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rien, au lieu que les terminaisons du subjonctif sont toûjours subordonnées à un indicatif exprimé ou sous-entendu. Le subjonctif est ainsi appellé, dit Priscien, parce qu’il est toûjours dépendant de quelque autre verbe qui le précede, quod alteri verbo omnimodo subjungitur. Perisonius dans ses notes sur la Minerve de Sanctius, observe que l’indicatif est souvent précédé de conjonctions, & que le subjonctif est toûjours précedé & dépendant d’un verbe de quelque membre de période. Etiam indicativus conjunctiones dum, quum, quando, quanquam, si, &c. sibi præmissas habet, & vel maximè sibi subjungit alterum verbum. At subjunctivi proprium est omnimodo, & semper subjungi verbo alterius commatis. Perisonius in Sanctii Minervâ. l. I. c. xiij. n. 1. Ainsi conservons le terme de subjonctif, & regardons-le comme mode adjoint & dépendant, non d’une conjonction, mais d’un sens énoncé par un indicatif. (F)

CONJONCTION, s. f. terme de Grammaire. Les conjonctions sont de petits mots qui marquent que l’esprit, outre la perception qu’il a de deux objets, apperçoit entre ces objets un rapport ou d’accompagnement, ou d’opposition, ou de quelque autre espece : l’esprit rapproche alors en lui-même ces objets, & les considere l’un par rapport à l’autre selon cette vûe particuliere. Or le mot qui n’a d’autre office que de marquer cette considération relative de l’esprit est appellé conjonction.

Par exemple, si je dis que Cicéron & Quintilien sont les auteurs les plus judicieux de l’antiquité, je porte de Quintilien le même jugement que j’énonce de Cicéron : voilà le motif qui fait que je rassemble Cicéron avec Quintilien ; le mot qui marque cette liaison est la conjonction.

Il en est de même si l’on veut marquer quelque rapport d’opposition ou de disconvenance ; par exemple, si je dis qu’il y a un avantage réel à être instruit, & que j’ajoute ensuite sans aucune liaison qu’il ne faut pas que la science inspire de l’orgueil, j’énonce deux sens séparés : mais si je veux rapprocher ces deux sens, & en former l’un de ces ensembles qu’on appelle période, j’apperçois d’abord de la disconvenance, & une sorte d’éloignement & d’opposition qui doit se trouver entre la science & l’orgueil.

Voilà le motif qui me fait réunir ces deux objets, c’est pour en marquer la disconvenance ; ainsi en les rassemblant j’énoncerai cette idée accessoire par la conjonction mais ; je dirai donc qu’il y a un avantage réel à être instruit, mais qu’il ne faut pas que cet avantage inspire de l’orgueil ; ce mais rapproche les deux propositions ou membres de la période, & les met en opposition.

Ainsi la valeur de la conjonction consiste à lier des mots par une nouvelle modification ou idée accessoire ajoûtée à l’un par rapport à l’autre. Les anciens Grammairiens ont balancé autrefois, s’ils placeroient les conjonctions au nombre des parties du discours, & cela par la raison que les conjonctions ne représentent point d’idées de choses. Mais qu’est-ce qu’être partie du discours ? dit Priscien, « sinon énoncer quelque concept, quelque affection ou mouvement intérieur de l’esprit : » Quid enim est aliud pars orationis, nisi vox indicans mentis conceptum id est cogitationem ? (Prisc. lib. XI. sub initio.) Il est vrai que les conjonctions n’énoncent pas comme font les noms des idées d’êtres ou réels ou métaphysiques, mais elles expriment l’état ou affection de l’esprit entre une idée & une autre idée, entre une proposition & une autre proposition ; ainsi les conjonctions supposent toûjours deux idées & deux propositions, & elles font connoître l’espece d’idée accessoire que l’esprit conçoit entre l’une & l’autre.

