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ner aussi-tôt que les ouvriers qui ont travaillé au premier, sont parvenus en B. Ce second apprêt se commencera en A, comme le premier ; c’est la même colle, employée seulement beaucoup plus forte, il n’y faut ajoûter que peu d’eau. On l’applique de la même maniere, avec les mêmes vergettes que le premier, mais avec beaucoup plus de ménagement ; la trop grande quantité rendroit le fil cassant : les vergettes de peluche la distribueront également & avec œconomie. On aura soin de faire sécher les fils sous la vergette, & de mouvoir les baguettes avec encore beaucoup plus de soin qu’au premier apprêt.

Ces deux apprêts rendent le coton si beau, si uni, qu’il ressemble à de longs cheveux. Il faut veiller, en les donnant, à ne pas fatiguer le coton à force de le frotter : il séchera très-vîte. L’adresse dans ce travail est de prévenir le moment où il va sécher, & dans cet instant un coup de vergette sépare les uns des autres tous les fils qui en sont touchés. Un second les humecte trop, & les colle de rechef.

Les Indiens enduisent alors leurs cotons d’huile ; mais j’estime qu’il faut laisser ce soin au tisserand, qui le prendra à mesure qu’il tramera sa toile. L’huile qui séjourne sur les apprêts, paroît les affoiblir ; c’est pour cette raison qu’il faut lui préférer le suif neuf, qui les assouplit & ne les affoiblit point.

Du métier. Le métier differe peu de celui où l’on fait la toile, excepté que les parties qui le composent, sont proportionnées à la foiblesse du fil de coton qu’on y travaille. On s’en sert, comme de tous les autres métiers, à faire de la toile, excepté que l’ensuple de derriere est retenue avec deux contrepoids AA, Pl.IV. suivant la méthode des ouvriers en soie ; & qu’au contraire celle de devant est retenue aux deux chevilles, suivant l’usage des toiliers. Il a paru à l’usage, que les contrepoids faisoient une résistance plus égale, & qu’on en proportionnoit facilement l’effort au besoin. BB, BB, les ensuples sont de sapin ; elles ont quelque grosseur, parce qu’il est essentiel que tout ce qui résiste au coton, ait l’avantage de lui résister sans le rompre. La chaîne se peut monter avec deux, quatre ou six lames, C, suivant la finesse de la toile qu’on veut fabriquer.

On suppose que la mousseline qu’on veut fabriquer, ait une aulne de large, & qu’elle soit en compte de quarante ; elle aura quatre mille fils dans la chaîne, de la largeur d’une aulne, suivant l’usage des fabriques de Normandie. Si on ne met que deux fils par chaque dent du peigne, le métier n’aura que deux lames, & chacune portion deux mille fils. Lorsque le métier travaillera, deux mille fils baisseront sur une seule ligne, & deux mille monteront sur une même ligne ; mais comme un si grand nombre de fils cause de l’embarras dans une chaîne de coton très-fine, on se sert de quatre lames au lieu de deux : ainsi chacune d’elles aura mille fils sur une même ligne. Ces lames étant les unes devant les autres, diminuent l’embarras de moitié dans le jeu de la chaîne, & par conséquent aussi l’effort que le coton avoit à supporter.

Mais comme une mousseline fine faite en quarante, ne seroit pas suffisamment garnie en chaîne, si on n’y mettoit que quatre mille dans un compte en quarante, les Indiens ont imaginé de mettre trois fils en chaque dent du peigne ; par-là ils font entrer six mille fils dans un peigne de compte en quarante ; & pour les faire agir sans autres grands embarras, ils ont recours à six lames, dont trois baissent tandis que les trois autres levent. Chacune d’elles fait mouvoir mille fils ; par ce moyen on n’est point obligé d’avoir des peignes de compte en 60, qui seroient si serrés que le coton ne pourroit y agir sans se fatiguer, & même sans se briser : il est par conséquent de tout avantage de faire toûjours ces peignes plus vuides

que pour quelqu’autre ouvrage que ce puisse être, quand ils en devroient être plus foibles.

