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un tour entier, que sur une portion de la circonférence ; d’où il arrive qu’on n’est pas obligé de comprimer fortement ce fuseau contre la broche, & que le mouvement de la broche reste plus libre pour les autres opérations du filage.

L’ouverture intérieure du fuseau passe sur un fourreau de drap qui enveloppe la broche : l’usage de ce morceau de drap est de servir de coussinet entre le fuseau & la broche, pour éviter le bruit que feroit le battement de l’ivoire contre la broche de fer.

L’épinguer est bas, afin qu’il trouve peu de résistance dans l’air qui le feroit bruir, donneroit un mouvement irrégulier à la tête du roüet, & feroit casser le fil.

On a mis au bout de la broche un bouton d’ivoire percé des deux côtés, tant pour y passer commodément le fil, que parce que l’ivoire étant doux, il ne le coupe pas.

A la tête du roüet est attaché à un fil un crochet de fil-de-laiton qu’on introduit dans les trous qui sont au bouton d’ivoire, pour accrocher le fil de coton lorsqu’on le veut passer dans le bouton.

Devidoir. C’est une espece de lanterne qui a une demi-aulne de tour, tournant sur un pivot par le moyen d’une poignée ou manivelle qu’on voit à sa partie supérieure, Pl. III. Sous la lanterne est une pointe qui s’engage dans les dents d’une roue, dont elle en fait passer une à chaque tour : cette roue a vingt dents, de sorte que quand la lanterne a fait vingt tours, la roue en a fait un. Cette roue porte elle-même une pointe qui s’engage dans les dents d’une roue toute semblable, de sorte que la premiere fait vingt tours avant que celle ci en ait fait un ; & conséquemment la lanterne fait vingt fois 20 tours, ou 400 tours, avant que la derniere roue en ait fini un, au bout duquel un ressort se détend, & avertit que la piece de coton est complette, c’est-à-dire qu’elle a quatre cents tours, qui valent 200 aulnes : l’on forme ainsi deux pieces à la fois.

Les fuseaux qui portent le coton qui vient d’être débouilli, se placent tout mouillés à des broches entre les deux montans opposés à la lanterne. On attache les bouts du coton à un des montans de la lanterne, où la piece doit être refaite : on le passe aussi auparavant dans un œil de laiton qui est sur le bâton placé debout vers le milieu du devidoir ; ensorte que les deux fils que vous devidez forment un écheveau vers le haut de la lanterne, & l’autre dans le milieu.

Quand les deux pieces sont completes, on met les fils dans d’autres yeux, & l’on continue de former de nouvelles pieces ; ainsi de suite jusqu’à ce que la lanterne soit couverte. On laisse sécher le fil sur la lanterne ; après quoi on attache les pieces séparément les unes des autres. Mais pour les tirer de dessus la lanterne sans les endommager, on déplace deux montans de la lanterne qui sont mobiles, & les écheveaux sortent librement.

De l’ouvrage, ou des moyens de mettre le fil de coton en œuvre, & des instrumens qu’on y employe. Avant que d’aller plus loin, il ne sera pas inutile d’exposer sommairement ce qu’on pratique en Normandie dans la fabrication des pieces de toile de coton qui s’y font. La fileuse forme du coton qu’elle a filé, des écheveaux dont la longueur est indéterminée ; on blanchit & l’on teint ces écheveaux de toutes couleurs ; on les devide ensuite sur des fuseaux appellés rochets, pour en ourdir des chaînes, sur un moulin à ourdir semblable à celui sur lequel on ourdit les chaînes des toiles de toute autre matiere. Trente ou quarante fils, & même un plus grand nombre, se devident à la fois sur le moulin. Si la toile est de diverses couleurs en chaîne, l’ouvrier en dispose le dessein, de sorte que la chaîne ourdie contient le dessein des raiyures. On observe vers les extrémités de la chaîne de croiser, en ourdissant les fils qui la composent sur des chevilles qui sont au moulin, & cela pour conserver l’ordre dans lequel ces fils ont été placés sur le moulin. On appelle ces fils ainsi croisés, les encroix de la chaine. Après plusieurs tours du moulin, la chaîne ayant le nombre de fils convenable, sur une longueur de 80 à 100 aulnes, l’on passe des fils dans les deux bouts de cette chaîne, au lieu & place des chevilles ; ces fils passés maintiennent les encroix dans l’ordre qu’ils ont été formés sur le moulin. Cette chaîne étant hors de dessus le moulin, on lui donne l’apprêt ; c’est-à-dire qu’on la trempe en entier dans une colle legere faite de ligamens, nerfs, & cartilages de bœufs : lorsqu’elle en est bien imbibée, l’ouvrier la porte dans un champ, l’étend sur des chevalets selon toute sa longueur ; il remet l’ordre dans les fils au moyen des encroix qui sont observés au bout de la chaîne ; il empêche que ces fils ne se collent en séchant. Cette manœuvre n’est pas très-longue ; & avec quelque négligence qu’on la fasse, elle suffit.

Un second apprêt se donne sur le métier, lorsque la chaîne est montée, à mesure que l’ouvrier la trame. Cet apprêt est une colle faite de farine de froment, long-tems pourrie & aigrie par la force du levain. L’ouvrier étend cette colle sur les fils de la chaîne avec de fortes vergettes de bruyere, & il ne cesse de frotter que tous les fils ne soient secs.

Ourdissage du fil de coton fin par la fileuse même. Les pieces de mousseline ont ordinairement seize aulnes ; on en peut ourdir deux à la fois, qui font trente-deux aulnes. Comme il y a toûjours de la perte sur les longueurs des chaînes, il faut leur en donner au moins trente-quatre.

L’ourdissoir consiste en des chevilles placées par couple dans une muraille, à la distance d’un pié les unes des autres, toutes sur une même ligne ; de sorte que sur la longueur de trente-quatre aulnes, il se trouve cent vingt couples de chevilles de six pouces

de longueur, rangées comme on les voit ici.

Le fil étant attaché à la premiere cheville A, on le conduit en B, en le passant contre les autres chevilles ; puis on le ramene en A en le croisant sur le premier fil (on nomme ces croisures des encroix) ; ainsi de suite jusqu’au vingtieme encroix complet, qui font ensemble le nombre de quarante fils que l’on nomme une portée. L’on marque ces portées par le moyen de deux gros fils attachés en C & en D, que l’on passe de l’un à l’autre toutes les fois que la portée est complette ; de sorte que tout le coton de la fileuse étant à l’ourdissoir, il se trouve partagé par

petits paquets de quarante fils chacun, sur une longueur de trente-quatre aulnes, dont trois fils font cent deux aulnes, que l’on payera à la fileuse pour cent aulnes.

Le premier des avantages de cet ourdissoir est de pouvoir comparer une portée de quarante fils dont le poids est inconnu, avec une pareille portée dont le poids est connu, & juger dans l’instant par le volume de l’un & de l’autre de la finesse du fil de la fileuse, & par la longueur de l’ourdissoir de la quantité du fil. Cette méthode l’intéresse à faire son fil le