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Communion sous les deux especes, c’est-à-dire sous l’espece du pain & sous l’espece du vin. Il est constant par plusieurs monumens des premiers siecles, que l’Eglise n’a pas jugé la communion sous les deux especes nécessaire, & qu’elle a cru que Jesus-Christ étant tout entier sous chaque espece, on le recevoit également sous chaque espece séparée, comme sous les deux especes réunies. Mais sa discipline a varié sur cet article, quoique sa foi ait toûjours été la même. Dans le jx. siecle on donnoit la communion sous les deux especes, ou plûtôt on donnoit l’espece du pain trempée dans. celle du vin. Acta SS. Bened. sac. iij. M. de Marca dans son histoire de Béarn, liv. V. ch. x. § 3. observe aussi qu’on la recevoit dans la main ; & il croit que la communion sous une seule espece a commencé en Occident sous le pape Urbain II. l’an 1096, au tems de la conquête de la Terre-sainte.

Le vingt-huitieme canon du concile de Clermont auquel ce pape présida, ordonne que l’on communie sous les deux especes séparément : mais il ajoûte cependant deux exceptions, l’une de nécessité, & l’autre de précaution, nisi per necessitatem aut cautelam ; la premiere pour les malades, & la seconde en faveur des abstèmes, ou de ceux qui auroient horreur du vin.

Cette observation prouve combien étoient mal-fondées les instances qu’ont faites par la suite les Hussites, les Calixtins, & après eux Carlostad, pour faire rétablir l’usage de la communion sous les deux especes. Le retranchement de la coupe étoit une discipline depuis long-tems établie pour remédier à mille abus, & sur-tout au danger de la profanation du sang de Jesus-Christ. L’indulgence qu’eut l’Eglise de s’en relâcher par le compactatum du concile de Constance en faveur des Hussites, ne produisit aucun des bons effets qu’on s’en étoit promis : ces hérétiques persévérerent dans leur révolte contre l’Eglise, & n’en furent pas moins acharnés à inonder de sang leur patrie. La même question sut agitée depuis au concile de Trente, où l’empereur Ferdinand & le roi de France Charles IX. demandoient qu’on rendît au peuple l’usage de la coupe. Le sentiment contraire prévalut d’abord ; mais à la fin de la vingt-deuxieme session les peres laisserent à la prudence du pape à décider s’il étoit expédient ou non d’accorder cette grace. En conséquence Pie IV. à la priere de l’empereur Ferdinand, l’accorda à quelques peuples d’Allemagne, qui n’usoient pas mieux de cette condescendance que n’avoient fait les Bohémiens. Une foule de monumens d’antiquité ecclésiastique, qu’on peut voir dans les théologiens Catholiques, prouvent que la communion sous les deux especes n’est nécessaire ni de précepte divin ni de précepte ecclésiastique, & par conséquent qu’il n’y a nulle nécessité de changer la discipline présente de l’église Romaine, que les Protestans n’attaquent d’ailleurs que par de mauvaises raisons.

Communion fréquente. La communion est de précepte divin pour les adultes, selon ces paroles de Jesus-Christ, en S. Jean, ch. vj. vers. 45. Nisi manducaveritis carnem Filii hominis, & biberitis ejus sanguinem, non habebitis vitam in vobis. Mais Jesus-Christ n’ayant fixé ni le tems ni les circonstances où ce précepte oblige, c’est à l’Eglise seule à les déterminer. Dans les premiers siecles de l’Eglise la ferveur & la piété des fideles étoient si grandes, qu’ils participoient fréquemment à l’eucharistie. On voit dans les actes des apôtres que les fideles de Jérusalem persévéroient dans la priere & dans la fraction du pain ; ce que les interpretes entendent de l’eucharistie. Lorsque la persécution étoit allumée, les Chrétiens se munissoient tous les jours de ce pain des forts, pour résister à la fureur des tyrans : considerantes idcirco,

dit S. Cyprien, épît. 56, se quotidie calicem sanguinis Christi bibere, ut possint & ipsi propter Christum sanguinem fundere. Mais quand la paix eut été

