Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/919

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire à la loi, c’est une conscience décisive qui doit être divisée en démonstrative & probable.

La conscience démonstrative est celle qui est fondée sur des raisons démonstratives, autant que le permet la nature des choses morales ; & par conséquent elle est toûjours droite ou conforme à la loi. La conscience probable est celle qui n’est fondée que sur des raisons vraissemblables, & qui par conséquent est ou droite ou erronée, selon qu’il se trouve que l’opinion en elle-même est ou n’est pas conforme à la loi.

Lorsque l’on agit contre les mouvemens d’une conscience décisive, ou l’on se détermine sans aucune répugnance, & alors c’est une conscience mauvaise qui marque un grand fonds de méchanceté, ou bien on succombe à la violence de quelque passion qui flatte agréablement, ou à la crainte d’un grand mal, & alors c’est un péché de foiblesse, d’infirmité. Que si l’on suit les mouvemens d’une conscience décisive, ou l’on se détermine sans hésiter & avec plaisir, & alors c’est une bonne conscience, quand même on se tromperoit, comme il paroît par l’exemple de S. Paul, Act. xxiij. 1. ou bien on agit avec quelque répugnance, & alors, quoique l’action en elle-même soit bonne, elle n’est point réputée telle à cause de la disposition peu convenable qui l’accompagne.

Les fondemens de la conscience probable véritablement telle, sont l’autorité & l’exemple soutenus par un certain sentiment confus de la convenance naturelle qu’il y a dans les choses qui font la matiere de nos devoirs, & quelquefois aussi par des raisons populaires qui semblent tirées de la nature des choses. Comme tous ces fondemens ne sont pas si solides, qu’on ait lieu de s’y reposer absolument, il ne faut s’en contenter que quand on ne peut faire mieux ; & ceux qui se conduisent par une telle conscience, doivent employer tous leurs efforts pour augmenter le degré de vraissemblance de leurs opinions, & pour approcher autant qu’il est possible de la conscience démonstrative.

La conscience douteuse, que nous avons opposée à la décisive, est ou irrésolue ou scrupuleuse. La conscience irrésolue, c’est lorsqu’on ne sait quel parti prendre à cause des raisons qui se présentent de part & d’autre. sinon parfaitement égales, du moins telles qu’il n’y a rien d’un côté ni d’autre qui paroisse assez fort pour que l’on fonde là-dessus un jugement sûr. Dans un tel cas quelle conduite faut-il tenir ? La voici : Il faut s’empêcher d’agir tant que l’on ne sait pas si l’on fera bien ou mal. En effet, lorsque l’on se détermine à agir avant que les doutes qu’on avoit soient entierement dissipés, cela emporte ou un dessein formel de pécher, ou du moins un mépris indiscret de la loi, à laquelle il peut arriver que l’action se trouve effectivement contraire.

La conscience scrupuleuse est produite par des difficultés très-legeres ou frivoles, qui s’élevent dans l’esprit, pendant qu’on ne voit de l’autre côté aucune bonne raison de douter. Comme le scrupule ne vient d’ordinaire que d’une fausse délicatesse de conscience, ou d’une grossiere superstition, on en sera bientôt délivré, si l’on veut examiner la chose sérieusement & dans toutes ses faces.

Liberté de conscience. Entre plusieurs questions que l’on fait au sujet de la conscience errante, il y en a quatre de grande importance sur lesquelles on ne sauroit se refuser de dire un mot : les autres pourront se décider d’après les mêmes principes.

I. On demande, si celui qui se trompe est obligé de suivre les mouvemens de sa conscience. On répond que oüi, soit que l’erreur soit invincible ou vincible : car dès-là qu’on est fermement persuadé, comme nous le supposons, qu’une chose est prescrite ou défendue par la loi, on viole directement le res-

pect dû au législateur, si l’on agit contre cette persuasion,

quoique mal fondée.

II. Mais s’ensuit-il de-là que l’on soit toûjours excusable, en suivant les mouvemens d’une conscience erronée ? Nullement : cela n’a lieu que quand l’erreur est invincible.

III. Un homme peut-il juger du principe des erreurs d’un autre homme en matiere de conscience ? C’est la troisieme question, sur laquelle on répondra d’abord, qu’il n’est pas toûjours absolument impossible aux hommes de savoir si quelqu’un est dans l’erreur de mauvaise foi, ou s’il se fait illusion à lui-même : mais pour porter un tel jugement, il ne faut pas moins que des preuves de la derniere évidence ; & il arrive rarement que l’on ait de si fortes preuves. Je ne sai si on pourroit rapporter à ceci l’erreur autrefois si commune chez les Grecs & les Romains, de ceux qui croyoient qu’il étoit permis à un pere ou une mere d’exposer leurs enfans. Mais il semble du moins qu’on y peut rapporter une autre erreur presque aussi grossiere des Juifs du tems de Jesus-Christ, qui la leur reproche fortement. Marth. xv. 4-5. Car on a de la peine à concevoir que des gens qui avoient la loi de Moyse si claire & si expresse sur la nécessité d’honorer & d’assister un pere ou une mere, pussent de bonne foi être persuadés qu’on étoit dispensé de ce devoir par un vœu téméraire, ou plûtôt impie.

Pour ce qui est de savoir si l’erreur d’un homme qui se trompe de bonne foi est vincible ou invincible, il faut convenir que, mettant à part les principes les plus généraux du droit naturel, & les vérités dont les Chrétiens, quoique divisé, en différentes sectes, sont convenus de tout tems, tout le reste est de nature, qu’un homme ne peut sans témérité juger en aucune maniere du principe de l’ignorance, & des erreurs d’autrui : ou s’il peut dire en général qu’il y a des circonstances qui rendent vincibles telles ou telles erreurs, il lui est extrèmement difficile de rien determiner là-dessus par rapport à quelqu’un en particulier, & il n’est jamais nécessaire qu’il le fasse.

IV. La derniere question est si en conséquence du jugement que l’on fait de l’ignorance ou des erreurs d’autrui en matiere de conscience, on peut se porter à quelque action contre ceux que l’on croit être dans cette ignorance ou dans ces erreurs ? Ici nous répondons que lorsque l’erreur ne va point à faire ou à enseigner des choses manifestement contraires aux lois de la société humaine en général, & à celles de la société civile en particulier, l’action la plus convenable par rapport aux errans, est le soin charitable de les ramener à la vérité par des instructions paisibles & solides.

Persécuter quelqu’un par un motif de conscience, deviendroit une espece de contradiction ; ce seroit renfermer dans l’étendue d’un droit une chose qui par elle-même détruit le fondement de ce droit. En effet, dans cette supposition on seroit autorisé à forcer les consciences, en vertu du droit qu’on a d’agir selon sa conscience. Et il n’importe que ce ne soit pas la même personne dont la conscience force, & est forcée : car outre que chacun auroit à son tour autant de raison d’user d’une pareille violence, ce qui mettroit tout le genre humain en combustion, le droit d’agir selon les mouvemens de la conscience, est fondé sur la nature même de l’homme, qui étant commune à tous les hommes, ne sauroit rien autoriser qui accorde à aucun d’eux en particulier la moindre chose qui tende à la diminution de ce droit commun. Ainsi le droit de suivre sa conscience emporte par lui-même cette exception, hors les cas où il s’agiroit de faire violence à la conscience d’autrui.

Si l’on punit ceux qui font ou qui enseignent des choses nuisibles à la société, ce n’est pas à cause qu’ils sont dans l’erreur, quand même ils y seroient de