Par ce qui vient d’être dit, on a dû reconnoître que le métier devoit marcher à deux marches D, parce qu’il s’agit de fabriquer une toile unie, sans aucune croisiere.

Ce n’est pas encore assez d’avoir partagé l’embarras des fils de la chaîne en six parties, pour la faire agir plus facilement dans le travail du tisserand ; il faut encore œconomiser les espaces dans le fil des lisses des lames E, en se servant d’un fil délié, fort, parfaitement uni, & exempt de tout duvet étranger ; le succès est attaché à cette précaution, M. Jore a fait faire à cet usage un fil de soie, retors exprès, de neuf fils de soie, d’organcin de Piémont, le plus parfait qu’il a pû trouver ; & de cette soie retorse d’abord par trois fils ; & trois de ces fils mis en un, il a fait ses lisses ; & l’expérience lui a démontré que rien ne pouvoit remplacer cette soie, ni soie de Grenade, ni fil de quelqu’espece qu’on le choisît.

De ce qui vient d’être dit du nombre des lames & du nombre des fils de la chaîne, à faire entrer dans un peigne en quarante, l’ouvrier doit juger de la maniere de passer ses fils en lisse & en peigne, pour mettre son métier en état de travailler.

Ce métier monté de sa chaîne, n’a de l’ensuple B de devant à l’ensuple B de derriere, que trois piés, parce que la chaîne ne se peut travailler sur une plus grande longueur à la fois ; cette longueur même ne pourroit résister au travail, si elle n’étoit soûtenue par des baguettes que l’on passe dans les encroix qui sont derriere les lisses, suivant l’usage ordinaire de tous les tisserands.

De la trame. On a dit ci-devant que l’on choisissoit le fil de coton le moins parfait pour tramer la toile. Pour l’employer on le met sur l’ourdissoir, sans lui donner aucun apprêt : une femme ou un enfant en prend le bout, pour en former des canettes. Cette opération consiste à faire précisément ce qu’a fait la fileuse en ourdissant la chaîne.

La canette est un petit bout de roseau long d’un pouce à 14 lignes, que l’on passe sur une broche de fer, de sorte qu’il ne puisse tourner sur la broche. Cette broche est appuyée sur un pivot, de maniere qu’elle ne puisse s’échapper de l’endroit où elle est posée. On donne de la main à la broche un mouvement de rotation sur elle-même ; en conséquence le fil de coton attaché au roseau, se roule sur le tuyau de roseau appellé canette. A mesure que le fil se dévide, l’ouvriere avance le long de l’ourdissoir jusqu’au bout, & revient sur ses pas jusqu’à ce que la canette soit chargée de trois longueurs de l’ourdissoir, qui valent cent ou cent deux aulnes de fil. Cette broche n’est point un instrument particulier au travail du coton, elle est en usage parmi les dévideuses en soie ; on pourroit y suppléer par un petit roüet leger & prompt.

On voit par la longueur du coton qui se trouve mesurée sur les canettes, combien il en entre par chaque aulne de toile ; précaution très-utile pour connoître la valeur de la toile, & très-sûre pour prévenir les supercheries des ouvriers.

Lorsqu’il s’agit d’employer les trames, il faut les bien imbiber d’eau, pour que le fil soit plus en état de soûtenir l’effort de la navette. On employe l’eau bouillante, sans quoi elle ne pénétreroit pas jusqu’au fond ; on ébue ces canettes pour en ôter la trop grande quantité d’eau, & on les employe mouillées.

Le tisserand met une de ces canettes dans une navette F, plus basse & moins ouverte que les navettes ordinaires, pour n’être pas obligé de forcer le pas, c’est-à-dire pour n’être pas obligé d’ouvrir considérablement la chaîne pour passer la navette. Le fil