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rons de réunir ces deux derniers objets, de tracer le plan du temple, & de remplir en même tems quelques vuides. Nous en laisserons beaucoup d’autres à remplir ; nos descendans s’en chargeront, & placeront le comble, s’ils l’osent ou s’ils le peuvent.

L’Encyclopédie doit donc par sa nature contenir un grand nombre de choses qui ne sont pas nouvelles. Malheur à un ouvrage aussi vaste, si on en vouloit faire dans sa totalité un ouvrage d’invention ! Quand on écrit sur un sujet particulier & borné, on doit, autant qu’il est possible, ne donner que des choses neuves, parce qu’on écrit principalement pour ceux à qui la matiere est connue, & à qui l’on doit apprendre autre chose que ce qu’ils savent ; c’est aussi la maxime que plusieurs des Auteurs de l’Encyclopédie se flattent d’avoir pratiquée dans leurs ouvrages particuliers ; mais il ne sauroit en être de même dans un Dictionnaire. On auroit tort d’objecter que c’est-là redonner les mêmes livres au public : & que font tous les Journalistes, dont néanmoins le travail en lui-même est utile, que de donner au public ce qu’il a déjà, que de lui redonner même plusieurs fois ce qu’on n’auroit pas dû lui donner une seule ? Ce n’est point un reproche que nous leur faisons ; nous serons nous-mêmes dans ce cas, notre Ouvrage étant destiné à exposer non-seulement le progrès réel des connoissances humaines, mais quelquefois aussi ce qui a retardé ce progrès. Tout est utile dans la Littérature, jusqu’au rôle d’historien des pensées d’autrui. Il a seulement plus ou moins d’autorité, à proportion de la justice avec laquelle on l’exerce, des talens de l’historien, de sa sagacité, de ses vûes, & des preuves qu’il a données qu’il pouvoit être autre chose.

Il résulte de ces réflexions, que l’Encyclopédie doit souvent contenir, soit par extrait, soit même quelquefois en entier plusieurs morceaux des meilleurs ouvrages en chaque genre : il importe seulement au public que le choix en soit fait avec lumiere & avec œconomie. Mais il importe de plus aux Auteurs de citer exactement les originaux, tant pour mettre le lecteur en état de les consulter, que pour rendre à chacun ce qui lui appartient. C’est ainsi qu’en ont usé plusieurs de nos collegues. Nous souhaiterions que tous s’y fussent conformés ; mais du reste quand un article est bien fait, on en jouit également de quelque main qu’il vienne ; & l’inconvénient du défaut de citation, toûjours grand par rapport à l’auteur, l’est beaucoup moins par rapport à ce Dictionnaire.

Feu M. Rollin, ce citoyen respectable, à qui l’Université de Paris doit en partie la supériorité que les études y conservent encore sur celles qu’on fait ailleurs, & dont les ouvrages, composés pour l’instruction de la jeunesse, en ont fait oublier tant d’autres, se permettoit d’insérer en entier dans ses écrits les plus beaux morceaux des Auteurs anciens & modernes. Il se contentoit d’avertir en général dans ses préfaces, de cette espece de larcin, qui par l’aveu même cessoit d’en être un, & dont le public lui savoit gré, parce que son travail étoit utile. Les Auteurs de l’Encyclopédie oseroient-ils avancer que le cas où ils se trouvent est encore plus favorable ? Elle n’est & ne doit être absolument dans sa plus grande partie qu’un Ouvrage recueilli des meilleurs Auteurs[1]. Et plût à Dieu qu’elle fût en effet un recueil de tout ce que les autres livres renferment d’excellent, & qu’il n’y manquât que des guillemets !

Nous irons même plus loin que nos censeurs sur la nature des emprunts qu’on a faits. Bien loin de blâmer ces emprunts en eux-mêmes, ou du moins ce qu’ils ont produit, ils en ont fait les plus grands éloges ; pour nous nous croyons devoir être plus difficiles ou plus sinceres. L’Auteur de l’article Ame avoue, par exemple, qu’il eût dû se rendre plus sévere sur les endroits de cet article qu’il a tirés d’un ouvrage d’ailleurs utile[2]. De très-bons juges ont trouvé ces endroits fort inférieurs à ceux qui appartiennent en propre à l’Auteur. Il n’étoit pas nécessaire, sur-tout dans un article de Dictionnaire où l’on doit tâcher d’être court, d’accumuler un si grand nombre de preuves pour démontrer une vérité aussi claire que celle de la spiritualité de l’ame ; comme elle est du nombre de celles qu’on nomme fondamentales & primitives, elle doit être susceptible de preuves très-simples & sensibles aux esprits même les plus communs. Tant d’argumens inutiles, déplacés, & dont quelques-uns même sont obscurs, quoique concluans pour qui sait les saisir, ne serviroient qu’à rendre l’évidence douteuse, si elle pouvoit jamais l’être. Un seul raisonnement, tiré de la nature bien connue des deux substances, eût été suffisant.

De même l’article Amitié, dont la fin est tirée d’un Ecrivain moderne très-estimable par plusieurs écrits[3], fait voir que cet Ecrivain n’étoit pas aussi bon Logicien sur cette matiere que sur d’autres. Il ne pouvoit trop donner de liberté & d’étendue à cette égalité si douce & si nécessaire sans laquelle l’amitié n’existe point, & par laquelle elle rapproche & confond les états les plus éloignés. On ne devoit point sur-tout rapporter d’après cet Au-

  1. C’est le titre même sous lequel on l’a annoncée dans le frontispice du Prospectus.
  2. Dissertations sur l’existence du Dieu, par M. Jaquelot. A la Haye 1697.
  3. Le P. Buffier Jésuite, dont les ouvrages ont fourni d’ailleurs quelques excellens articles pour l’Encyclopédie.