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plantes, & que plusieurs modernes, parmi lesquels se trouvent Messieurs le comte de Marsigli & Lancisi, dans leur dissertation latine sur l’origine des champignons, imprimée à Rome en 1714 in-8o. se sont persuadés que ceux que l’on voit sur des troncs ou des branches d’arbres, sont des maladies des plantes auxquelles ils sont attachés ; semblables aux exostoses, dont le volume ne s’augmente que par le dérangement des fibres osseuses, qui donne lieu à une extravasation de leurs sucs nourriciers ; & que ceux qui naissent à terre parmi des feuilles pourries, ou sur les fumiers, ne sont que, ou des expansions de quelques fibres de plantes pourries dont la terre est parsemée, ou des productions causées par la fermentation de certains sucs que ces auteurs disent être gras & huileux, qui restés dans les parties de ces plantes pourries, & mêlés avec une portion de sel de nitre, prennent la forme de globule, plus ordinaire qu’aucune autre aux champignons naissans.

Mais toutes ces idées sur la nature des champignons se détruisent aisément par un examen un peu attentif de leur substance, de leur organisation, de leur variété, & de leur maniere de se multiplier ; car enfin tous ces nœuds, ces vessies, & ces autres tumeurs qui paroissent sur certaines parties des arbres, de même que sur le corps des animaux, comme des maladies auxquelles ils sont sujets, sont composés d’une matiere qui participe de la substance solide ou liquide de ces plantes & de ces animaux sur lesquels ils se rencontrent ; au lieu que la substance des champignons qui s’attachent aux arbres, est non seulement toute différente de celle des plantes sur lesquelles ils naissent, mais même est semblable à celle des champignons qui sortent immédiatement de la terre.

Si d’ailleurs la singularité de l’organisation est dans les plantes un de ces caracteres qui les distinguent des autres productions de la nature, ce même caractere se fait reconnoître par une disposition particuliere d’organes dans les champignons.

Les caracteres de l’organisation ne se trouvent pas moins multipliés dans cette plante, qu’ils le sont dans tous les genres de classes de plantes ; ils y sont constans, en quelque pays & dans quelque année qu’on les observe ; ce qui doit se faire par le moyen d’une reproduction annuelle d’especes, qui ne peut se comprendre sans la supposition d’une semence qui les perpétue & les multiplie.

Cette supposition de semences n’est point imaginaire ; elles se font sentir au toucher en maniere de farine dans les champignons, dont la tête est feuilletée en-dessous, lors sur-tout qu’ils commencent à se pourrir ; on les apperçoit aisément à la faveur de la loupe dans ceux dont les feuillets sont noirs à leur marge ; on les trouve sous la forme d’une poussiere dans ceux qu’on appelle vesses-de-loup ; elles paroissent en assez gros grains sur le champignon de Malthe ; elles sont placées dans des loges destinées à les contenir dans l’agaric noir digité de Boerhaave.

Quelque peine qu’on ait communément à se convaincre que ce sont de véritables graines, les Botanistes accoûtumés à en voir de pareilles dans d’autres plantes, les reconnoissent aisément dans celle-ci, & ne peuvent plus douter que les champignons ne soient d’une classe particuliere de plantes, lorsqu’en comparant les observations faites en différens pays, avec les figures & les descriptions de ceux qui ont été gravés, ils apperçoivent chacun chez eux les mêmes genres & les mêmes especes.

L’établissement de la classe nouvelle à former, pour la perfection de la méthode, doit donc se tirer de quelques caracteres qui ne soient pas moins essentiels que ceux des autres classes, & qui les différencient.

Et quels seront les caracteres de ces sortes de plantes ? sinon d’être dans toutes leurs parties d’une substance uniforme, mollasses lorsqu’elles sont dans leur état de fraîcheur, charnues, faciles à se rompre, aussi promptes à venir qu’elles sont de peu de durée, & capables, lorsqu’elles sont seches, de reprendre leur forme & leur volume naturel, si on les trempe dans quelque liqueur dont elles s’imbibent ; caracteres qui tous pourroient se comprendre sous le nom de plantes fongueuses : d’ailleurs elles se font connoître à l’extérieur par une figure si singuliere, que n’ayant ni branches, ni feuilles, ni fleurs pour la plûpart, elles ne ressemblent ni à aucune herbe, ni à aucun arbre.

On pourroit diviser les plantes fongueuses en deux sections générales ; l’une renfermeroit les lychen, & l’autre les champignons : la section des champignons seroit susceptible de deux divisions considérables, dont l’une comprendroit les champignons qui ne portent que des graines, & l’autre ceux qui ont des graines & des fleurs.

Les genres de la premiere de ces divisions seroient le champignon proprement dit, le poreux, l’hérissé, la morille, les fungoïdes, la vesse-de-loup, les agarics, les coralle-fungus, & les truffes.

Les genres de la seconde de ces soûdivisions seroient le typhoïdes, & l’hypoxylon.

Il ne resteroit plus qu’à faire une application particuliere des caracteres de tous les genres qui se rapportent aux différentes divisions de la classe générale, à donner le dénombrement des especes, avec une concordance des descriptions des auteurs, conforme aux figures qu’ils en ont fait graver.

Telles sont les remarques & le projet qu’avoit conçû M. de Jussieu en 1728, pour former l’histoire botanique des champignons ; mais comme par malheur il ne l’a point exécuté, personne n’a osé se charger d’une entreprise que cet illustre académicien sembloit s’être réservée, & qu’il pouvoit consommer avec gloire.

Il faut donc nous contenter jusqu’à ce jour des ouvrages que nous avons cités sur cette matiere ; & quoiqu’ils ne remplissent point nos desirs, ils suffisent néanmoins pour nous mettre sur la voie, pour nous fournir une connoissance générale des divers genres de champignons, & pour nous prouver qu’il n’y a guere de plantes qui produisent plus de variétés en grosseur, en hauteur, en étendue & en différence de couleur des cannelures & du chapiteau, que le fait celle-ci.

Voilà sans doute l’origine des faussetés qu’on lit dans Clusius, Matthiole, Ferrantes Imperati, & autres écrivains, sur la grosseur énorme de quelques champignons. Pour moi, lorsque j’entends Clusius parler d’un champignon qui pouvoit nourrir plus d’un jour toute une famille ; Matthiole prétendre qu’il en a vû du poids de trente livres ; Ferrantes Imperati pousser l’exagération jusqu’à dire qu’il y en a qui pesent plus de cent livres ; enfin d’autres rapporter que sur les confins de la Hongrie de la Croatie, il en croît de si gros qu’un seul feroit la charge d’un charriot : je ne trouve pour cuire de si monstrueux champignons, que le pot de la fable de la Fontaine, qui étoit aussi grand qu’une église.

Il ne faut pas porter le même jugement sur les faits qui regardent les malheurs causés par des champignons pernicieux ; & c’est la certitude des histoires qu’on en cite, qui a engagé divers auteurs modernes à former d’après Dioscoride, la division générale de la classe des champignons, en nuisibles, & en bons à manger. On met au nombre des premiers la vesse-de-loup (voyez ce mot) ; & au rang des derniers le champignon ordinaire qui vient sur couche,