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mes : admonemus vel præcipimus, decima de omnibus dari non negligatur.

Le concile de Châlons fut plus rigoureux, ayant ordonné que ceux qui post crebras admonitiones & precationes sacerdoti dare neglexerint, excommunicentur.

Celui de Reims veut que decimæ pleniter dentur.

Enfin au concile de Latran, tenu sous Alexandre III. en 1179, elles sont devenues de précepte, & furent déclarées préférables aux tributs dûs par le peuple.

Ce même concile confirma les laïcs dans la possession des dixmes qui leur avoient été inféodées précédemment.

Il paroît donc que les dixmes ecclésiastiques, quoique réputées spirituelles & consacrées à Dieu pour la subsistance de ses ministres, ne sont point de précepte divin, mais seulement de droit positif ; qu’elles ont été établies par la piété des fideles qui ne se sont pas crûs moins obligés de pourvoir à la subsistance de leurs prêtres, que les peuples de l’ancienne loi l’étoient envers la tribu de Lévi ; que ces dixmes n’étoient d’abord que des offrandes & aumônes volontaires ; mais que le zele & le consentement unanime des fideles, en ayant rendu cet usage général, on en fit peu-à-peu une loi, que l’on obligea tous les chrétiens d’observer par la crainte de l’excommunication.

Ce qui confirme bien que les dixmes ne sont pas de droit divin, c’est :

1°. Que si elles eussent été telles, elles auroient été payées aux prêtres chrétiens dès la naissance de l’Église, aucun laïc ne s’en seroit pû dispenser sans crime ; au lieu qu’il ne paroît point que durant les huit premiers siecles de l’Église, où la piété des fideles étoit dans sa plus grande ferveur, les prêtres ni les autres ministres des autels les ayent jamais prétendues ; ils ne vivoient que des offrandes qui se faisoient volontairement sur les autels : aussi saint Hilaire qui étoit évêque de Poitiers en 369, dit-il que le joug des dixmes avoit été ôté par J. C.

2°. Si les dixmes étoient de droit divin, elles auroient été payées aux ecclésiastiques dans tout le monde chrétien, ce qui n’a point eu lieu, puisque les prêtres de l’église greque, & même ceux de toute l’église orientale, soit durant les huit premiers siecles de l’Église, ou depuis, n’ont jamais prétendu que les laïcs fussent obligés en conscience de leur payer aucune dixme, & ont toûjours pensé que les offrandes sont volontaires, suivant ce que dit saint Jean Chrysostome : ubi decima est, ibi etiam eleemosina.

3°. Si la dixme étoit de droit divin, elle seroit dûe par-tout sur le pié de la dixieme partie des fruits, comme on la payoit aux lévites ; au lieu que la quantité n’en est pas par-tout uniforme, étant en un lieu du onzieme, en d’autres du douzieme, vingtieme, trentieme des fruits. S. Thomas, secunda secundæ, quæst. lxxxvij. art. 1 & 2. tient même que les dixmes ne sont point dûes de nécessité expresse, & que par la coûtume le droit de les payer peut être prescrit ; mais dans notre usage on tient que les dixmes ordinaires sont imprescriptibles, quant au droit, de la part des laïcs ; qu’ils peuvent seulement en prescrire la quotité & la forme de la prestation, mais une église en peut prescrire le fonds contre une autre église.

4°. Les papes eux-mêmes ont donné des dixmes à des laïcs. Urbain donna aux rois d’Espagne celles de toutes les provinces dont ils avoient chassé les Maures. Salgado de Salmoza, tract. de supp. ad sum. pontif. II. part. cap. xxv. n. 41.

5°. Le saint siége a exempté du payement des dixmes des ordres entiers, tels que l’ordre de Malthe, celui de Cîteaux, les Chartreux & les Celestins, du

moins pour les terres qu’ils façonnoient & cultivoient par leurs mains.

6°. Les papes ont aussi attribué les novales en tout ou partie à certains ordres, à l’exclusion des curés.

Enfin les accords & compositions faites entre les ecclésiastiques sur le fait des dixmes contestées entre eux, ont toûjours été approuvés & autorisés par le droit canonique.

Ces différens usages observés par rapport aux dixmes, font voir qu’elles sont de droit positif.

Au reste personne ne révoque en doute que les dixmes en général sont ecclésiastiques de leur nature, & qu’elles appartiennent de droit commun aux curés, chacun dans leur territoire, sans qu’ils ayent besoin pour cet effet d’autre titre que de leur clocher, c’est-à-dire de leur qualité de curé. C’est ce que l’on infere du capitulaire de Charlemagne, de l’an 802 ; & d’une décision du pape Léon, de l’an 850.

Elles peuvent néanmoins appartenir en tout ou partie à d’autres ecclésiastiques, tels que des évêques, abbés & prieurs ; & à des chapitres séculiers ou réguliers, lorsqu’ils sont fondés en titre ou possession suffisante.

Autrefois même les évêques avoient de droit un quart dans les dixmes, quand ils n’étoient pas en état de s’en passer, suivant le sixieme concile de Paris, de l’an 829 ; mais il s’est trouvé peu d’évêques qui se soient attribués les dixmes, & pour en joüir ils ont besoin d’un titre spécial, ou d’une possession de quarante ans.

Un seigneur laïc peut encore posséder toutes les dixmes à titre d’inféodation. Voyez ci-après Dixmes inféodées.

La plûpart des concessions de dixmes faites aux monasteres, sont des x. & xj. siecles. Les évêques, en fondant des monasteres, ce qui étoit la grande dévotion de ces tems-là, leur donnoient pour dotation les dixmes de leurs églises. L’ignorance profonde qui regnoit alors, & les desordres des prêtres séculiers, ayant obligé d’employer les moines à l’administration des cures, ils s’approprierent les dixmes, tellement que quand les conciles ont ordonné aux religieux de se retirer dans leurs cloîtres, ils ont encore retenu le titre de curés primitifs & les dixmes.

Beaucoup de laïcs qui étoient en possession des dixmes, les remirent aussi pour la décharge de leur conscience, pro remedio animæ suæ, à des chapitres ou à des monasteres ; elles sont comprises dans ces concessions sous le titre d’altare & decimas, & quelquefois simplement altare, qui comprend le patronage, les dixmes, & autres droits utiles & honorifiques.

C’est au moyen de ces différentes concessions que les chapitres, monasteres, abbés, prieurs & autres bénéficiers, sont gros décimateurs de la plus grande partie du royaume.

Il y a eu des dixmes établies par l’Église même, lors de la concession qu’elle faisoit de certaines terres à des particuliers ; elle se reservoit nonas & decimas : nonas, c’étoit la rétribution dûe pour la connoissance. A l’égard de la dixme, elle étoit retenue pour se conformer à l’usage général. Il est parlé de ces nones & dixmes dans des capitulaires des années 756, 779, 802, 803, 819 & 823.

Suivant le droit canonique, la dixme ecclésiastique est dûe de toutes sortes de fruits, soit de la terre ou des animaux, & de tous autres profits & revenus ; mais parmi nous on ne suit pas à cet égard entierement le droit canon, on se conforme à l’usage, aux titres & à la possession.

Il n’est pas nécessaire en matiere de dixme, que l’usage sur lequel on se fonde soit un usage universel