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d’une entreprise nouvelle, risquable, ou coûteuse. Tout le monde conviendra sans doute, que celles de ce genre demandent des encouragemens & des graces particulieres de l’état.

Si ces graces & ces encouragemens sont des exemptions de droits, il est clair que l’état ne perd rien à ce qu’un plus grand nombre de sujets en profite, puisque c’est une industrie nouvelle qu’il favorise. Si ce sont des dépenses, des gratifications, ce qui est le plus sûr & même indispensable, on sent qu’il résulte trois conséquences absolues de la concurrence. La premiere, qu’un plus grand nombre d’hommes s’enrichissant, les avances de l’état lui rentrent plus sûrement, plus promptement. La seconde, que l’établissement sera porté plûtôt à sa perfection, qui est l’objet des dépenses, à mesure que de plus grands efforts y contribueront. La troisieme, que ces dépenses cesseront plûtôt.

Le lecteur sera mieux instruit sur cette matiere, en mettant sous ses yeux le sentiment d’un des plus habiles hommes de l’Angleterre dans le commerce. Je parle de M. Josias Child, au ch. iij. d’un de ses traités intitulé, Trade, and interest of money considered.

Personne n’est en droit de se flatter de penser mieux ; & ce que je veux dire, soûtenu d’une pareille autorité, donnera moins de prise à la critique. Il est bon d’observer que l’auteur écrivoit en 1669, & que plusieurs choses ont changé depuis ; mais presque toutes en extension de ses principes.

« Nous avons parmi nous, dit M. J. Child, deux sortes de compagnies de commerce. Dans les unes, les capitaux sont réunis comme dans la compagnie des Indes orientales, dans celle de Morée, qui est une branche de celle de Turquie ; & dans celle de Groenland, qui est une branche de la compagnie de Moscovie. Dans les autres associations ou compagnies de commerce, les particuliers qui en sont membres trafiquent avec des capitaux séparés, mais sous une direction & des regles communes. C’est ainsi que se font les commerces de Hambourg, de Turquie, du Nord, & de Moscovie.

» Depuis plusieurs années, on dispute beaucoup sur cette question ; savoir, s’il est utile au public de réunir les marchands en corps politiques.

» Voici mon opinion à ce sujet.

» 1°. Les compagnies me paroissent absolument nécessaires pour faire le commerce dans les pays avec lesquels S. M. n’a point d’alliances, ou n’en peut avoir ; soit à raison des distances, soit à cause de la barbarie des peuples qui habitent ces contrées, ou du peu de communication qu’ils ont avec les princes de la Chrétienté : enfin par-tout où il est nécessaire d’entretenir des forts & des garnisons. Tel est le cas des commerces à la côte d’Afrique & aux Indes orientales.

» 2°. Il me paroît évident que la plus grande partie de ces deux commerces, doit être faite par une compagnie dont les fonds soient réunis ». (Depuis ce tems les Anglois ont trouvé le secret de mettre d’accord la liberté & la protection du commerce à la côte d’Afrique. Voyez Grande Bretagne son commerce.)

» 3°. Il me paroît fort difficile de décider qu’aucune autre compagnie de commerce privilégiée, soit utile ou dommageable au public.

» 4°. Je ne laisse pas de conclure en général, que toutes les restrictions de commerce sont nuisibles ; & conséquemment que nulle compagnie quelconque, soit qu’elle trafique avec des capitaux réunis ou simplement sous des regles communes, n’est utile au public ; à moins que chaque sujet de S. M. n’ait en tout tems la faculté de s’y faire admettre à très-peu de frais. Si ces frais excedent au total la valeur de vingt livres sterlings, c’est beaucoup trop, pour trois raisons.

» La premiere, parce que les Hollandois dont le commerce est le plus florissant en Europe, & qui ont les regles les plus sûres pour s’enrichir par son moyen, admettent librement & indifféremment, dans toutes leurs associations de marchands & même de villes, non seulement tous les sujets de l’état, mais encore les Juifs, & toutes sortes d’étrangers.

» La seconde, parce que rien au monde ne peut nous mettre en état de soûtenir la concurrence des Hollandois dans le commerce, que l’augmentation des commerçans & des capitaux : c’est ce que nous procurera une entrée libre dans les communautés qui s’en occupent. Le grand nombre des hommes & la richesse des capitaux sont aussi nécessaires pour pousser avantageusement un commerce, que pour faire la guerre.

» Troisiemement, le seul bien qu’on puisse espérer des communautés ou associations, c’est de régler & de guider le commerce. Si l’on rend libre l’entrée à des compagnies, les membres n’en seront pas moins soûmis à cet ordre qu’on veut établir ; ainsi la nation en retirera tous les avantages qu’elle a pû se promettre.

» Le commerce du Nord consomme, outre une grande quantité de nos productions, une infinité de denrées d’Italie, d’Espagne, du Portugal, & de France. Le nombre de nos négocians qui font ce commerce, est bien peu de chose, si nous le comparons avec le nombre des négocians qui en Hollande font le même commerce. Nos négocians du Nord s’occupent principalement de ce commerce au-dedans & au-dehors, & conséquemment ils sont bien moins au fait de ces denrées étrangeres ; peut-être même ne sont-ils pas assez riches pour en entreprendre le négoce. Si d’un autre côté on fait attention que par les chartes de cette compagnie, nos autres négocians qui connoissent parfaitement bien les denrées d’Italie, d’Espagne, du Portugal & de France, sont exclus d’en faire commerce dans le Nord ; ou qu’au moins, s’ils reçoivent permission de la compagnie d’y en envoyer, ils ne l’ont pas d’en recevoir les retours, il sera facile de concevoir que les Hollandois doivent fournir par préférence le Danemark, la Suede, & toutes les côtes de la mer Baltique, de ces mêmes denrées étrangeres. C’est ce qui arrive réellement.

» Quoique les Hollandois n’ayent point de compagnies du Nord, ils y font dix fois plus de commerce que nous.

» Notre commerce en Portugal, en Espagne, en Italie, n’est point en compagnies, & il est égal à celui que la Hollande fait dans ces pays, s’il n’est plus considérable. »

(Si dans cette position des choses, le commerce de l’Angleterre étoit égal à celui de la Hollande dans les pays qu’on vient de nommer, il est évident ou que ce commerce eût augmenté par la liberté de la navigation du Nord, ou que l’Angleterre revendoit à la Hollande une partie de ses retours, & se privoit ainsi d’une portion considérable de leur bénéfice. C’est l’effet de toutes les navigations restraintes, parce que les grands assortimens procurent seuls de grandes ventes).

« Nous avons des compagnies pour le commerce de la Russie & du Groenland ; mais il est presque entierement perdu pour nous, & nous n’y en faisons pas la quarantieme partie autant que les Hollandois, qui n’ont point eu recours aux compagnies pour l’établir.

» De ces faits il résulte.

» 1°. Que les compagnies restraintes & limitées ne sont pas capables de conserver ou d’accroître une branche de commerce.

» 2°. Qu’il arrive que des compagnies limitées,