rendue à l’Eglise, cette ferveur se rallentit, l’Eglise même fut obligée de faire des lois pour fixer le tems de la communion. Le dix-huitieme canon du concile d’Agde enjoint aux clercs de communier toutes les fois qu’ils serviront au sacrifice de la messe, tome IV. concil. p. 1586. Mais il ne paroît pas qu’il y en eût encore de bien précise pour obliger les laïcs à la communion fréquente. S. Ambroise en exhortant les fideles à s’approcher souvent de la sainte table, remarque qu’en Orient il y en avoit beaucoup qui ne communioient qu’une fois l’année : Si quotidianus est panis, cur post annum sumis, quemadmodum Græci facere in Oriente consueverunt ? lib. V. de sacram. c. jv. Et S. Chrysostome rapporte que de son tems les uns ne communioient qu’une fois l’année, les autres deux fois, & d’autres enfin plus souvent : Multi hujus sacrificii semel in toto anno sunt participes, alii autem bis, alii sæpe. Homil. 17. in epist. ad Hebr. Et le jugement qu’en porte ce pere est très-remarquable : Quid ergo, ajoûte-t-il ? quinam erunt nobis magis accepti ? an qui semel ? an qui sæpe ? an qui raro ? nec hi, nec illi ; sed qui cum mundâ conscientiâ, qui cum mundo corde, qui cum vitâ quæ nulli est affinis reprehensioni.

Gennade prêtre de Marseille, qui vivoit au v. siecle, dans son livre des dogmes ecclésiastiques qu’on a autrefois attribué à S. Augustin, & qui se trouve imprimé dans l’appendix du tome VIII. des ouvrages de ce pere, parle ainsi de la communion journaliere : Quotidie eucharistia communionem percipere, nec laudo, nec vitupero : omnibus tamen dominicis diebus communicandum suadeo & hortor ; si tamen mens in affectu peccandi non sit : nam habentem ad huc voluntatem peccandi, gravari dico magis eucharistiæ perceptione, quam purificari. Ces peres, & une infinité d’autres que nous pourrions citer, en exhortant les fideles à la communion fréquente, & même très-fréquente, & leur intimant la menace de Jesus-Christ, nisi manducaveritis carnem, &c. ne manquoient jamais de leur remettre sous les yeux ces paroles terribles de S. Paul aux Corinthiens : Quicumque manducaverit panem hunc, vel biberit calicem Domini indignè, reus erit corporis & sanguinis Domini. . . . Probet autem se ipsum homo. . . . . Non potestis participes esse mensa Domini, & mensa dæmoniorum. C’est-à-dire qu’ils ne separoient jamais ces deux choses, le desir ou la fréquentation du sacrement, & le respect ou les dispositions nécessaires pour s’en approcher dignement, & le recevoir avec fruit. Mais ils n’ont jamais parlé de la communion fréquente, encore moins de la communion journaliere, comme d’une chose prescrite par aucun précepte divin ou ecclésiastique.

Ce ne fut que vers le huitieme siecle que l’Eglise voyant la communion devenue très-rare, obligea les Chrétiens à communier trois fois l’année, c’est-à-dire à Pâque, à la Pentecôte, & à Noel. C’est ce que nous voyons par le chapitre etsi non frequentius, de consecr. dist. secund. & par la decrétale que Gratien attribue au pape S. Fabien ; mais que la critique a fait voir être un ouvrage du huitieme siecle. Vers le treizieme siecle la tiédeur des fideles étoit encore devenue plus grande, ce qui obligea le quatrieme concile de Latran à ordonner de recevoir au moins à Pâque le sacrement de l’eucharistie, sous les peines portées par le canon suivant : Omnis utriusque sexûs fidelis, postquam ad annos discretionis pervenerit, omnia sua peccata, saltem semel in anno, confiteatur proprio sacerdoti, & injunctam sibi pænitentiam studeat pro viribus adimplere, suscipiens reverenter ad minus in Paschâ eucharistiæ sacramentum, nisi forte de consilio proprii sacerdotis, ob aliquam rationabilem causam, ad tempus ab ejus perceptione duxerit abstinendum ; alioquin & vi-