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plus haut, auxquels elle puisse convenir : d’où je conclus que les cas qu’elle n’a pas prévûs sont les plus nombreux, les plus fondamentaux, & même les seuls qui se présentent dans la pratique.

Cherchons donc une autre théorie que celle dont nous avons cru devoir démontrer l’insuffisance, parce qu’elle n’est pas une erreur ignorée & sans conséquence, mais qu’elle est au contraire fort répandue, ou sur le point de l’être, & que c’est ici un point fondamental de doctrine chimique.

Nous croyons la théorie suivante hors d’atteinte, parce qu’elle n’exprime presque que des observations : ce n’est pas selon que chaque produit est plus ou moins volatil, mais selon qu’il étoit plus ou moins intimement retenu dans le corps dont il étoit principe, qu’il s’éleve plus ou moins tard dans toute distillation qui opere une desunion réelle & violente. Le dégagement de ces produits doit être opéré avant l’expansion vaporeuse qui cause leur élévation ; or le degré de volatilité n’est compté pour rien dans l’estimation de la résistance qu’un principe oppose à sa desunion ; l’acide du sel marin résiste plus invinciblement à sa séparation d’avec sa base ordinaire, que plusieurs principes moins volatils que celui-ci ; le principe éminemment volatil, le phlogistique, est inséparable par la violence du feu dans les vaisseaux fermés, des corps dont il est principe constituant. Bien plus, la volatilité influe si peu sur l’ordre des produits, que toutes les fois que deux principes volatils se trouvent dégagés en même tems, ils s’élevent toûjours ensemble sans qu’il soit possible, ou du moins utile, d’observer alors la différence de leur volatilité ; parce que la chaleur nécessaire pour les dégager est si supérieure à celle qui suffit pour les élever une fois qu’ils sont libres, que ce degré de chaleur qui subsiste toûjours est plus que suffisant pour enlever le moins volatil, & qu’on ne voit pas comment on pourroit estimer dans les appareils ordinaires le rapport du superflu de cette chaleur, à celle qui seroit précisément nécessaire pour l’élévation de chacun des deux principes ; rapport qu’il faudroit cependant connoître pour fixer leur volatilité respective. Au reste il n’est peut-être pas inutile, ne fût ce que pour exercer la sagacité de certains lecteurs, d’avancer que ce rapport pourroit être facilement déterminé à l’aide de certains appareils particuliers, & par un petit nombre d’expériences simples ; en confessant cependant que ce seroit ici une de ces recherches collatérales purement curieuses, qui naissent d’un sujet, mais qui meurent sans lignée, c’est-à-dire qui ne fournissent rien à l’établissement de la question principale, comme il en est tant sur certains effets très-particuliers, qu’on a calculés avec une complaisance singuliere ; opération dont le résultat s’est appellé une théorie Mais je reviens à celle de la distillation.

Nous venons de voir que l’effet des agens employés à cette opération, se réduit à séparer des corps exposés à leur action une ou plusieurs substances, le plus souvent après avoir rompu l’union de ces substances. Nous avons observé dès le commencement de cet article, que c’est sous la forme de vapeur que ces substances s’élevent : il nous reste à considérer les changemens que subissent ces vapeurs, & les causes de ces changemens.

La formation des vapeurs dans les vaisseaux fermés, n’a aucun caractere particulier ; la vaporisation est dans ce cas, comme en général, un mode ou une espece de raréfaction par le feu. Voy. Vapeur.

Le premier changement arrivé à cette vapeur une fois formée, est celui qui commence son élévation. Ce changement ne consiste qu’en une nouvelle expansion par l’action continuée du feu ; expansion qui a lieu en tout sens, & qui ne paroît avoir une ten-

dance particuliere en haut, que par la forme des

vaisseaux qui la contiennent & qui la dirigent pour ainsi dire : car on ne peut avoir recours ici ni à la loi hydrostatique par laquelle un liquide plus leger doit s’élever au-dessus d’un liquide moins leger, comme dans les évaporations à l’air libre supposé moins leger que les vapeurs qui s’élevent à des hauteurs considérables dans l’atmosphere, ni à l’attraction électrique mise très-ingénieusement en œuvre dans ce cas par M. Desaguliers & par M. Franclin : car la distillation est proprement une évaporation dans le vuide, l’air étant si fort raréfié dans les vaisseaux très-échauffés, que son concours doit être compté pour rien ; & d’ailleurs l’ascension des vapeurs dans les vaisseaux fermés n’a qu’une étendue très-bornée, & exactement proportionnelle à leur expansion, c’est-à-dire à leur chaleur. Ce dernier rapport est si constant, que par la cessation de cette seule cause, une vapeur ne s’élevera qu’à une hauteur médiocre. Or cette unique cause, savoir l’expansion par le feu, diminuera nécessairement dans la vapeur à mesure qu’elle s’éloignera du centre de la chaleur dans les appareils ordinaires, où l’on n’applique le feu qu’à la partie inférieure des vaisseaux, & dont les parois touchent à une atmosphere toûjours plus froide que les vapeurs qu’ils contiennent ; au lieu que la même vapeur, & une vapeur quelconque entretenue dans le degré d’expansion qui l’a fait parvenir à cette hauteur, en échauffant le vaisseau dans toute sa longueur, pourra être portée sans aucune autre cause & si le corps continue toûjours à en fournir de nouvelles, jusqu’à une hauteur qui n’a point de bornes. Une nouvelle preuve que la loi hydrostatique dont nous avons parlé ci-dessus, n’influe en rien sur le phénomene dont il s’agit ici, c’est que dans un appareil convenable de distillation latérale ou de descensum, la vapeur pourra par la seule application de la chaleur, être portée à côté ou en-bas à un éloignement indéfini. Il est essentiel de remarquer, pour avoir une idée distincte de tout ceci, que la forme des vaisseaux que Boerhaave a divisés par-là en trois especes (Elem. chim. pars altera, de artis theoria, p. 464. de l’éd. de Cavelier) ; savoir les cylindriques, les coniques à fond plus étroit que la partie supérieure, & les coniques à fond plus large que la partie supérieure ; que cette forme, dis-je, est absolument indifférente à l’ascension des vapeurs ; & qu’ainsi le docte Boerhaave s’est trompé, lorsqu’il a cru que les vaisseaux coniques convergens vers le haut favorisoient merveilleusement l’ascension des vapeurs ; qu’il a dû cette erreur raisonnée à un manque absolu de connoissance sur la nature de la vapeur : car il a dit qu’il étoit clair par les connoissances hydrostatiques, que cette plus facile ascension dépendoit de ce que les côtés d’un pareil vaisseau soûtenoient des colonnes de liqueurs, liquoris, d’autant plus courtes qu’elles portoient sur des points de ces côtés plus voisins du bord de ce vaisseau, &c. Les adorateurs de Boerhaave sont invités à nous prouver que cet auteur a droit d’appeller une vapeur liquor ; secondement, de diviser une vapeur en colonnes ; troisiemement, d’évaluer les propriétés des vapeurs ex hydrostaticis. Le vaisseau conique convergent en-bas, ne retarde pas plus l’ascension des vapeurs, que le convergent en-haut ne les favorise : en général, les vaisseaux contenans, de quelque forme qu’ils soient, ne different essentiellement que par leur diverse élévation, & il ne faut pas comme Boerhaave restraindre cette regle aux vaisseaux cylindriques.

Le degré de chaleur nécessaire pour entretenir l’expansion vaporeuse, variant comme la rarescibilité de chaque substance réduite en vapeurs, ces vapeurs dans les appareils communément usités à l’ai-