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dent uniquement. Et ce qui doit principalement les engager à maintenir les troupes dans l’observation des lois militaires, & à s’armer d’une rigueur inflexible pour en empêcher l’affoiblissement, c’est qu’il ne faut qu’un tems très-court, comme dit Homere, pour jetter les soldats dans l’oubli & le mépris de ces lois. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’on ne sauroit les retablir que par la terreur des châtimens ; ce qui n’est pas peu fâcheux & peu difficile ». Comment. sur Polybe. La discipline militaire ne regarde pas moins l’officier que le soldat. Tous doivent obéir également à celui qui a un grade supérieur, & auquel ils sont subordonnés pour le service. Tout le monde sait quel étoit la rigueur des Romains à cet égard. Manlius Torquatus fit mourir son fils pour être sorti des rangs, & avoir combattu, contre sa défense, un ennemi qui l’avoit défié. Exemple de sévérité, qui ne pouvoit manquer de rendre le soldat plus exact & plus soûmis aux ordres du consul, mais qui se ressent pourtant de l’espece de dureté ou de férocité des anciens Romains, dont on trouve souvent des traces dans leur histoire. Voyez Chatimens militaires. (Q)

DISCOBOLE, s. m. (Hist. greq. & rom.) athletes qui faisoient profession de l’exercice du disque, & qui en disputoient le prix dans les jeux de la Grece. Indiquons, à l’exemple de M. Burette, & d’après ses mémoires, l’origine de cet exercice, ses progrès, ses regles, son utilité, l’équipage des discoboles, pour disputer le prix, leur maniere de jetter le disque, en un mot les généralités les plus curieuses sur ce sujet, dont nous ne prendrons que la fleur. Ceux qui aiment l’érudition péniblement entassée, en trouveront de reste dans Mercurial, dans Faber, dans les autres auteurs gymniques, & finalement dans nos dictionnaires d’antiquités. Voyez Disque.

Les premiers commencemens de l’exercice du disque, remontent aux tems fabuleux. On y trouve Apollon se dérobant du ciel, & abandonnant le soin de son oracle de Delphes, pour venir à Sparte joüer au disque avec le bel Hyacinthe. On y voit ce jeune homme blessé mortellement au visage par le disque lancé de la main du dieu, & les autres circonstances de cette avanture, qu’Ovide raconte avec tant d’agrément dans le X. livre de ses métamorphoses. Mais sans recourir à une origine si douteuse, contentons-nous d’attribuer, avec Pausanias, l’invention du disque à Persée fils de Danaé. Nous apprendrons de cet historien grec, le malheur qu’eut ce jeune héros de ruer involontairement d’un coup fatal de son palet son ayeul Acrise, & les suites de cet évenement.

Malgré les deux accidens funestes dont on vient de parler, l’exercice du disque ne laissa pas de faire fortune dans les siecles suivans ; & il étoit déjà fort en vogue du tems de la guerre de Troie, s’il en faut croire Homere. C’étoit un des jeux auquel se divertissoient les troupes d’Achille sur le rivage de la mer, pendant l’inaction où les tenoit le ressentiment de ce héros contre le roi d’Argos & de Mycenes. Dans les funérailles de Patrocle, décrits dans le XIII. liv. de l’Iliade, on voit un prix proposé pour cet exercice, & ce prix est le palet même que lancent, l’un après l’autre, quatre concurrens, & qui devient la récompense du vainqueur. Ulysse dans l’Odissée, liv. VIII. trouve cette espece de jeu tout établi à la cour d’Alsinoüs roi des Phéaciens ; & c’est un des combats gymniques, dont ce prince donne le spectacle à son nouvel hôte pour le régaler, & auquel le roi d’Itaque veut bien lui-même prendre part, en montrant à ses antagonistes combien il leur est supérieur en ce genre. Pindare, dans la I. ode des Istmioniques, célébrant les victoires remportées aux jeux publics par Castor & par Jolaüs, n’oublie pas leur dextérité à lancer un disque : ce qui fait voir

que dès les tems héroïques, cet exercice étoit du nombre de ceux pour lesquels on distribuoit des prix dans les solennités de la Grece.

