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l’Eglise primitive sur la pénitence, à l’usage présent de l’Eglise ; & c’est sans doute ce qui a donné occasion à ce rigorisme introduit dans la spéculation & dans la pratique, & qui a fait dire sans distinction, que c’est une conduite pleine de sagesse, de lumiere & de charité, de donner aux ames le tems de porter avec humilité & de sentir l’état du péché, de demander l’esprit de pénitence & de contrition, & de commencer au moins à satisfaire à la justice de Dieu avant que de les reconcilier ; c’est la quatre-vingt-septieme proposition du P. Quesnel condamnée par la bulle, & évidemment fausse dans sa généralité : 3°. M. Arnauld s’efforce de prouver que c’est à tort qu’on condamne de témérité ceux qui s’efforcent de fléchir la miséricorde de Dieu par la mortification de leur chair & l’exercice des bonnes œuvres avant que de s’approcher du sanctuaire ; & il le prouve assez bien par différentes autorités qui concernent les péchés mortels publics ou d’habitude. Mais on sait assez jusqu’où les rigoristes ont porté les conséquences de ce principe, qui est vrai & incontestable à quelques égards.

La troisieme partie roule sur quelques dispositions plus particulieres pour communier avec fruit : M. Arnauld y examine si l’on doit s’approcher de l’eucharistie sans aucune crainte, dans quelque froideur, indévotion, inapplication aux choses de Dieu, privation de grace, plénitude de l’amour de soi-même, & prodigieux attachement au monde que l’on se trouve, & si le délai ne peut point servir à communier avec plus de révérence & meilleure disposition : il montre qu’au moins pour la communion fréquente on doit avoir beaucoup d’égards à toutes ces indispositions.

Il résulte de cet ouvrage que M. Arnauld, & tous ceux qui pensent comme lui, exigent pour la fréquente communion des dispositions bien sublimes, & par conséquent rares dans la plûpart des Chrétiens : aussi leurs adversaires les ont-ils accusés de retirer d’une main la communion aux fideles, tandis qu’ils la leur présentoient de l’autre.

Quoi qu’il en puisse être des intentions & de la conduite de M. Arnauld & de ses partisans, dans la pratique ; le livre de la fréquente communion parut imprimé en 1643, muni des approbations de seize archevêques & évêques de France, & de vingt-quatre docteurs de Sorbonne : on peut les voir à la tête de l’ouvrage. À ces premiers prélats se joignit deux ans après, la province ecclésiastique d’Ausch, composée de son archevêque & de dix évêques suffragans, qui avec quantité d’ecclésiastiques du second ordre, approuverent le livre tout d’une voix dans une assemblée provinciale tenue en 1645.

Cet ouvrage dès sa naissance excita des plaintes très-vives. Il fut dénoncé à Rome. Les seize évêques premiers approbateurs en écrivirent, en 1644, au pape Urbain VIII. une longue lettre, où ils font l’éloge du livre, & s’en déclarent les défenseurs. Les mêmes évêques, excepté trois qui étoient morts, écrivirent l’année d’après, sur le même sujet, au pape Innocent X. qui avoit succédé à Urbain VIII. Ces deux lettres furent rendues au pape par M. Bourgeois, l’un des vingt-quatre docteurs de Sorbonne qui avoient approuvé le livre ; & il lui présenta depuis une procuration signée de quatre archevêques & de seize évêques, qui lui donnoient le pouvoir de comparoître pour eux & en leur nom devant le pape, pour y défendre le livre de la fréquente communion. Ce docteur fut reçu par la congrégation en qualité de contradicteur ; on lui communiqua les plaintes & accusations : il y répondit par des mémoires : il instruisit les cardinaux, les officiers, & les théologiens de la congrégation ; & enfin l’affaire ayant été rapportée & mise en délibération, tous les cardinaux conclurent d’une voix à laisser le livre sans

atteinte ; & jamais depuis le livre de la fréquente communion n’a été condamné à Rome. Les lettres des évêques approbateurs aux papes Urbain VIII. & Innocent X. se trouvent à la fin des nouvelles éditions de cet ouvrage.

Cependant le P. Nouet Jésuite, avoit prêché publiquement dans Paris contre le livre de la fréquente communion, sans ménager l’auteur ni les évêques approbateurs. D’un autre côté, le fameux P. Petau entra en lice, tant par une lettre qu’il adressa à la reine régente Marie Anne d’Autriche, que par un autre écrit plus étendu, où il combattit méthodiquement le livre de M. Arnauld : celui-ci répondit à l’un & à l’autre, 1° par un avertissement sur quelques sermons prêchés à Paris ; 2° par une lettre à la reine, & par une préface qu’on trouve à la tête de la tradition de l’Eglise, sur le sujet de la pénitence & de la communion.

Le livre du P. Pichon Jésuite, dont nous avons déjà rapporté le titre, parut en 1745, muni des approbations ordinaires, & annoncé avec éloge par le journaliste de Trévoux, Octob. 1745. art. lxxxvij. Il fut depuis approuvé formellement par M. l’archevêque de Besançon, par M. l’évêque de Marseille, & par M. l’évêque & prince de Bâle. Les archevêques de Paris, de Sens, de Tours, de Roüen ; les évêques d’Evreux, de Lodève, de Saint Pons, &c. n’en porterent pas le même jugement.

Ces prélats furent donc choqués d’entendre le P. Pichon enseigner, 1°. que lorsque l’apôtre dit, probet autem se ipsum homo, « c’est comme s’il disoit : avant de communier tous les jours, à quoi il exhorte, examinez bien si vous êtes exempt de péché mortel ; & si vous l’êtes, communiez ; si vous ne l’êtes pas, purifiez-vous au plûtôt, afin de ne pas manquer à la communion quotidienne. Entret. II. pag. 212. »

2°. « Que la coûtume de l’Eglise déclare que cette épreuve consiste en ce que nulle personne sentant sa conscience souillée d’un péché mortel, quelque contrition qu’il lui semble en avoir, ne doit s’approcher de la sainte eucharistie sans avoir fait précéder l’absolution sacramentelle ; ce que le saint concile de Trente ordonne devoir être observé par tous les Chrétiens, & même par les prêtres qui se trouvent obligés de célébrer par le devoir de leur emploi ». Les évêques déclarent que le P. Pichon a puisé cette maxime dans le livre de Molinos sur la fréquente communion, & ils la condamnent, aussi bien que le commentaire suivant qu’en fait le Jésuite à la page 283 de son ouvrage.

« Le concile ne demande point en rigueur d’autre disposition, parce qu’il n’en connoît point d’autre qui soit absolument nécessaire : autrement il n’auroit pas manqué un point d’une aussi grande conséquence, sur-tout pour les prêtres qui communient tous les jours. L’exemption du péché mortel, ou l’état de grace, est donc la seule disposition nécessaire : elle est donc une disposition suffisante pour bien communier. Bien plus, le concile exhorte à la communion de tous les jours, sans dire un mot d’une plus grande disposition : il le pouvoit, & s’il eût été nécessaire, il le devoit ; cependant il se tient ferme à dire, que les prêtres obligés par office de célébrer tous les jours, sont obligés seulement, s’ils sont coupables d’un péché mortel, de s’en confesser, sans quoi ils ne peuvent pas célébrer. Avec cette disposition, ils le peuvent donc faire. Cette disposition est donc suffisante, & seule commandée. Une comparaison, ajoûte le P. Pichon, rendra la chose sensible. Vous voulez acheter une charge ; on exige dix mille livres ; ce n’est qu’à ce prix que vous la posséderez : ne suffit-il pas de donner ce qu’on exige ? est-il nécessaire de don-