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teur la réponse d’un grand Prince à un homme de sa maison[1], sans faire voir en même tems combien cette réponse étoit injurieuse & déplacée, combien le grand Prince dont il s’agit, étoit loin de l’être en cette occasion ; en un mot sans qualifier plus ou moins séverement cette réponse selon le ménagement qu’on doit au Prince qui l’a faite, & qui nous est inconnu, mais avec le respect encore plus grand qu’on doit au vrai, à la décence, & à l’humanité.

Bien loin de se plaindre de ceux qui ont relevé dans l’Encyclopédie quelques défauts de citations, c’est un reproche dont on doit leur savoir gré, parce qu’il engagera ceux qui sont tombés dans cette faute à se montrer plus exacts à l’avenir ; mais nous croyons que l’examen rigoureux des morceaux empruntés, sans aucune acception de nom ni de personnes, eût encore été plus utile. Il seroit singulier que tel article, blâmé d’abord lorsqu’on le croyoit d’une main indifférente ou peu amie[2], eût ensuite été loué (comme il le méritoit) lorsqu’on en a connu le véritable auteur. Nous n’en dirons pas ici davantage, nous souhaitons seulement que personne n’ait là-dessus de reproche à se faire, & que la diversité des intérêts, des tems, & des soins, n’en ait point entraîné dans le langage.

Parmi les différens ouvrages qu’on a accusé l’Encyclopédie d’avoir mis à contribution, on a sur-tout nommé les autres Dictionnaires. Nous convenons que l’on auroit dû en faire un plus sobre usage, parce que ces Dictionnaires ne sont pas les sources primitives, & que l’Encyclopédie doit puiser sur-tout dans celles-ci. Cependant qu’on nous permette sur cela quelques réflexions. En premier lieu, il est facile de prouver que la plûpart d’entre nous n’ont eu nullement recours à ces sortes d’ouvrages. En second lieu, la ressemblance qui se trouve quelquefois entre un article de l’Encyclopédie & un article de quelque Dictionnaire, est forcée par la nature du sujet, sur-tout lorsque l’article est court, & ne consiste qu’en une définition ou en un fait historique peu considérable : cela est si vrai, que sur un grand nombre d’articles la plûpart des Dictionnaires se ressemblent, parce qu’ils ne sauroient faire autrement. Le Dictionnaire de Trévoux en particulier doit moins reprocher qu’aucun autre les emprunts à l’Encyclopédie ; car ce Dictionnaire n’étoit dans son origine & n’est encore en grande partie, qu’une copie du Furetiere de Basnage, ainsi que ce dernier l’a fait voir & s’en est plaint dans son histoire des ouvrages des Savans[3]. D’ailleurs la traduction de Chambers a fourni quelques-uns des matériaux de l’Encyclopédie. Or Chambers avoit eu recours non-seulement aux Dictionnaires François, mais encore à d’autres ouvrages où les Dictionnaires François ont aussi puisé eux-mêmes ; il nous seroit aisé d’en rapporter des exemples. Dans ce cas, ce ne sera point aux autres Dictionnaires que l’Encyclopédie ressemblera directement, ce sera aux sources qui lui seront communes avec ces autres Dictionnaires. C’est encore par cette raison que plusieurs articles du Dictionnaire de Medecine se trouvent dans les deux premiers volumes de l’Encyclopédie ; parce que d’un côté, ces articles sont tirés en entier de nos Ouvrages François sur la Medecine, & que de plus une description de plante, la recete d’un remede, en supposant qu’elles soient bien faites, n’ont pas deux manieres de l’être. Il en est de même d’un très-grand nombre d’articles, tels que l’évaluation des monnoies, l’explication des différentes pieces & des différentes manœuvres d’un navire, & d’autres semblables.

Peut-on imaginer que dans un Dictionnaire, où l’on enterre, pour ainsi dire, son propre bien, on ait dessein de s’approprier celui d’autrui ? Chambers, ce Chambers tant & trop loué, a pris par-tout, sans discernement & sans mesure, & n’a cité personne. On a cité souvent dans l’Encyclopédie Françoise les sources primitives ; on a tâché de suppléer aux citations moins nécessaires par des avis généraux & suffisans. Mais on tâchera dans la suite de rendre encore & les emprunts moins fréquens & les citations plus exactes. Nous espérons qu’on s’en appercevra dans ce Volume. Enfin, & cet aveu répond à tout, les Auteurs de l’Encyclopédie consentent à ne s’approprier dans ce Dictionnaire que ce qu’on auroit honte de leur ôter ; & ils osent se flatter que leur part sera encore assez bonne.

En effet, si l’Encyclopédie n’a pas l’avantage de réunir sans exception toutes les richesses réelles des autres ouvrages, elle en renferme au moins plusieurs qui lui sont propres. Combien d’articles de Théologie, de Belles-Lettres, de Poétique, d’Histoire naturelle, de Grammaire, de Musique, de Chimie, de Mathématique élémentaire & transcendante, de Physique, d’Astronomie, de Tactique, d’Horlogerie, d’Optique, de Jardinage, de Chirurgie, & de diverses autres Sciences, qui certainement ne se trouvent dans aucun Dictionnaire, & dont plusieurs mêmes, en plus grand nombre qu’on ne pense, n’ont pû être fournis par aucun livre ? Combien sur-tout d’articles immenses dans la description des Arts, pour lesquels on n’a eu d’autres secours que les lumieres des amateurs & des Artistes, & la

  1. Cet homme montroit au grand Prince la statue équestre d’un héros, leur ayeul commun : celui qui est dessous, répondit le Prince, est le vôtre ; celui qui est dessus est le mien.
  2. Voyez dans l’Errata ce qui est dit sur l’article Agir
  3. Juillet 1704. Voyez aussi l’Errata à la fin.