Les discoboles jettoient le disque en l’air de deux manieres ; quelquefois perpendiculairement, pour essayer leurs forces, & c’étoit comme le prélude du combat ; d’ordinaire en avant, & dans le dessein d’atteindre le but qu’ils se proposoient : mais de quelque façon qu’ils lançassent cet instrument, ils le tenoient en sorte que son bord inférieur étoit engagé dans la main, & soutenu par les quatre doigts recourbés en-devant, pendant que sa surface postérieure étoit appuyée contre le pouce, la paume de la main & une partie de l’avant-bras. Lorsqu’ils vouloient pousser le disque, ils prenoient la posture la plus propre à favoriser cette impulsion, c’est-à-dire qu’ils avançoient un de leurs piés sur lequel ils courboient tout le corps ; ensuite balançant le bras chargé du disque, ils lui faisoient faire plusieurs tours presque horisontalement, pour le chasser avec plus de force ; après quoi ils le poussoient de la main, du bras, & pour ainsi dire de tout le corps, qui suivoit en quelque sorte la même impression ; & le disque échappé s’approchoit de l’extrémité de la carriere, en décrivant une ligne plus ou moins courbe, suivant la détermination qu’il avoit reçûe en partant de la main du discobole. Properce peint ce mouvement du disque en l’air, quand il dit,

Missile nunc disci pondus in orbe rotat.

Eleg. XII. lib. III.

J’oubliois d’avertir que les athletes avoient soin de frotter de sable ou de poussiere le palet & la main qui le soûtenoit, & cela en vûe de le rendre moins glissant & de le tenir plus ferme.

Les Peintres & les Sculpteurs les plus fameux de l’antiquité s’étudierent à représenter au naturel l’attitude des discoboles, pour laisser à la postérité divers chef-d’œuvres de leur art. Le peintre Taurisque, au rapport de Pline, & les sculpteurs Nancydes & Myron, se signalerent par ces sortes d’ouvrages. Quintilien, liv. II. ch. xiij. vante extrèmement l’habileté de ce dernier dans l’exécution d’une statue de ce genre. On connoît la belle statue du lanceur de disque, qui appartient au grand-duc de Toscane ; mais on ignore le nom du statuaire. Au reste on ne peut douter qu’il n’entrât beaucoup de dextérité dans leur maniere de lancer le disque, puisqu’on tournoit en ridicule ceux qui s’en acquittoient mal, & qu’il leur arrivoit fréquemment de blesser les spectateurs par leur mal-adresse.

Pindare nous a conservé le nom de l’athlete qui le premier mérita le prix du disque dans les jeux olympiques : ce fut Lincée. Mais dans la suite, quand les exercices athlétiques furent rétablis en Grece dans la xviiie olympiade, on n’y couronna plus que les athletes qui réunissoient les talens nécessaires pour se distinguer dans les cinq sortes d’exercices qui composoient ce que les Grecs appelloient le pentathle, savoir la lutte, la course, le saut, l’exercice du disque, & celui du javelot.

On prescrivoit aux discoboles dans les jeux publics, certaines regles auxquelles ils devoient s’assujettir pour gagner le prix ; ensuite celui-là le remportoit, qui jettoit son disque par-delà ceux de ses concurrens : c’est de quoi les descriptions de ce jeu qui se lisent dans Homere, dans Stace, dans Lucien & ailleurs, ne nous permettent pas de douter. On regardoit la portée d’un disque poussé par une main robuste, comme une mesure suffisamment connue ; & l’on désignoit par-là une certaine distance, de même qu’en françois nous en exprimons une autre par une portée de mousquet.

Nous apprenons encore d’Homere & de Stace,