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pose sur le sol de la corderie, & que l’autre soit posé au-dessus, étant plus élevé de trois ou trois piés & demi ; on place entre ces bâtis de charpente les tourets debout ou verticalement, & on les assujettit dans cette situation avec la broche qui leur sert d’essieu. De cette façon tous les tourets peuvent tourner ensemble, & on peut d’une seule fois étendre plusieurs fils de toute la longueur de la corderie ; on ordonne seulement à quelques petits garçons de se tenir auprès des tourets pour empêcher, avec un bâton qu’ils appuient dessus, que les tourets qui sont trop déchargés de fil, ne tournent trop vîte & ne mêlent leur fil. Les grands tourets sont quelquefois si chargés de fils, qu’en tirant le fil pour les faire tourner, le fil se rompt.

Du chantier à commettre. A quelques pas des tourets & directement au-devant est le chantier à commettre. Il est composé de deux grosses pieces de bois d’un pié & demi d’équarissage & de dix piés de longueur D, que l’on maçonne en terre à moitié de leur longueur.

Les deux pieces dressées ainsi à plomb à six piés de distance l’une de l’autre, supportent une grosse traverse de bois E, percée à distance égale de quatre & quelquefois de cinq trous, où l’on place les manivelles F, qui doivent, pour les gros cordages, produire le même effet que les molettes des roüets pour les petits.

Des manivelles. Les manivelles sont de fer & de différente grandeur, proportionnellement à la grosseur du cordage qu’on commet, (Pl. III. divis. 2.) G en est la poignée, H le coude, I l’axe, L un bouton qui appuie contre la traverse E du chantier, M une clavette qui retient les fils qu’on a passés dans l’axe I. On tord les fils qui sont attachés à l’axe I, en tournant la poignée G, ce qui produit le même effet que les molettes, plus lentement à la vérité : mais puisqu’on a besoin de force, il faut perdre sur la vîtesse, & y perdre d’autant plus qu’on a plus besoin de force ; c’est pourquoi on est plus long-tems à commettre de gros cordages, où l’on employe de grandes manivelles, qu’à en commettre de médiocres, où il suffit d’en avoir de petites.

Du quarré. Le quarré dont il s’agit, a trois objets à remplir. 1°. Comme les manivelles du chantier tournent lentement en comparaison de la vîtesse que le rouet imprime aux molettes, pour accélerer un peu l’ouvrage on met au quarré (Pl. III. divis. 1.) N un pareil nombre de manivelles qu’on avoit mis au chantier D ; & en les faisant tourner en sens contraire de celles du chantier, on parvient à accélerer du double le tortillement des torons ; pour cela on fait porter au quarré une membrure O, pareille à la membrure E du chantier, laquelle membrure du quarré doit être percée de trous qui répondent aux trous de celle du chantier. 2°. Quand les fils ont été assez tors, on les réunit tous ensemble par le bout qui répond au quarré, on les attache à une seule manivelle qu’un homme fait tourner, comme on le voit en P, (même Pl. divis. 2.) & alors cette seule manivelle tient lieu de l’émerillon dont nous avons parlé à l’occasion du bitord, du lusin & du merlin. 3°. Enfin on sait qu’en tortillant les fils avant que de les commettre, & quand on les commet, ils se raccourcissent ; c’est pour cette raison qu’on a dit en parlant du bitord, qu’on attache un poids à la corde qui est passée dans l’anneau de l’émerillon, que ce poids tient la corde dans un certain degré de tension, & qu’il remonte le long de la fourche à mesure que les fils se raccourcissent ; il faut de même que le quarré tienne les fils des grosses cordes dans une tension qui soit proportionnelle à la grosseur de la corde, & qu’il avance vers l’attelier à mesure que les fils se raccourcissent, C’est pourquoi le quarré est

formé de deux pieces de bois quarrées ou semelles, jointes l’une à l’autre par des traverses ou paumelles-Sur les semelles sont solidement assemblés des montans qui sont affermis par des liens. Ainsi le quarré est un chantier qui ne differe du vrai chantier D, (même Pl. divis. 1.) que parce que celui-ci est immobile, & que le quarré est établi sur un traîneau pesant & qu’on charge plus ou moins, Q, suivant le besoin.

Du chariot du toupin. Quand les fils ont acquis un certain degré de force élastique par le tortillement, le toupin fait effort pour tourner dans la main du cordier, qui peut bien résister à l’effort de deux fils, mais qui seroit obligé de céder si la corde étoit plus grosse ; en ce cas on traverse le toupin avec une barre de bois R (même Planche, divis. 2.), que deux hommes tiennent pour le conduire.

Comme la force de deux hommes n’est quelquefois pas encore suffisante, pour lors on a recours au chariot S (voyez la divis. 2.) qu’on appelle chariot du toupin. Il y a deux sortes de ces chariots ; les uns sont en traîneau, & les autres ont des roulettes : ils sont formés par deux semelles sur lesquelles sont assemblés des montans ; & l’on attache de différente façon avec des cordes la barre R qui traverse le toupin, tantôt aux montans, tantôt aux traverses, suivant la disposition du chariot, desorte que le cordage repose sur le derriere du chariot qui sert de chevalet. On ne charge point le chariot ; au contraire il faut qu’il ne soit pas fort pesant, afin (pour me servir du terme des ouvriers) qu’il courre librement ; & quand on veut qu’il chemine lentement, on le retient par le moyen d’une retraite, qu’on nomme aussi une livarde ou une lardasse, c’est-à-dire, avec une corde d’étoupe T, qui est amarrée à la traverse R du toupin, & dont on enveloppe de plus ou moins de tours le cordage, suivant qu’on desire que le chariot aille plus ou moins vîte.

Du chevalet. Le chevalet V (même Plan. divis. 2.) qui est d’un grand usage dans les corderies, est néanmoins très-simple ; c’est un treteau dont le dessus est armé de distance en distance de chevilles de bois. Ces chevalets servent à soûtenîr les fils quand on ourdit les cordes, & à supporter les pieces pendant qu’on les travaille. Nous en avons déja parlé dans l’attelier des fileurs.

Des manuelles. Il y a encore dans les corderies de petits instrumens qui aident à la manivelle du quarré P (même Pl. divis. 2.), à tordre & à commettre les cordages qui sont fort longs. A Rochefort on appelle ces instrumens des gatons ; mais nous les nommerons avec les Provençaux, des manuelles, à cause de leur usage, quoiqu’ils imitent un foüet, étant composés d’un manche de bois & d’une corde, comme on les voit en X, même Plan. même divis. Pour s’en servir, l’ouvrier Y entortille diligemment la corde autour du cordage qu’on commet ; & en continuant à faire tourner le manche autour du cordage, il le tord. Quand les cordages sont fort gros, on met deux hommes Z sur chacune de ces manuelles, & alors la corde & est au milieu de deux bras de levier ; ainsi cette manuelle double est un bout de perche de trois piés de longueur, estropée au milieu d’un bout de quarentenier mou & flexible qui a une demi-brasse de long.

Des palombes. L’épaisseur du toupin, l’embarras du chariot, l’intervalle qui est nécessairement entre les manivelles, & plusieurs autres raisons, font que les cordages ne peuvent pas être commis jusqu’auprès du chantier : on perdroit donc toutes les fois qu’on commet un cordage, une longueur assez considérable de fil, si on les accrochoit immédiatement à l’extrémité des manivelles. C’est pour éviter ce déchet inutile, qu’on attache les fils au bout d’une corde en double, K, qui s’accroche de l’autre bout à