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ne viennent qu’aux racines ou aux troncs de certains arbres.

M. Méry a vû à l’hôtel-Dieu de petits champignons plats & blanchâtres, sur des bandes & attelles qui avoient été trempées dans l’oxicrat, & ensuite appliquées aux fractures des malades. Le fait étoit bien singulier ; & cependant M. Lémery eut occasion dans le même tems d’être témoin d’un cas semblable, & plus frappant encore dans ses circonstances.

Un jeune enfant de Paris attaqué du rachitis, avoit les jambes tortues ; le Chirurgien qui le pansoit, après y avoir mis des éclisses, fut bien étonné de trouver sous les bandes un bon nombre de champignons gros comme le bout du doigt ; il les ôta, & raccommoda les éclisses avec le bandage. Vingt-quatre heures après, il retourna panser l’enfant, & trouva encore à la même place autant de champignons. Enfin ayant continué plusieurs jours de suite le pansement, il retira plusieurs jours de suite des champignons.

Cette production extraordinaire en un lieu où l’on devoit si peu l’attendre, ayant été certifiée aux physiciens qui s’assembloient pour lors chez M. l’abbé Bourdelot, ils en donnerent la véritable raison : c’est que les éclisses qu’on avoit appliquées autour des jambes de l’enfant, étoient d’un bois de pommier, où les champignons naissent facilement, & dans lequel il y avoit sans doute de la graine de cette plante. Il arrivoit donc que la chaleur de l’enfant qui étoit emmaillotté, & son urine qui abreuvoit souvent les éclisses, développoient les semences de champignon, & les faisoient éclorre en vingt-quatre heures, comme il arrive ordinairement dans la campagne. Il faut adapter le même raisonnement au fait observé par M. Méry ; les graines de champignon se trouvant par hasard sur les bandes & attelles qu’on appliquoit aux malades, germerent, soit par la chaleur du corps des malades, soit par l’effet du vin ou de l’oxicrat, dans lequel elles avoient été trempées.

Nous apprenons de Dioscoride, qu’il y avoit des gens qui assûroient que des morceaux de l’écorce du peuplier, tant blanc que noir, enfoncés sur des couches de fumier, il en naissoit des champignons bons à manger. Ruel rapporte, que si l’on découvre le tronc d’un peuplier blanc vers la racine, & qu’on l’arrose avec du levain délayé dans de l’eau, on y voit naître pour ainsi dire des champignons sur le champ ; il ajoûte, que les collines produisent plusieurs sortes de champignons, si dans la saison on en brûle le chaume ou les landes. Il est certain que les landes brûlées en Provence & en Languedoc, poussent beaucoup de pavots noirs aux premieres pluies d’automne ; & cette plante se perd les années suivantes, ensorte qu’on ne la rencontre que sur les terres brûlées.

Tous ces faits prouvent, qu’il n’est besoin que d’un suc assaisonné pour faire éclorre & pour rendre sensibles, tant les graines cachées du champignon, que celles de toutes sortes de plantes.

Pour revenir à nos champignons ; non-seulement on les éleve sur couches, mais encore en plaine campagne, & très-avantageusement d’après la même méthode. Leur culture aujourd’hui si perfectionnée, prouve deux choses : la premiere, que leur graine est naturellement contenue dans les crotes de cheval ; la seconde, que notre sensualité rafinée pour cet aliment, ne le cede point à celle des Romains sous le regne d’Auguste. Si de nos jours quelque prétendu gourmet en ce genre venoit débiter la maxime du Catius d’Horace,

Pratensibus optima fungis
Natura est
. Sat. IV. lib. II. v. xx.

les champignons des prés sont les meilleurs, nos

Aufidius les moins savans lui répondroient qu’il n’y entend rien, & que les bons champignons au goût sont ceux qui se trouvent dans les bois, dans les bruyeres, ou dans les landes.

Il y a plus : les législateurs en cuisine, les maîtres de la science de la gueule, comme s’exprime Montagne, croyent être parvenus à pouvoir distinguer sans méprise les bons champignons d’avec les mauvais.

Ils assûrent que les bons champignons sont ceux qui prennent leur accroissement dans la durée de la nuit, soit naturellement, soit par art sur des couches de fumier ; qu’ils doivent être d’une grosseur médiocre à-peu-près comme une châtaigne, charnus, bien nourris, blancs en-dessus, rougeâtres en-dessous, de consistance assez ferme, se rompant facilement, moelleux en-dedans, d’une odeur & d’un goût agréables : qu’au contraire, les champignons mauvais ou pernicieux sont ceux qui ayant demeuré trop longtems sur la terre, sont devenus bleus, noirâtres ou rouges, & dont l’odeur est desagréable. Mais ces marques générales ne satisferont pas aisément des physiciens ; ils demandent des marques caractéristiques, qui indiquent dans le grand nombre des variétés d’especes de champignons naturels, les bonnes, les douteuses, les pernicieuses ; & il seroit utile d’avoir cette connoissance.

L’analyse des divers champignons ne porte aucune lumiere sur ce point : nous savons seulement qu’ils paroissent contenir un sel essentiel ammoniacal, dont l’acide est saoulé par beaucoup de sel volatil-urineux, & mêlé avec beaucoup d’huile & peu de terre ; ces principes sont délayés dans une grande quantité de flegme. C’est de ce sel actif, volatil-urineux, ammoniacal, & huileux, que dépend l’odeur & la saveur des champignons : c’est aussi pour cela qu’ils se corrompent ou se pourrissent facilement ; si on les pile, & qu’on les laisse pourrir, ils se fondent & deviennent un mucilage, qui ne donne plus de marque de sel urineux, mais d’un sel salé & acide ; car leur sel volatil se dissipe par la putréfaction.

Cette analyse rend fort suspecte la nature des champignons ; & l’expérience d’accidens arrivés par ceux de la meilleure qualité, ne tend pas trop à nous rassûrer sur leur usage bienfaisant.

Je ne parle pas des champignons dont tout le monde connoît le mauvais caractere, mais de ceux qui ont la figure des bons, & qui trompent les personnes qui s’en rapportent au-dehors. C’est pourquoi nous ne sommes pas certains d’en manger toûjours de sûrs, à cause de leur figure trompeuse, de l’ignorance, de la négligence, du manque d’attention des gens qui les cueillent ou qui les apprêtent.

Bien plus, ceux qui ont toutes les marques de sûreté par rapport à leur bonté, deviennent aisément dangereux, ou pour avoir été cueillis trop tard, ou par la nature du lieu où ils croissent, ou par le suc dont ils se nourrissent, ou par le voisinage de ceux qui se pourrissent, ou de ceux qui sont par hasard empoisonnés ; & quand ces inconvéniens ne seroient point à craindre, les Medecins les plus habiles avoüent que les meilleurs champignons, pris en grande quantité, sont nuisibles ; parce qu’ils produisent de mauvais sucs, parce qu’ils tendent à la putréfaction, parce que par leur nature spongieuse ils se digerent difficilement, compriment le diaphragme, empêchent la respiration, suffoquent & excitent des débordemens de bile par haut & par bas.

Les symptomes fâcheux, & même mortels, que les mauvais champignons causent, sont sur-tout le vomissement, l’oppression, la tension de l’estomac & du bas-ventre, l’anxiété, un sentiment de suffocation, des rongemens, des tranchées dans les entrailles, la soif violente, la cardialgie, la diarrhée,