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trui, peuvent le faire de deux manieres ; par une société générale, ou par une commendite. Voyez Société de commerce.

Dans tous les cas la société est conduite par un nombre d’associés appellés directeurs, & d’après le résultat des assemblées générales.

La société est générale, lorsqu’un nombre fixe de particuliers s’engage solidairement par un acte public ou privé, aux risques dont on lui demandera l’assûrance ; mais l’acte de société restraint le risque que l’on peut courir sur un même objet à une somme limitée & proportionnée aux facultés des associés. Ces particuliers ainsi solidairement engagés un seul pour tous, n’ont pas besoin de déposer de fonds, puisque la totalité de chaque fortune particuliere est hypothéquée à l’assûré. Cette forme n’est guere usitée que dans les villes maritimes, parce que les facultés y sont plus connues. Elle inspire plus de confiance ; parce qu’il est à croire que des gens dont tout le bien est engagé dans une opération, la conduiront avec prudence : & tout crédit public dépend entr’autres causes de l’intérêt que le débiteur a de le conserver : l’opinion de la sûreté fait la sûreté même.

Il est une autre forme de société d’assûrance que l’on peut appeller en commendite. Le fonds est formé d’un nombre fixe d’actions d’une valeur certaine, & qui se paye comptant par l’acquéreur de l’action : à moins que ce ne soit dans une ville maritime où les acquéreurs de l’action sont solidaires, par les raisons que l’on vient d’expliquer, & ne font par conséquent aucun dépôt de fonds.

Le crédit de cette chambre ou de cette société dépendra sur-tout de son capital, de l’habileté des directeurs, & de l’emploi des fonds, s’il y en a de déposés. On destine le plus souvent ces fonds à des prêts à la grosse avanture (voyez Grosse avanture), ou à escomptes des papiers publics & de commerce. Un pareil emploi rend ces chambres très utiles à l’état, dans lequel elles augmentent la circulation de l’espece. Plus le crédit de l’état est établi, plus l’emploi des fonds d’une chambre d’assûrance en papiers publics, donnera de crédit à cette chambre ; & la confiance qu’elle y aura, augmentera réciproquement le crédit des papiers publics. Mais pour que cette confiance soit pleine, elle doit être libre ; sans cette liberté, la confiance n’est pas réelle : il faut encore qu’elle soit prudente & limitée ; car le crédit public consistant en partie dans l’opinion des hommes, il peut survenir des évenemens où cette opinion chancelle & varie. Si dans cette même circonstance une chambre d’assûrance avoit besoin de fondre une partie de ses papiers publics pour un grand remboursement, cette quantité ajoûtée à celle que le discrédit en apporte nécessairement dans le commerce, augmenteroit encore le desordre ; la compagnie tomberoit elle-même dans le discrédit, en proportion de ce qu’elle auroit de fonds employés dans les effets décriés.

L’un des grands avantages que les chambres d’assurance procurent à l’état, c’est d’établir la concurrence, & dès-lors le bon marché des primes ou du prix des assûrances ; ce qui favorise les entreprises de commerce dans la concurrence avec les étrangers.

Le prix des assûrances dépend du risque effectif & du prix de l’argent.

Dans les ports de mer où l’argent peut sans cesse être employé utilement, son intérêt est plus cher ; & les assûrances y monteroient trop haut, si la concurrence des chambres de l’intérieur n’y remédioit. De ce que le prix de l’argent influe sur celui des assûrances, il s’ensuit que la nation la plus pécunieuse, & chez qui les intérêts seront le plus modiques,

fera, toutes choses égales d’ailleurs, les assûrances à meilleur compte. Le commerce maritime de cette nation aura la supériorité dans ce point ; & la balance de son commerce général augmentera de tout l’argent qu’elle gagnera en primes, sur les étrangers qui voudront profiter du bon marché de ses assûrances.

Le risque effectif dépend en tems de paix de la longueur de la navigation entreprise, de la nature des mers & des côtes où elle s’étend, de la nature des saisons qu’elle occupe, du retard des vaisseaux, de leur construction, de leur force, de leur âge, des accidens qui peuvent y survenir, comme celui du feu ; du nombre & de la qualité de l’équipage ; de l’habileté ou de la probité du capitaine.

En tems de guerre, le plus grand péril absorbe le moindre : à peine calcule-t-on celui des mers, & les saisons les plus rudes sont celles qui donnent le plus d’espoir. Le risque effectif est augmenté en proportion des forces navales réciproques, de l’usage de ces forces, & des corsaires qui croisent respectivement : mais ces derniers n’ont d’influence & ne peuvent exister qu’autant qu’ils sont soûtenus par des escadres répandues en divers parages.

Le risque effectif a deux effets : celui de la perte totale, & celui des avaries. Voyez Avaries. Ce dernier est le plus commun en tems de paix, & se multiplie dans certaines saisons au point qu’il est plus à charge aux assûrances que le premier. Les reglemens qu’il occasionne, sont une des matieres des plus épineuses des assûrances : ils ne peuvent raisonnablement être faits que sur les lieux mêmes, ou au premier port que gagne le vaisseau ; & comme ils sont susceptibles d’une infinité de contestations, la bonne foi réciproque doit en être la base. La facilité que les chambres d’assûrances y apportent, contribue beaucoup à leur réputation.

Par un dépouillement des registres de la marine, on a évalué pendant dix-huit années de paix, la perte par an à un vaisseau sur chaque nombre de cent quatre-vingts. On peut évaluer les avaries à deux pertes sur ce nombre, & le risque général de notre navigation à pour cent en tems de paix.

Très-peu de particuliers sont en état de courir les risques d’une grande entreprise de commerce, & cette réflexion seule prouve combien celui des assûreurs est recommandable. La loi leur donne partout la préférence ; moins cependant pour cette raison, que parce qu’ils sont continuellement exposés à être trompés, sans pouvoir jamais tromper.

La concurrence des chambres d’assûrances est encore à d’autres égards très-précieuse à l’état : elle divise les risques du commerce sur un plus grand nombre de sujets, & rend les pertes insensibles dans les conjonctures dangereuses. Comme tout risque doit être accompagné d’un profit, c’est une voie par laquelle chaque particulier peut sans embarras participer à l’utilité du commerce ; elle retient par conséquent la portion de gain que les étrangers retireroient de celui de la nation : & même dans des circonstances critiques, elle leur dérobe la connoissance, toûjours dangereuse, des expéditions & de la richesse du commerce.

Le commerce des assûrances fut inventé en 1182 par les Juifs chassés de France ; mais son usage n’a été connu un peu généralement parmi nous, qu’au moment où notre industrie sortit des ténebres épaisses qui l’environnoient : aussi se borna-t-elle long-tems aux villes maritimes.

J. Loccenius, dans son traité de jure maritimo, prétend que les anciens ont connu les assûrances : il se fonde sur un passage de Tite-Live, liv. XXIII. nomb. xljx. On y voit que le thrésor public se chargea du risque des vaisseaux qui portoient des blés à