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dans certaines manœuvres qui sont arrêtées par les deux bouts, comme les haubans, il rendroit les hélices plus courtes, ce qui est toûjours desavantageux. Enfin par ce tortillement on fait souffrir aux fils un effort considérable qu’on pourroit leur épargner : tout cela prouve qu’il seroit à propos de le supprimer.

Mais on peut remarquer, 1°. que souvent le tortillement se perd par le service, & conséquemment que la dureté qu’il peut communiquer à la corde, s’évanoüit lorsque les hélices s’allongent, & l’inconvénient cesse. 2°. Que la corde détortillée, comme on vient de le dire, en devient plus longue, ce qui contribue à la rendre plus forte, puisqu’alors elle se trouve moins commise ; il est vrai que les maîtres cordiers pourroient lui procurer cet avantage sur le chantier ; mais comme leur préjugé s’y oppose, nous pourrions, en conservant cette pratique, les rapprocher de nos principes sans qu’ils s’en apperçussent. 3°. Comme il n’est presque pas possible que le toupin coule & s’avance uniformément le long des torons, on égalise à peu de chose près toutes les hélices qui se trouvent le long de la corde, par le tortillement qu’on donne en dernier lieu, puisqu’il est clair que ce seront les parties de la corde les plus molles ou les moins tortillées, qui recevront plus de ce dernier tortillement. 4°. Il arrive souvent que la force élastique occasionnée par le tortillement des torons, n’est pas entierement consommée par le commettage. En donnant à la piece le tortillement dont il s’agit, on répare cette inégalité, qui est toûjours un défaut pour le cordage. Cela arrive assez souvent dans les cordes où l’on prend les deux tiers du raccourcissement de la corde pour tordre les torons ; mais cela est encore plus visible dans les cordages de main torse ; car quand on ne leur donne pas le tortillement dont il s’agit, après qu’elles ont été commises, on les voit (quand elles sont abandonnées à elles-mêmes) se travailler & se replier comme des serpens, & cela dans le sens du commettage, comme si elles vouloient se tordre davantage, à quoi elles ne peuvent parvenir, soit par leur propre poids, soit par la situation où elles se trouvent.

On peut conclure de tout ce qui vient d’être dit, qu’il est bon de donner aux pieces, lorsqu’elles seront commises, un tortillement capable de les raccourcir d’une brasse ou deux, pourvû qu’on ait soin de le leur faire perdre avant que de les roüer.

Du mouvement de la manivelle du quarré. Nous avons dit qu’on n’employoit la manivelle du quarré que pour tenir lieu de l’émerillon, qui suffit quand on commet du bitord ou du merlin, & que cette grande manivelle devoit agir de concert avec l’élasticité des torons, pour les faire rouler les uns sur les autres, en un mot pour les commettre. Mais si la manivelle du quarré tourne trop lentement, eu égard à la force élastique que les torons ont acquise, quand la corde sera abandonnée à elle-même, elle tendra à se tordre, & elle fera des plis semblables à ceux d’une couleuvre, ce qui est un défaut ; si au contraire la manivelle du quarré tourne plus vîte qu’il ne convient, elle donnera aux cordages plus de tortillement que l’élasticité des torons ne l’exige, & il en résultera le même effet que si l’on avoit tortillé la piece après qu’elle a été commise, c’est-à-dire que le cordage aura une certaine quantité de tortillement, qui n’étant point l’effet de l’élasticité des fils, ne pourra subsister, & ne servira qu’à fatiguer les fils, & à rendre les cordages moins flexibles. Ce ne sont cependant pas là les seuls inconvéniens qui résultent de cette mauvaise pratique : nous en allons faire appercevoir d’autres.

Pour mieux reconnoître la défectuosité des prati-

ques que nous venons de blâmer, examinons ce qui

doit arriver à une manœuvre courante, à une grande écoute, par exemple, à un gros cable, &c. en un mot, à un cordage qui soit retenu fermement par un de ses bouts, & qui soit libre par l’autre ; & pour le voir sensiblement, imaginons un quarantenier qui soit attaché par un de ses bouts à un émerillon, & qui réponde par l’autre à un cabestan. Si ce cabestan vient à faire force sur le quarantenier, de quelque façon qu’il soit commis, aussi-tôt le crochet de l’émerillon tournera, mais avec cette différence, que si le quarantenier a été commis un peu mou, & s’il n’a été tortillé que proportionnellement à l’élasticité de ses torons, le crochet de l’émerillon tournera fort peu, au lieu qu’il tournera beaucoup plus, si le quarantenier a été commis fort serré, & s’il a été plus tortillé que ne l’exigeoit l’élasticité des torons ; c’est une chose évidente par elle-même, & que l’expérience prouve.

Cette petite expérience, toute simple qu’elle est, fait appercevoir sensiblement que les cables des ancres très-tords, qui l’ont été plus que ne l’exigeoit l’élasticité des torons, font un grand effort sur les ancres pour les faire tourner, sur-tout quand à l’occasion du vent & de la lame les vaisseaux forceront beaucoup sur leur ancre ; or comme le tranchant de la patte des ancres peut aisément couper le sable, la vase, la glaise, & les fonds de la meilleure tenue, il s’ensuit que pour cette seule raison les ancres pourront déraper & exposer les vaisseaux aux plus grands dangers. Tout le tortillement que la manivelle du quarré fait prendre à une piece de cordage, au-delà de ce qu’exige l’élasticité des torons, donne à ce cordage un degré de force élastique qui fait que quand on en plie une portion en deux, elles se roulent l’une sur l’autre, & se commettent d’elles-mêmes : or il est bien difficile, quand on manie beaucoup de manœuvres, d’empêcher qu’il ne se fasse de tems en tems des plis. Si la corde est peu tortillée, ces plis se défont aisément & promptement ; mais si elle a été beaucoup tortillée, & sur-tout si elle l’a plus été que ne l’exigent les torons dont elle est composée, la portion de la corde qui forme le pli, étant roulée comme nous venons de l’expliquer, il en résulte une espece de nœud qui se serre d’autant plus, qu’on force davantage sur la corde ; c’est cette espece de nœud, ou plûtôt ce tortillement bien serré, que les marins appellent une coque. Quand un cordage qui a une coque, doit passer dans une poulie, souvent les étropes, ou la poulie elle-même, sont brisés ; la manœuvre est toûjours interrompue. Un homme adroit a bien de la peine à défaire ces coques avec un épissoir ; souvent les matelots sont estropiés, & le cordage en est presque toûjours endommagé ; ce qui fait que les marins redoutent beaucoup, & avec raison, les cordages qui sont sujets à faire des coques.

De la charge du quarré. Nous nous sommes contentés d’expliquer ce que c’étoit que le quarré ou la traîne, en donnant sa description, & de rapporter en général quels sont ses usages. Nous avons dit à cette occasion qu’on le rendoit assez pesant par des poids dont on le chargeoit, pour qu’il tînt les fils dans un degré de tension convenable ; mais nous n’avons point fixé quelle charge il falloit mettre sur le quarré.

Pour entendre ce que nous avions à dire à ce sujet, il étoit nécessaire d’être plus instruit de l’art du cordier. Il convient donc de traiter cette matiere, qui est regardée comme fort importante par quelques cordiers. Le quarré doit par sa résistance tenir les torons, à mesure qu’ils se raccourcissent, dans un degré de tension qui permette au cordier de les bien commettre : voilà quel est son objet d’utilité. Si le