Si l’on ne regarde dans les conjonctions que la seule propriété de lier un sens à un autre, on doit recon-

noître que ce service leur est commun avec bien

d’autres mots : 1°. le verbe, par exemple, lie l’attribut au sujet : les pronoms lui, elle, eux, le, la, les, leur lient une proposition à une autre ; mais ces mots tirent leur dénomination d’un autre emploi qui leur est plus particulier.

2°. Il y a aussi des adjectifs relatifs qui font l’office de conjonction ; tel est le relatif qui, lequel, laquelle : car outre que ce mot rappelle & indique l’objet dont on a parlé, il joint encore & unit une autre proposition à cet objet, il identifie même cette nouvelle proposition avec l’objet ; Dieu que nous adorons est tout-puissant ; cet attribut, est tout-puissant, est affirmé de Dieu entant qu’il est celui que nous adorons.

Tel, quel, talis, qualis ; tantus, quantus ; tot, quot, &c. font aussi l’office de conjonction.

3°. Il y a des adverbes qui, outre la propriété de marquer une circonstance de tems ou de lieu, supposent de plus quelqu’autre pensée qui précede la proposition où ils se trouvent : alors ces adverbes font aussi l’office de conjonction : tels sont afin que : on trouve dans quelques anciens, & l’on dit même encore aujourd’hui en certaines provinces, à celle fin que, ad hunc finem secundum quem, où vous voyez la préposition & le nom qui font l’adverbe, & de plus l’idée accessoire de liaison & de dépendance. Il en est de même de, à cause que, propterea quod. Parce que, quia ; encore, adhuc ; déjà, jam, &c. ces mots doivent être considérés comme adverbes conjonctifs, puisqu’ils font en même tems l’office d’adverbe & celui de conjonction. C’est du service des mots dans la phrase qu’on doit tirer leur dénomination.

A l’égard des conjonctions proprement dites, il y en a d’autant de sortes, qu’il y a de différences dans les points de vûe sous lesquels notre esprit observe un rapport entre un mot & un mot, ou entre une pensée & une autre pensée ; ces différences font autant de manieres particulieres de lier les propositions & les périodes.

Les Grammairiens, sur chaque partie du discours, observent ce qu’ils appellent les accidens ; or ils en remarquent de deux sortes dans les conjonctions : 1°. la simplicité & la composition ; c’est ce que les Grammairiens appellent la figure. Ils entendent par ce terme, la propriété d’être un mot simple ou d’être un mot composé.

Il y a des conjonctions simples, telles sont &, ou, mais, si, car, ni, aussi, or, donc, &c.

Il y en a d’autres qui sont composées, à moins que, pourvû que, de sorte que, parce que, par conséquent, &c.

2°. Le second accident des conjonctions, c’est leur signification, leur effet ou leur valeur ; c’est ce qui leur a fait donner les divers noms dont nous allons parler, sur quoi j’ai crû ne pouvoir mieux faire que de suivre l’ordre que M. l’abbé Girard a gardé dans sa Grammaire au traité des conjonctions (les véritab. princ. de la Lang. Franç. xij. disc.) L’ouvrage de M. l’abbé Girard est rempli d’observations utiles, qui donnent lieu d’en faire d’autres que l’on n’auroit peut-être jamais faites, si on n’avoit point lu avec réflexion l’ouvrage de ce digne académicien.

1°. Conjonctions copulatives. Et, ni, sont deux conjonctions qu’on appelle copulatives du Latin copulare, joindre, assembler, lier. La premiere est en usage dans l’affirmation, & l’autre dans la négative ; il n’a ni vice ni vertu. Ni vient du nec des Latins, qui vaut autant que &-non. On trouve souvent & au lieu de ni dans les propositions négatives, mais cela ne me paroît pas exact :

Je ne connoissois pas Almanzor & l’Amour.


J’aimerois mieux ni l’Amour. De même : la Poésie n’admet pas les expressions & les transpositions particulieres, qui ne peuvent pas trouver quelquefois leur place