duché de la couronne, & le laissa ainsi à sa postérité, qui en joüit encore aujourd’hui. (G)

Cour fonciere, (Hist. mod.) que les Anglois appellent cour-leet, est une cour qui se tient par le seigneur du manoir, quoiqu’elle soit réellement cour du roi dans tel manoir que ce soit qu’elle se tienne ; parce que l’autorité qu’a cette cour appartient originairement à la couronne, & en est émanée aux particuliers qui l’exercent.

Dans cette cour on a droit d’informer & de prendre connoissance de toutes sortes d’offenses, qui ne peuvent pas être qualifiées de crime d’état ou de haute trahison : elle n’a à la vérité le pouvoir d’en punir qu’un petit nombre ; il faut qu’elle renvoye les autres au juge de l’assise. Chambers. (G)

COURADOUX, s. m. (Marine.) c’est l’espace qui est entre deux ponts. (Z)

COURAGE, s. m. (Morale.) c’est cette qualité, cette vertu mâle qui naît du sentiment de ses propres forces, & qui par caractere ou par réflexion fait braver les dangers & ses suites.

Delà vient qu’on donne au courage les noms de cœur, de valeur, de vaillance, de bravoure, d’intrépidité : car il ne s’agit pas ici d’entrer dans ces distinctions délicates de notre langue, qui semble porter dans l’idée des trois premiers mots plus de rapport à l’action que dans celle des deux derniers, tandis que ceux-ci à leur tour renferment dans leur idée particuliere un certain rapport au danger que les trois premiers n’expriment pas. En général, ces cinq mots sont synonymes & désignent la même chose, seulement avec un peu plus ou un peu moins d’énergie. Voyez Bravoure.

On ne sauroit s’empêcher d’estimer & d’honorer extrèmement le courage, parce qu’il produit au péril de la vie les plus grandes & les plus belles actions des hommes ; mais il faut convenir que le courage, pour mériter véritablement l’estime, doit être excité par la raison, par le devoir, & par l’équité. Dans les batailles, la rage, la haine, la vengeance, ou l’intérêt, agitent le cœur du soldat mercenaire ; mais la gloire, l’honneur, & la clémence, animent l’officier de mérite. Virgile a bien senti cette différence. Si l’éclat & le brillant font paroître dans son poëme la valeur de Turnus plus ébloüissante que celle d’Enée, les actions prouvent qu’en effet & au fond la valeur d’Enée l’emporte infiniment sur celle de Turnus. Epaminondas n’a pas moins de résolution, de vaillance, & de courage, qu’aucun héros de la Grece & de Rome, « non pas de ce courage (comme dit Montagne) qui est éguisé par ambition ; mais de celui que l’esprit, la sapience, & la raison, peuvent planter en une ame bien réglée, il en avoit tout ce qui s’en peut imaginer. »

Cette loüange dont Epaminondas est bien digne, me conduit à la distinction philosophique du courage de cœur, si je puis parler ainsi, qu’on nomme communément bravoure, qui est le plus commun ; & de cette autre espece de courage qui est plus rare, que l’on appelle courage de l’esprit.

La premiere espece de courage est beaucoup plus

dépendante de la complexion du corps, de l’imagination échauffée, des conjonctures, & des alentours. Versez dans l’estomac d’un milicien timide des sucs vigoureux, des liqueurs fortes, alors son ame s’arme de vaillance ; & cet homme devenu presque féroce, court gaiement à la mort au bruit des tambours. On est brave à la guerre, parce que le faste, le brillant appareil des armes, le point d’honneur, l’exemple, les spectateurs, la fortune, excitent les esprits que l’on nomme courage. Jettez-moi dans les troupes, dit la Bruyere, en qualité de simple soldat, je suis Thersite ; mettez-moi à la tête d’une armée dont j’aye à répondre à toute l’Europe, je suis Achille. Dans la maladie, au contraire, où l’on n’a point de spectateurs, point de fortune, point de distinctions à espérer, point de reproches à appréhender, l’on est craintif & lâche. Où l’on n’envisage rien pour récompense du courage du cœur, quel motif soûtiendroit l’amour propre ? Il ne faut donc pas être surpris de voir les héros mourir lâchement au lit, & courageusement dans une action.

Le courage d’esprit, c’est-à-dire cette résolution calme, ferme, inébranlable dans les divers accidens de la vie, est une des qualités des plus rares. Il est très-aisé d’en sentir les raisons. En général tous les hommes ont bien plus de crainte, de pusillanimité dans l’esprit que dans le cœur ; & comme le dit Tacite, les esclaves volontaires font plus de tyrans, que les tyrans ne font d’esclaves forcés.

Il me semble, avec un auteur moderne qui a bien développé la différence des deux courages (Considér. sur les mœurs), « que le courage d’esprit consiste à voir les dangers, les périls, les maux, & les malheurs, précisément tels qu’ils sont, & par conséquent les ressources, les voir moindres qu’ils ne sont, c’est manquer de lumieres ; les voir plus grands, c’est manquer de cœur : la timidité les exagere, & par-là les fait croître : le courage aveugle les déguise, & ne les affoiblit pas toûjours ; l’un & l’autre mettent hors d’état d’en triompher. Le courage d’esprit suppose & exige souvent celui du cœur ; le courage du cœur n’a guere d’usage que dans les maux matériels, les dangers physiques, ou ceux qui y sont relatifs. Le courage d’esprit a son application dans les circonstances les plus délicates de la vie. On trouve aisément des hommes qui affrontent les périls les plus évidens ; on en trouve rarement qui sans se laisser abattre par un malheur, sachent en tirer le parti qui conviendroit ».

Cependant l’Histoire, & l’on ne doit pas le dissimuler, ne manque pas d’exemples de gens qui ont réuni admirablement en eux le courage de cœur & le courage d’esprit : il ne faut que lire Plutarque parmi les anciens, & de Thou parmi les modernes, pour sentir son ame élevée par des traits & des actions de cette espece, glorieuses à l’humanité. Mais l’exemple le plus fort & le plus frappant qu’il y ait peut-être en ce genre, exemple que tout le monde sait, qu’on cite toûjours, & que j’ose encore transcrire ici, c’est celui d’Arria femme de Cecina Pœtus, fait prisonnier par les troupes de l’empereur Claude, après la déroute de Scribonianus dont il avoit embrassé le parti.

Cette femme courageuse ayant inutilement tenté, par les instances les plus vives, les plus séduisantes, & les plus ingénieuses, d’être reçûe dans le navire qui conduisoit son mari prisonnier, loüa, sans s’abandonner au desespoir, un bateau de pêcheur, & suivit Pœtus toute seule dans ce petit esquif depuis l’Esclavonie jusqu’à Rome. Quand elle y fut arrivée, & qu’elle ne vit plus d’espérance de sauver les jours de son mari, elle s’apperçut qu’il n’avoit pas le cœur assez ferme pour se donner la mort, à laquelle la cruauté de l’empereur le contraignoit. Dans