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leurs principales villes engagées dans une association aussi formidable, & les forcerent de s’en retirer. Elle se borna aux villes de l’Allemagne. En Angleterre ses priviléges furent révoqués sous la reine Marie ; & dès 1588 les Anglois, sous le regne d’Elisabeth, parvinrent à commercer dans le Nord : Hambourg même les reçut dans son port. La desunion se mit entre les villes associées. Malgré leurs plaintes impuissantes, les Anglois pénétrerent dans la mer Baltique, dont les Hollandois partagerent depuis le commerce avec eux presqu’exclusivement aux autres peuples. Aujourd’hui les villes Anséatiques sont réduites au nombre de six, dont quatre ont conservé un assez bon commerce dans le Nord. Toûjours traversées par les Hollandois dans celui du Midi, elles n’y ont quelque part qu’à la faveur des intérêts politiques de l’Europe.

L’interdiction des ports de l’Espagne & du Portugal aux sujets des Provinces-Unies, porta leur desespoir & leur fortune à son comble. Quatre vaisseaux partis du Texel en 1594 & 1595, allerent chercher dans l’Inde, à-travers des périls infinis, les marchandises dont ces provinces étoient rigoureusement privées. Trop foibles encore pour n’être pas des marchands pacifiques, ces habiles républicains intéresserent pour eux les rois Indiens, qui gémissoient sous le joug impérieux des Portugais. Ceux-ci employerent en vain la force & la ruse contre leurs nouveaux concurrens, que rien ne dégoûta. Le premier usage auquel la compagnie Hollandoise destina ses richesses, ce fut d’attaquer ses rivaux à son tour. Son premier effort la rendit maîtresse d’Amboine & des autres îles Moluques en 1605. Déjà assûrée du commerce des principales épiceries, ses conquêtes furent immenses & rapides, tant sur les Portugais que sur les Indiens mêmes, qui trouverent bientôt dans ces alliés de nouveaux maîtres plus durs encore.

D’autres négocians Hollandois avoient entrepris avec le même succès de partager le commerce de l’Afrique avec les Portugais. Une treve de douze ans conclue en 1609 entre l’Espagne & les Provinces-Unies, leur donnerent le tems d’accroître & d’affermir leur commerce dans toutes les parties du monde. Dès 1612 elles obtinrent des capitulations très-avantageuses dans le Levant.

En 1621 les conquêtes de la Hollande commencerent avec la guerre. Une nouvelle société de négocians, sous le nom de compagnie des Indes occidentales, s’empara d’une partie du Bresil, de Curacao, de Saint-Eustache, & fit des prises immenses sur le commerce des Espagnols & des Portugais.

Le Portugal, victime d’une querelle qui n’étoit point la sienne, s’affranchit en 1640 de la domination Espagnole. Jean IV. légitime héritier de cette couronne, conclut en 1641 une treve avec les Hollandois.

Cette treve mal observée de part & d’autre, coûta aux Portugais ce qui leur restoit dans l’île de Ceylan, où croît la canelle. Ils ne conserverent dans l’Inde qu’un petit nombre de places peu importantes, dont ils reperdirent depuis une partie pour toûjours. Plus heureux en Afrique, ils y reprirent une partie de leurs établissemens. Dans l’Amérique leur succès fut complet ; les Hollandois furent entierement chassés du Bresil.

Ceux-ci plus occupés du commerce des Indes, formerent un établissement considérable au cap de Bonne-Espérance qui en est la clé, & ne garderent dans l’Amérique de postes principaux, que Surinam dans la Guiane, les îles de Curacao & de Saint-Eustache. Ces colonies sont peu importantes pour la culture, mais elles sont la source d’un grand commerce avec les colonies étrangeres.

Pendant que les Hollandois combattoient en Europe pour avoir une patrie, & dans l’Inde pour y régner, l’Angleterre s’étoit enrichie d’une maniere moins bruyante & moins hasardeuse : ses manufactures de laine, commerce aussi lucratif, & qui l’étoit encore plus dans ces tems, porterent rapidement sa marine à un degré de puissance qui fit échoüer toutes les forces de l’Espagne, & la rendit l’arbitre de l’Europe.

Dès l’an 1599, la reine Elisabeth y avoit formé une compagnie pour le commerce des Indes orientales. Mais sa prospérité ne lui donna aucune vue de conquête ; elle établit paisiblement divers comptons pour son commerce, que l’état prit soin de faire respecter par ses escadres.

Quoique l’Angleterre eût pris possession de la Virginie en 1584, & qu’elle eût disputé la Jamaïque aux Espagnols dès l’an 1596, ce ne fut guere que vers le milieu du dix-septieme siecle qu’elle fit de grands établissemens dans l’Amérique. La partie méridionale étoit occupée par les Espagnols, & les Portugais trop forts pour les en chasser. Mais les Anglois ne cherchoient point de mines ; contens de joüir de celles de ces deux nations par la consommation de leurs manufactures, ils cherchoient à augmenter leur industrie en leur ouvrant de nouveaux débouchés. La pêche & la navigation furent leur second objet. L’Amérique septentrionale étoit plus propre à leurs desseins ; ils s’y répandirent, & enleverent aux François sans beaucoup de résistance des terres dont ils ne faisoient point d’usage.

En France, le cardinal de Richelieu porta des les premiers instans de la tranquillité publique ses vûes du côté des colonies & du Commerce. En 1626 il le forma par ses soins une compagnie pour l’établissement de Saint-Christophle & des autres Antilles, depuis le dixieme degré de l’équateur jusqu’au trentieme ; en 1628, une autre compagnie fut chargée de l’établissement de la nouvelle France, depuis les confins de la Floride jusqu’au pôle Arctique.

Mais ce puissant génie asservi aux intrigues des courtisans, n’eut jamais le loisir de suivre les vastes projets qu’il avoit embrassés pour le bien de la monarchie. C’est cependant à ces foibles commencemens que la France doit le salut de son commerce, puisqu’ils lui assûrerent ce qui lui reste de possessions dans l’Amérique, excepté la Louisiane qui ne fut découverte qu’à la fin de ce siecle.

Les Anglois, & sur-tout les Hollandois eurent long-tems le profit de ces colonies naissantes ; c’est aussi d’eux qu’elles reçûrent les premiers secours qui favoriserent leur culture. L’année 1664 est proprement l’époque de notre Commerce ; la grande influence qu’il donna à la France dans les affaires de l’Europe en fait une sixieme époque générale.

Louis XIV. communiqua à tout ce qui l’environnoit un caractere de grandeur ; son habileté lui développa M. Colbert ; sa confiance fut entiere ; tout lui réussit.

Les manufactures, la navigation, les arts de toute espece furent en peu d’années portés à une perfection qui étonna l’Europe & l’allarma. Les colonies furent peuplées ; le Commerce en fut exclusif à leurs maîtres. Les marchands de l’Angleterre & de la Hollande virent par-tout ceux de la France entrer en concurrence avec eux. Mais plus anciens que nous, ils y conserverent la supériorité ; plus expérimentés, ils prévirent que le Commerce deviendroit la base des intérêts politiques & de l’équilibre des puissances ; ils en firent une science & leur objet capital, dans le tems que nous ne songions encore qu’à imiter leurs opérations sans en dévoiler le principe ; l’activité de notre industrie équivalut à des maximes, lorsque la révocation de l’édit de Nantes la dimi-